RÉGIS ET RÉGINE – UN RÉCIT DE FERFAY

LA MAISON DE MES GRANDS-PARENTS

Régis : Tu reconnais ? C’est la maison de mes grands-parents ! Je ne sais pas si c’est ce que j’ai fait de mieux de racheter la maison de mes grands-parents. (Rire). Financièrement, je ne compte plus. J’ai compté au début, mais après j’ai dit je vais arrêter. Mais sentimentalement, c’est bien. Je suis revenu dans mon village, dans la maison de mes grands-parents.
Est-ce que je dois parler patois ou français ? J’ai travaillé à Chalon-sur-Saône là-bas on parlait français. Mais, quand mon frère il me téléphonait, je disais : « Allô » et après, je te jure que c’est vrai, je disais : « Ah, ch’est ti ? », et je continuais en patois. Alors qu’il y en a, ils sont partis deux semaines, ils reviennent ici, ils ne savent plus parler patois. Mais moi, j’ai toujours parlé patois. À tort d’ailleurs parfois. Phonétiquement, ce n’est pas élégant.

Guy : C’est plutôt la réputation qu’on en a faite. Ce n’est pas que ce n’est pas élégant. C’est la réputation qu’on en a faite. Au début, je me suis dit, mon dieu, si je parle patois, qu’est-ce qu’on va dire, je vais être catalogué. Même juste l’accent.

Régis : Oui, l’accent, l’intonation. C’est en Touraine qu’on parle le mieux français. (Soit disant.) Mais oui, quand même, ma nièce elle habite la Touraine, ils parlent un français qui est beau.

Justine : Le patois, c’est un dialecte, une langue régionale qui doit être valorisée autant que les autres. 

Régis et Régine nous servent du café, « un vrai café ch’ti, avec de la chicorée dedans » et avec an gauffr’ du Nord.

Régis : Ah ben t’as raté mon frère, il est parti ce matin. Ben, c’est Bruno, tu l’as peut-être connu, il était de ton âge.

Guy : Bruno, ah oui, on était dans la même classe en CM1, CM2, avec monsieur Héroguelle.

Régis : Bruno, il habite dans le Cantal maintenant.

Quelques blagues fusent – on ne peut pas tout écrire ici.

Guy : Pas mal. Ça me rappelle mon oncle Abel. Abel Lesur. Le père de Marylise. C’était à mon avis quelqu’un qui souffrait beaucoup, il était pas facile dans la vie de tous les jours.

Régis : Ah ben, les Lesur, d’une façon général, ils étaient réputés pour être assez vifs.

Guy : Et ma mère, elle pouvait être très dure. C’était une Lesur. Très très dure. Enfin. Abel il était très drôle, quand il venait à la maison, on riait, on riait. C’était blagues sur blagues. Et j’en ai toujours retenu une, c’était le fameux : « J’vais reprendre du pâté, la moutarde elle est bonne ».

 

FERFAY ET LA VOYETTE

Régis : Enfin, moi je ne suis pas natif de Ferfay, parce que je suis né à la maternité, comme toute le monde à l’époque. Je suis né à Auchel. Mais, enfin, mes parents étaient de Ferfay, mon père, mes grands-parents, mes arrières grands-parents, ils étaient de Ferfay, de la cité même. Attention, la cité et le village, c’était deux entités. Moins maintenant. On essaie de relier les deux entités.

Justine : C’est quoi votre rôle à la mairie ?

Régis : Je suis premier adjoint.

Non, je n’ai pas vécu toujours à Ferfay. Je suis parti et revenu. Je suis parti à 15 ans-et-demi pour l’école de l’armée de l’air, à Auxerre. À partir de là, j’ai toujours bougé. On a déménagé 7 fois.

Régine : Ah non, je ne suis pas de Ferfay, moi je suis d’Isbergues. Moi je suis de la ville ! On a bivouaqué un peu partout et après on a décidé de revenir habiter ici.

Régis : J’ai quitté l’armée de l’air pour partir dans le privé. J’ai toujours travaillé pour l’aviation : militaire, civile, etc. Et j’ai intégré la DGAC, la direction générale de l’aviation civile, enfin, c’est comme ça que ça s’appelle. Mon premier poste c’était le Touquet. Après je suis arrivé à Lesquin. Et puis on est revenus par ici et en 1983, on a eu l’occasion de racheter la maison de mes grands-parents. Et d’ici on faisait la route jusqu’à Lesquin. Ensuite, on a passé des concours, toujours dans l’aviation civile. On a été tous les deux reçus, Régine devait partir à Toulouse et moi à Paris, et notre fille était ici. Alors, on s’est réunis tous les trois et on s’est dit qu’est-ce qu’on fait ? Moi j’aimais pas trop Paris, j’ai dit, toi (Régine), tu m’as toujours suivi, à toi de partir à L’ENAC pour faire ta carrière. Elle est partie et moi j’ai refusé mon poste à Paris. Après, j’étais rayé des cadres ; c’est pas bien vu, c’était un bon poste, j’étais chef de la navigation aérienne à Orly.

Régine : Moi j’étais une littéraire, français, anglais. Mais là, les matières techniques, c’était quelque chose. En math et en physique, j’avais 37 ans, je me suis retrouvée avec des gens qui sortaient de prépa, moi, j’avais pas fait prépa. Je rentrais le weekend ici. Je repartais le lundi matin, je me levais à 4 heures du mat’ je partais par l’avion de 6h du matin et j’arrivais à Toulouse. Des allers-retours toutes les semaines, pendant deux ans.

Régis : Après on a fait la route tous les jours jusqu’à Lesquin. D’ici, au début, on mettait 45 minutes, après c’était 1h, après 1h10, 1h30, à la fin presque 2h. On a tout essayé, on a pris des chemins, des routes.

Et cette maison, donc, c’était à vos grands-parents, vous la connaissiez bien cette maison, enfant ?

Régis : Oui, je vivais dans cette maison souvent. On était 4. Mes parents habitaient juste à côté, là. Nous on venait tout le temps ici. On faisait « can’ voyette ». Can’ voyette, ça veut dire qu’on passait sans arrêt entre les deux maisons. Quand on était gosses, on était 4, et puis dedans 3 garçons, quand ma mère elle commençait à…, quand ça bardait à la maison, on partait, on se sauvait, on venait ici.

Régine : Ça a perduré, il y a toujours la voyette, mais dans l’autre sens maintenant. On est resté très très famille.

 

LE FOND ET LE CARREAU

Mon grand-père était chef « porion » (il était au fond) et mon autre grand-père était chef de « carreau », c’est-à-dire, maintenant on dirait, que c’était un ingénieur de la mine. Le « carreau », à la fosse, c’était tout ce qui était au-dessus de la mine qui faisait tourner la mine, il était au jour. Mon grand-père, il était au jour. Ses frères étaient tous silicosés, ils sont morts, alors lui il avait dit « moi, j’irai jamais au fond ». Mon grand-père maternelle, silicosé à 100%. Et les trois frères de mon grand-père paternel était au fond, porion et chef porion. Côté de ma mère ou de mon père, ils travaillaient tous à la mine.
Ils m’ont toujours dit : « Travaille bien à l’école ou pas, mais surtout t’iras jamais à la fosse. Faut pas aller al’ fosse min garchon. »

 

LE NUMÉRO DU PUITS ET LE TERRIL

Régis : Ici, cette maison, c’est ce qu’on appelle une maison d’ingénieur des mines. À l’époque il y avait un seul ingénieur pour toute une mine, même pour plusieurs mines. C’est une vieille maison, pour une des premières mines, la numéro 3, ici, à Ferfay. Les numéros, c’est les numéros de puits. À chaque puits de mine, il y avait un numéro. Dans une mine, il y avait plusieurs puits.
À Ferfay, ça a fermé il y a longtemps, c’est une très ancienne mine.

Guy : Mon père il a commencé au numéro 2, quand il avait 13 ans. Au numéro 2 de Ferfay. Ça devait être en 1926, ici au numéro 3, c’était déjà fermé.
Et puis, il y a ce terril qui est là.

Régis : Que j’ai voulu garder ! Je me suis battu.

Guy : Ils ont voulu l’enlever ? C’est affreux, c’est un truc qui arrache le cœur ça.

Régis : Quand ils ont commencé ça je me suis énervé. En fait, un jour, on part en vacances et quand on revient, on nous dit ils sont en train de pelleter sur le terril. Ça fait drôle. (C’était du temps du maire Gaston Nicolle.) C’est ma mère qui a été trouvé le maire et qui lui a dit « qu’est-ce que t’es en train de faire ? ».

Régine : il a été bien amoché le terril au début. Ma belle-mère, c’est horrible, elle entendait les arbres qu’on déracinait.

Régis : On n’a jamais bien su pourquoi. Ça n’a jamais été clair, pourquoi ils voulaient enlever ce terril. Soit disant pour faire un parking.

Guy : Ils vendent les scories.

Régis : Quand ils ont vu que ça prenait des proportions : La Voix du Nord, FR3… ils ont arrêté. C’était dur, ça allait loin.
Après, il faut savoir arrêter les guerres. Le maire, il s’est excusé auprès de ma mère. Ma mère lui disait plus bonjour pendant 3 ans. Et un jour, il lui a dit : « Marcelle, je voudrais discuter avec vous ». Elle a dit : « Vas-y, discute ». Et puis il s’est excusé. C’était bien quand même. Et puis voilà, après, elle lui a redit bonjour. Mais elle lui a dit quand même : « J’oublierai jamais ».

Guy : Et maintenant, depuis une dizaine d’année, le bassin minier est classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Grâce en partie au travail de « La Chaine des Terrils ».

Régis : Oui, ça fait au moins 40 ans que ça existe « La Chaine des Terrils ». C’était Marcel et puis Jean-François Caron, tous deux maires de Loos-en-Gohelle, qui se sont battus pour ça. J’étais adhérent à « La Chaine des Terrils », oui, oui.
Un terril c’est non seulement un patrimoine, mais en plus une réserve naturelle, c’est une source de biodiversité. Tu verrais les animaux qu’il y a là dedans, il y a même des chevreuils.

 

LE FOOT ET LES VESTIAIRES

J’étais président du Football pendant 5 ans. Et on est venu me chercher pour le conseil municipal. J’ai commencé au milieu d’un conseil. Gaston Nicolle était décédé et j’ai intégré le conseil municipal. J’ai commencé par un demi mandat. Et après ça, deux nouveaux mandats.
Au foot, j’ai fait une fête une fois : 5000 personnes. J’ai fait déposer le ballon par les parachutistes de Lens. J’étais dedans. J’ai fait venir un hélico. Et une montgolfière. À l’époque c’était quand même quelque chose. C’était original. C’était un match de gala. On avait fait venir des bons joueurs et on avait monté une entente. Christian Lesur, il jouait dedans. Il était bon.

Isabelle : C’est ton cousin, c’est le frère de Marylise ?

Guy : Oui, bravo, le frère de Marylise.

Régis : Paulette, tu l’as connue ? Qui avait le bistro. Elle n’avait jamais vu ça. Ils étaient à 5 dans le bistro pour servir. Ils n’arrivaient pas à s’en sortir tellement il y avait du monde.

Régine : Et puis, on avait eu de la chance, il faisait beau.

Guy : Le café des sports, c’était le vestiaire. Quand je jouais, souvent, on allait chez Paulette. On allait se préparer chez elle, il y avait son salon et sa cuisine. C’était les vestiaires du foot. Il n’y en avait pas autour du terrain.

Régis : Oui, on se lavait dans un chaudron, dans une bassine. Il n’y avait pas de vestiaires. C’est plus tard qu’il y a eu les vestiaires et l’éclairage.
Mais, aujourd’hui le club de foot n’est plus actif. À un moment, si on avait fait une entente avec Ames, ça aurait peut-être perduré un peu plus longtemps. Mais on n’a pas réussi à mettre ça en place, une fusion avec les jeunes d’Ames. À Ferfay, ils ne voulaient pas. Même au sein de Ferfay, c’est compliqué entre le village et la cité numéro 3, alors se réunir avec Ames pour le foot, ça n’a pas marché.

Guy : Comme nous a dit Line, il a fallu deux salles des fêtes, une au village, une à numéro 3.

Régis : Oui, on est le seul village avec 900 habitants à avoir deux salles des fêtes !

 

POURQUOI FERFAY AUJOURD’HUI ?

Régis : Les gens qui viennent à Ferfay aujourd’hui, c’et pas pour le travail. Il n’y a pas de travail à Ferfay. Je pense qu’on vient pour la sécurité et le cadre de vie. Les personnes âgées se sentent tranquilles. J’aimerais bien qu’il y ait une sorte de garde champêtre, une police rurale, une police rurale groupée, en collaboration avec les villages autour. Et aussi, Ferfay, c’est la proximité des infrastructures, il y a l’autoroute, c’est quand même bien desservi. Un commerce fixe, c’est compliqué maintenant parce que les gens vont dans les grandes surfaces. Et les commerces qu’il y a, à Ferfay, aujourd’hui, c’est des ambulants. C’est normal, il fallait trouver d’autres solutions plutôt que de s’accrocher à quelque chose qui n’est plus viable. Trouver des solutions, c’est ça qui est intéressant.

PASCALE – UN RÉCIT DE FERFAY – Partie 1

LES SOUVENIRS RESSURGISSENT

On arrive chez Pascale. Émotions. Enfants, Pascale et Guy étaient amis, très proches, jusqu’à leurs 17 ans. Émotions. Saut direct dans le passé. Les souvenirs ressurgissent, dans le désordre, ça s’entremêle, ça se bouscule.

Pascale (en parlant de l’abbé Pierre Olive) : Tu vois où il est dans le cimetière ?

Guy : Oui, oui.

Pascale (à nous, pour nous inclure dans leur histoire à Guy et à Pascale) : Guy, il n’avait pas le droit d’y aller chez l’abbé Pierre Olive. Moi, c’était mon ami. Mais Guy, il n’avait pas le droit d’y aller.

Guy : Oui, parce que mes parents étaient communistes et mon père était anticléricale. Il n’entrait pas dans les églises. Quand il y avait une cérémonie, il restait dehors.

Pascale : Il n’y a que Guy qui n’était pas avec nous pour le cathé. Tu t’en rappelles ?

Guy : Ben oui, bien sûr.

Pascale, riant : Tu nous voyais partir et tu ne venais pas.

Guy parle de la réunion du 18 octobre à Ferfay, organisée par Culture Commune, pour rencontrer les habitants de Ferfay avant la représentation de « Courts-Circuits » du 12 novembre.

Guy : On a rencontré plein de gens à cette réunion, il y avait Rose-Marie Martel.

Pascale : Ah oui.

Guy : On est allés la voir ensuite, on a fait l’interview avec elle, elle parle tout le temps en patois.

Pascale : Ah oui, elle parle tout le temps en patois. À chaque fois que je la vois, on parle, elle est plaisante.

Guy : Elle est toujours dans les corons.

Pascale : Oui, elle a racheté derrière chez ma grand-mère Eugénie. Rose-Marie, elle est arrivée après dans les corons, elle n’a pas été à l’école primaire avec nous. On était ensemble au collège. Et je me souviens, après Rose-Marie a fait l’école ménagère à Auchel. À l’époque, faire l’école ménagère, c’était une façon d’apprendre, un apprentissage, après, on savait tout faire.

Guy : À l’époque, c’était rare de continuer les études. Je me souviens, arrivés en 3ème, il y avait beaucoup de gens de la cité qui partaient au CET (le collège d’enseignement technique). Beaucoup de gens ne se posaient pas de question, c’était : on ne continue pas, on ne fait pas d’études longues, on part apprendre un métier.

 

DES BILLES DE TERRE JUSQU’À L’ÉCOLE NORMALE

Justine demande de quelle année sont Guy et Pascale.

Pascale, rire : Moi, j’avais une année d’avance, et dans les corons, je fréquentais les mauvais garçons de 58. On était très peu de 59 dans les corons. Des garçons de 58, il y en avait plein. Guy, j’ai été avec lui de mes 2 ans à mes 17 ans. Donc, c’est un peu différent avec Guy. Quand j’avais 4 ans, Guy je ne sais pas si tu te souviens, on faisait cuire des billes. Moi je m’en souviens. Dans le four de ta mère. Y avait un four dans sa baraque, on faisait des billes avec de la terre, on allait dans le jardin et on les vendait 1 centime. Ça, je m’en souviens.

Guy : J’ai toujours eu le sens du commerce.

Justine : … pour un communiste.

Guy : Oui, et si jeune…

Pascale : Ton père c’était vraiment un communiste pur et dur. J’avais lu un truc sur toi, j’ai failli t’appeler. J’ai même été surprise. Tu disais que quand t’étais parti à Lille, franchement tu t’étais pas trouvé à ta place, par rapport à ton père qui t’avait inculqué que t’étais un enfant d’ouvrier. Et qu’en somme, après le bac, tu ne devais pas aller en fac. T’as écris ça quelque part. J’ai lu ça.

Moi aussi, je suis une enfant d’ouvriers. Mes grands-parents étaient des mineurs, j’ai bien connu la mine, mais mon père c’était pas un mineur. Bon, c’était quand même un ouvrier, c’était un maçon. Mais c’est vrai que mon père n’était pas communiste, et je n’ai pas ressenti du tout la même chose après le bac. Moi, au contraire, je ne voulais pas ressembler à ma mère, c’est-à-dire que je ne voulais pas rester à la maison. Je voulais à tout prix avoir une vie totalement différente de ma mère. Je voulais faire des études. Donc après le bac, pour moi, c’était normal que je parte. J’ai toujours voulu être institutrice, j’ai toujours voulu être maîtresse. Quand j’étais chez ma grand-mère paternelle, je passais mon temps à jouer – elle avait gardé les cahiers de mon père dans son sac en cuir – et je revois très bien ce sac en cuir – et je mettais ‘bien’, ‘très bien’, ‘abien’, ‘passable’, ‘vu’, comme monsieur Héroguelle. Et je faisais l’école à Mylène Patignies. Tu te souviens d’elle ? Elle était de 58. Elle habitait pas très loin de chez tes parents. Et sa grand-mère habitait à côté de chez ma grand-mère, donc on jouait ensemble, et bien-sûr j’étais la maîtresse et elle était l’élève, j’avais de quoi faire.

Bon après j’ai passé l’école normale et je l’ai eu en seconde, donc j’ai rien coûté à mes parents, j’avais une bourse. Mais, même avec ce concours passé en seconde, je suis allée au lycée à Auchel jusqu’au bac. Et comme je n’étais pas mauvaise, en math, physique, même en allemand, je m’en sortais bien un peu partout, les professeurs ils m’ont dit, mais pourquoi vous ne faîtes pas un dossier PEGC, à Lille, pour devenir professeur et là on étudiait deux matières. Donc, j’ai fait le dossier pour Lille. Mais là, pour vous dire quand même que j’étais une fille d’ouvriers, le dossier était rempli, pour ma mère oh là là, c’était tout une histoire que j’aille à Lille, elle disait que Arras c’était plus près, et il y avait l’internat, donc, c’était la sécurité quand même pour mes parents, moi je n’avais que 17 ans. À l’époque, quand on n’avait que 17 ans, qu’on arrivait du village, c’était pas comme maintenant. On n’allait nulle part, on allait au village, puis au lycée, et c’est tout, c’était une petite communauté. Et donc, de ce fait, je n’ai pas rendu le dossier. Je suis partie à Arras. Finalement ça m’a plu, et donc je ne suis pas allée à Lille après. Et j’ai adoré mon boulot. Je ne gagnais pas beaucoup, on ne gagne pas trop quand on est institutrice, mais j’ai vraiment adoré mon boulot.

J’ai commencé à Violaines, puis Béthune, Beuvry, Bas-Rieu, Lières, Norrent-Fontes, Burbure, Lillers, Cauchy. J’ai toujours été dans le secteur. Quand j’ai terminé, j’étais au collège : moitié au collège, moitié dans ma classe. Je ne voulais pas quitter ma classe. On est comme ça, on est possessif, des locaux, des élèves. De fait, je ne voulais pas quitter ma classe. On m’a proposé d’aller au collège, pour mettre en place un projet pour des élèves en difficulté. J’ai réfléchi, puis j’ai accepté, et finalement, ça m’a plus aussi. Avec les collègues du collège, je m’entendais hyper bien. Et j’en ai de très bons souvenirs.

Je suis très vite revenue habiter dans le coin, j’ai habité Lillers, Ferfay, et après on acheté le terrain ici, c’est-à-dire que c’est Ferfay, c’est juste au bout de la rue. Mais ici (à Ames), j’aimais pas. Alors que Guy il trouve toujours que c’est très joli. Même le nom il est beau, il dit Guy. Mais moi je ne trouve pas ça joli. Moi quand je vais dans le centre, ça me mortifie, c’est un village – je vais dire le contraire de toi (Guy) – qui n’a pas de vie, qui n’a pas d’âme. Surprenant. Guy, il voit ça de l’extérieur. Peut-être qu’il a raison, je ne dis pas que j’ai raison. Je peux me tromper, mais… Je pense que c’est bien d’avoir un point de vue extérieur.

Guy : Ames, ça n’a rien à voir avec Ferfay. Ce qui change tout à Ferfay c’est les différents hameaux, n°2, n°3, le centre. On est dans les mines, ou dans ce qui reste des mines, mais qui est encore très prégnant. À Ames, il y a un terril, mais ça fait longtemps qu’il ne reste plus rien des mines.

Pascale : À Ames, y a pas beaucoup de mineurs.

Guy : Les gens d’Ames venaient à Ferfay. Mon père il était d’Ames. Ses parents étaient cultivateurs ici (à Ames), et ensuite tous les cultivateurs partaient pour travailler à la mine. Certains avaient même deux métiers : c’est-à-dire dans la journée ils allaient à la mine pour gagner un peu d’argent à la mine, et le soir, il travaillait à la ferme. Parce que dans les fermes, c’était la misère.

 

CORONS, GERMINAL, CAYENNE ET NOMS DE FLEURS

Guy : On a vu aussi Jean-Marc Blondel. Et Line.

Pascale : Jean-Marc c’est un cousin germain. Et nous on était voisins de Line. Line c’est comme ma grande sœur. Elle m’a appris tout ce qu’il ne fallait pas. C’était mon modèle. C’est ma grande sœur. J’ai habité avec elle parce que d’abord j’ai habité à côté du baraquement où elle habitait (mes parents ont habité là). Et après quand ma grand-mère est décédée, on est allés habiter dans les corons, chez mon oncle Maurice, à côté de chez tes parents. Et après, mes parents ils ont bâti au-dessus, et donc j’ai quitté les corons. Mais moi, je jouais toujours dans les corons. Donc, dans les corons, on habitait 14 rue de Baillancourt. Et toi ? 9 ? 9 rue de Baillancourt ! Non, on n’était pas loin ! Maintenant c’est la rue des Lilas.

Guy : Rue des Lilas. Ils ont donné des noms de fleurs à toutes les rues, pour adoucir certainement. Ça aseptise.

Pascale : Mon oncle Maurice (14 rue de Baillancourt) c’était la dernière maison de corons comme avant : c’était Germinal. Un ancien mineur. Le frère de ma mère. Pour mes enfants aujourd’hui, c’est insensée une maison comme ça. Mon oncle Maurice, il avait 80 ans. Pas de salle d’eau. Pas d’eau chaude, pas de chauffage. Les toilettes dehors, au milieu du jardin. Quand les pompiers sont venus, ils ont dit : c’est Germinal ici ! Je crois que c’était le dernier. Il y avait encore quelques maisons comme ça, mais il n’y avait personne dedans. Maurice c’était le dernier.

Moi je suis née dans les corons. Ma mère elle a accouché là. On est né tous les trois dans les corons. On a appris le français à l’école. On parlait patois. Je suis née à Ferfay. Je suis née à Cayenne. Tu te rends compte. C’était le ‘bagne’, les mineurs étaient considérés comme des bagnards. Je me suis demandé pourquoi Cayenne pour les corons de Ferfay, je pense qu’il y avait des corons qui étaient beaucoup plus jolis. À Ferfay, c’était le minimum, le minimum vital.

Guy : Je me demande s’ils ne mettaient pas les gens les plus durs à Ferfay.

Pascale : Je pense qu’il y avait quelque chose comme ça. J’ai déjà lu mais je ne me souviens plus.

PASCALE – UN RÉCIT DE FERFAY – Partie 2

LE FAMEUX INSTITUTEUR

(Chez Rose-Marie déjà, on avait entendu parlé de lui.)

Pascale : C’est vrai que nous on avait un instituteur très strict. Monsieur Héroguelle, il prenait les garçons sur ces genoux et pan pan pan (moi, ça ne m’est jamais arrivé). Il les prenait par les pieds et il les tenait comme ça.

Guy : Il nous faisait défilé dans la cour, les mains sur la tête, en plein hiver, en t-shirt. Je me souviens, il y avait de la neige, de la glace. Les mains sur la tête, on devait répéter : je suis bête. Je le détestais. Il disait à toute la classe : « vous allez voir, je vais lui demander de réciter sa poésie, et puis je vais l’interrompre et il saura pas reprendre. » Et je commençais ma poésie, il m’arrêtait et de fait je n’arrivais pas à reprendre.

Pascale : Moi, j’ai jamais connu ça. J’étais quand même, on va dire, une bonne élève, une très bonne élève.

Guy : Ben, mi aussi ! Mais il me tapait dessus.

Pascale : Tu te souviens de Joseph Libessard ? Bon, il est décédé. Une fois, on faisait une rédaction, on n’était pas les meilleurs en rédaction, forcément. À la maison, on n’avait pas de livre, on n’avait pas de vocabulaire.

Guy : On mettait des mots en patois.

Pascale : Un jour Joseph Libessard il avait écrit : « Je suis queu dans ch’l’a yure ». Ça veux dire : je suis tombé dans la haie. Ça je m’en rappelle. La yure, c’est la haie. Et l’instituteur, il l’avait ridiculisé devant tout le monde.

Quand je suis arrivée à l’École Normale… chez moi, on parlait patois et on parlait français au lycée… À l’école d’ailleurs on n’avait pas le droit de parler patois, ça je m’en rappelle, quand on traversait la grille, on n’avait plus le droit… Et quand je suis arrivée à la maison après une semaine d’École Normale, je parlais français, et min père il m’a dit : « Eh, m’fill, ichi, on est in mon d’ chez ouvriers. Té parles patois. Té parles pas français. » Alors je parlais patois. Mais au fur et à mesure des semaines, ça n’était plus systématique pour moi.

 

LES LIVRES DES PRIX D’EXCELLENCE, C’ETAIT LES SEULS LIVRES QU’ON AVAIT

Pascale : Nous on n’avait pas de livres. À Noël, il y avait le maire de la commune qui nous offrait des Pif. Et puis on avait nos livres de prix à la fin de l’année. (Je les ai tous encore en haut.) Moi je les lisais, les relisais, les relisais. Et puis je me faisais des histoires, j’imaginais des histoires. Les histoires de fées, les contes. Mais on n’avait que ça. Nos livres de prix. Et puis Guy m’avait offert des livres. Guy ne s’en souvient plus, mais ils sont encore en haut ces livres.

En fait, Guy s’en souvient très bien, mais chacun à sa version.

Guy : Oui, c’était « Croc Blanc ».

Pascale : Je l’ai ’core, il est en haut. Je vais le chercher.

Guy : Croc Blanc, c’était ma sœur qui te l’a offert.

Pascale : Non, Croc Blanc c’est toi. Ta sœur, elle m’a offert Sissi.

Guy : Ah ouais ? Croc Blanc, c’était London.

Pascale revient avec le livre. C’est effectivement le livre de Guy, son prix d’excellence. « Prix d’Excellence Alloucherie Guy »

Pascale, retrouvant une feuille dans le livre : Écoutez, là, je vais vous montrer quelque chose : « Prix d’excellence ! » C’est Guy qui me l’a offert, c’était son prix d’excellence.

On est tous émus. On s’imagine… quand on est enfant, offrir son prix d’excellence à son amie, c’est pas rien.

Nous : Eh ben ! Oh, là, là. Génial.

Guy : Croc Blanc.

Pascale : Voilà, ça c’était Guy. Tu vois, tu m’as offert ton prix d’excellence.

Guy : Tout ça pour devenir acteur, c’est vrai.

Pascale : Croc Blanc et Sissi, ce sont mes deux premiers vrais livres, tu te rends compte ? Moi je n’en avais pas d’autres. Croc Blanc, je l’ai lu, relu. Je n’avais pas d’autres livres, alors j’ai gardé tous mes livres de prix. Oui, là, c’est « Le Vrai Visage de Sissi » c’est Éliane, ta sœur qui me l’a donné.

Pascale : Moi, j’avais pas de livre, t’en avais toi ?

Guy : C’est Éliane qui m’en ramenait.

Pascale : Ah, tu vois, moi je n’en avais pas. Sinon, c’était les livres de la bibliothèque de l’école. Oh… Je vais être rouge écarlate là, je suis pas bien.

Guy : Jack London, c’est une belle histoire.

Pascale : Ah, je les ai lus, relus. Là haut, j’ai gardé tous mes livres de prix, tous mes livre de l’école.

Pascale (s’adressant à nous – Juliette et Isabelle – tandis que Guy écoute) : Guy, quand on était en 5ème, il s’est cassé le bras. Alors tous les jeudis, j’allais passé mon après-midi chez Juliette, parce que je recopiais tous ses cours à la main. Il n’y avait pas de photocopieuse à l’époque. Tu te rappelles ?

À Guy : Et Juliette, elle nous faisait quoi ?

À nous : Guy, il ne s’en rappelle plus.

À Guy : Attention Guy.

Guy : Des crêpes ?

Pascale : Non !

Guy : Des gaufres ?

Pascale : Des gaufres. Des gaufres Juliette. Tu peux regarder dans mon cahier de recettes, c’est écrit les gaufres Juliette.

Guy : Des fines ?

Pascale : Non, c’était des grosses. Ah, j’adorais les gaufres Juliette ? Rien que pour les gaufres Juliette, j’aurais recopié les cours.

Guy : C’est vrai que tu m’avais bien aidé.

Pascale : C’est pour ça que ta sœur elle m’avait remerciée. Elle m’affait offert Sissi. Ta sœur elle habitait Lille à l’époque. Pour nous Lille c’était la grande ville, le bout du monde, à l’époque.

Guy explique : Il y avait une grosse différence d’âge, alors m’a sœur elle était déjà partie de la maison. Y a 14 ans de différence d’âge avec Eliane, et 20 ans avec mon grand frère.

Pascale : Guy il se plaignait tout le temps qu’il était un enfant de vieux. Il se plaignait. Moi, j’étais une enfant de jeune, quand je suis née, mes parents ils avaient 18 ans.

Guy : Quand je suis né, mes parents, ils avaient 45 ans. Toi c’était l’inverse.

Guy redit : Tout ça pour devenir acteur, c’est vrai.

Pascale : Oh, arrête, tu te plais dans ton métier, en plus, tu l’adores.

Guy : Oui.

PASCALE – UN RÉCIT DE FERFAY – Partie 3

DES ANNÉES SANS SE QUITTER

Pascale : Moi j’étais très… Mais Guy, on ne s’est pas revus. C’est ça qui est quand même un peu paradoxal dans notre cheminement de vies. C’est que, j’étais très bonne en allemand aussi. D’ailleurs j’avais eu la meilleure note au bac. Je me rappelle on m’avait félicitée au Lycée d’Auchel. Mais bon, tu sais mieux parler allemand que moi maintenant, quand tu m’envoies maintenant des mots en allemand, parfois je me souviens plus trop bien. Parce que toi après t’es partie en fac d’allemand… Et je ne savais que ça de Guy. Alors que finalement, on était très proche quand même….

On parlait de Brassens. C’était mon compositeur préféré. Moi, fille d’ouvriers, Brassens, pour moi, c’était l’apothéose. Je me vois encore, il y avait un arbre, devant chez ma mère. Je me revois encore, on refaisait le monde, on était un peu…, on rêvait. Après je me rappelle de choses que Guy ne se rappelle plus.

Justine et Isabelle : Peut-être qu’il se souvient, mais il ne veut pas le dire.

Pascale : Je me rappelle quand on a travaillé l’Écume des jours de Boris Vian. Guy ça lui posait problème à chaque fois. Il se posait des questions… Après ça a été La Peste de Camus, et Guy il me disait tout le temps : « Tu crois pas que j’ai la peste, tu crois pas que j’ai la peste, tu crois que j’ai les symptômes ? ». Je me vois encore au terrain de football. On y allait, on s’asseyait là, sur le talus. On parlait, à deux, on parlait. Il n’y a que nous deux dans le groupe qui parlions comme ça. On avait des conversations sur le monde, beaucoup. Et on faisait les devoirs ensemble, là-haut je les ai, il faudra que je te montre : physique, math, tu venais chez mes parents et on faisait ça ensemble, jusqu’au bac.

 

PUIS PLUS RIEN

Pascale : Et après le bac, on s’est quittés et on s’est plus jamais revus. Je suis partie à Arras. On ne s’est plus revu. Je ne sais même pas comment ça s’est fait. Comment on a pu être ensemble si longtemps, puis coupure, plus rien.
Moi j’essayais de savoir parfois si tu revenais, mais je ne savais jamais non plus. Et j’avais entendu dire que tu n’aimais pas revenir, alors tu ne revenais pas souvent.
Tu revenais ?

Guy : Euh, euh, euh.

Pascale : Quand t’étais à Lille ?

Guy : Ouais, oh… euh, pas très souvent… je crois, à un moment, j’ai dû couper…

Pascale : Voilà.

Guy : Euh, enfin, c’est-à-dire, je crois que c’était, euh. C’est-à-dire, si je voulais, comment dirais-je, changer de vie, c’est-à-dire m’installer véritablement à Lille. Je me disais à un moment donné fallait que je coupe le cordon.

Pascale : D’accord.

Guy : Avec les parents. Tu vois ? Je pense. Et j’ai commencé à faire des stages de théâtre le weekend. Et tout ça. Et donc ça m’a pris du temps. Tout ça c’est la faute du théâtre.

Pascale : La nostalgie. Je ne suis peut-être pas très bien, mais je crois qu’il y a une part de ça, de nostalgie. Ensemble, il y a beaucoup de choses, une souffrance, en même temps une richesse. Mais ça nous fait mal sûrement, non ?

Guy : Oui.

Pascale : Pourquoi ? On ne saurait pas le dire, c’est ça qui est terrible. Y a pas de réponse. Y a pas de réponse. Quelque fois on a encore peur d’en parler. On n’est pas encore délivrés. Tu vois, là, je me sens comme prisonnière. Je ne sais pas de quoi. Je découvre ça maintenant.

 

COMMME SI ON NE S’ÉTAIT JAMAIS QUITTÉS

Pascale : Comment ça c’est fait que j’ai revu Guy ? Mon père, dans le journal, à chaque fois il découpait les articles concernant Guy : « Tiens Guy il est là, il est là ». Alors, je le voyais et je le voyais vieillir aussi. Bon moi je l’ai connu jeune. Mais on vieillit, on est tous pareils. Je le voyais vieillir et je le voyais ressembler à son père en vieillissant. Et puis un jour je vois qu’il est à la Comédie de Béthune, et je dis « tiens je vais y aller ». Mais je dis à ma fille « tu viens avec moi », parce que quand même je n’étais pas capable d’y aller seule. Dur quand même. Dur de l’affronter.
Donc j’y vais, je prends mes tickets et je dis à la dame : « Faudrait dire à Guy que sa copine d’enfance, Pascale Lecoq… (je ne donne pas mon nom de femme, après que je me dis peut-être il ne connaît pas mon nom de femme)… Pascale Lecoq vient voir le spectacle. Vous pouvez lui faire savoir ? » – « Oui, oui, très bien, Guy il est gentil, on va lui dire… »

(Le spectacle à Béthune, Guy pense que c’était Les Sublimes, Pascale pense que c’était Les Atomics.)

Pascale : Bon ben voilà, pas de réponse. Le lendemain pas de réponse. Je me dis oh pff. Le surlendemain, voilà Guy qui m’envoie un message : « Je t’attendrai à la fin du spectacle, on se verra. » Et là je me dis : « Mais qu’est ce que je vais lui dire moi, trente ans après. » On s’était quittés à 17 ans, j’avais 50 ans. Qu’est-ce qu’on va se raconter ?On était devenus deux adultes totalement différents, c’est sûr. Qu’est-ce qu’on va se dire ? Et puis je me dis : « Oh, tant pis, j’y vais quand même, si on n’a rien à se dire, on n’a rien à se dire, voilà ». Un peu comme des retrouvailles, des frères et sœurs, ça doit être dur quand même. Mais on était complices tout de suite. Quand on s’est vus, on était contents de se voir déjà. Puis, comme si on ne s’était jamais quittés. Et ce qui était surprenant quand même c’est que Guy il suivait mon parcours et moi j’avais aussi suivi son parcours. Il savait même où j’habitais, parfois il passait devant la maison, je le savais même pas. C’est quand même surprenant. On n’a jamais rompu les liens, tout en les rompant. Ouh, vous voyez, là je ne suis pas bien, je suis sûre là quand même, il y a quelque chose, on est prisonniers de quelque chose.

 

LES CORONS, UNE RICHESSE

Pascale : On a besoin d’être délivrés d’un passé. Parce que les corons, les corons, moi avant je n’y allais pas dans les corons. Je n’y allais plus. Je te l’avais dit aussi, je ne passais plus dans les corons. Parce que c’était les corons, c’était péjoratif, c’était négatif, on nous disait c’était les gueules noires des corons. Ça renvoyait toujours à une image noire. Je ne traversais pas les corons. Jusqu’au jour où, vers la cinquantaine, je ne sais pas ce qui m’a pris, il fallait que je retourne dans les corons, que j’aille voir ce qu’il se passait dans les corons. Et là c’est devenu autre chose. Je me suis dit c’est une richesse d’avoir été élevée dans les corons. Cette enfance qu’on a eue. On vivait en communauté, on était ensemble.

On avait les mêmes jeux.
Les cerfs-volants par exemple. J’ai fabriqué je ne sais pas combien de cerfs-volants. Tu te rappelles ? On était sur le terrain de football, avec du papier journal, de la colle à tapisser, des branches et puis hop. C’était à celui qui allait voler le plus haut.

Guy : Ça partait très loin.

Pascale : On jouait dans la pâture à Fé, on jouait al doche.
On jouait sur les monts de betteraves, on rentrait on était hyper sales. Ma mère elle râlait. Derrière la salle des fêtes actuelle, parce qu’il y avait une bascule, les tracteurs venaient, et ils y avait des montagnes de betteraves.

Guy : Les monts de betteraves, ça s’étalait sur un espace très large. On jouait, on roulait sur les betteraves, comme sur des montagnes. Et on cassait des queues de betteraves et on se les balançait dessus comme si c’était la guerre.

Pascale : Nous les filles, non, mais les garçons oui. Enfin Guy, c’était un garçon très doux quand même, du souvenir que j’en ai.

PASCALE – UN RÉCIT DE FERFAY – Partie 4

DANS SES SPECTACLES JE VOYAIS GUY

Pascale : On a évolué différemment quand même. Dans tous les domaines. Quand j’ai vu son spectacle, j’ai vu Guy. Même si je n’avais pas su que ça venait de Guy, j’aurais dit ça vient de Guy. Parce que son spectacle, déjà c’était noir. Et je me suis dit : « Guy, il est toujours aussi noir. ». Et en plus ça partait dans tous les sens. Un peu comme moi j’avais connu Guy. Il se posait des questions dans tous les sens. Il n’y avait pas de réponses. Et en même temps les réponses, elles étaient noires, souvent. Ce n’était jamais gai. Moi aussi, j’ai été un peu comme ça, à me révolter, à me poser des questions, à être pessimiste et tout. Puis après, il y a eu un moment de ma vie où je me suis dit, t’as pas de réponse, t’as pas de réponse, t’en auras peut-être jamais. Je n’étais plus comme ça.

 

LES LUMIÈRES DE LA MINE

Pascale et Guy se remettent à parler des gens qu’ils ont connu quand ils étaient enfants :

Pascale : Je connaissais Rimbert parce que mon grand-père c’était le gardien de la mine. C’était le concierge. Donc, quand j’allais chez mon grand-père, on allait fermer les lumières de la mine le soir. Et j’allais chez mon grand père en tombereau, avec un cheval : « il carrio du carbon ». Et moi je montais dans le tombereau et j’arrivais chez mes grands-parents. On passait par la voie ferrée. Je vous raconte ça, on a l’impression que c’était il y a des siècles. C’était il n’y a pas longtemps. Quand je raconte ça à mes petits-enfants, ils m’écoutent mais ça leur semble irréel. On vivait avec peu. On était heureux. Moi j’en garde de très bons souvenirs.

Guy : Moi aussi.

Pascale : Mais on avait rien, on avait rien.

Guy : Mais on ne connaissait pas l’extérieur aussi. Quand on a vu comment c’était à l’extérieur, c’est là que ça a commencé à se compliquer. Mais c’est vrai, mis à part notre instituteur, on vivait pas mal. Mais il avait fait la guerre, la guerre d’indépendance d’Algérie, et je crois qu’il ne s’en est jamais remis.

Pascale : Mon père aussi il a fait la guerre d’Algérie. Il est partie j’avais 18 mois, il est revenue j’avais 3 ans. Maintenant je sais que j’en ai souffert. Quand il est revenu, (Guy, tu vois comment elle était la maison) mon père, il était là, dans le coin avec son treillis. Et ma mère elle m’a dit, va t’asseoir sur ton père. J’ai jamais voulu, il était devenu un étranger, j’avais peur de lui.

Plus tard, j’étais un peu idéaliste, je ne voulais pas être raciste, j’étais antimilitariste, anticonformiste, alors parfois c’était la guerre à la maison. Alors avec mon père, quand on commençait à parler de ça, ma mère elle me disait : monte dans ta chambre. Oh, je montais dans ma chambre, on n’avait pas le droit de parler de ça. Je ne comprenais pas mon père. Mais maintenant, avec le recul, j’ai vu des documentaires et que maintenant, je ne peux pas dire que… mais je peux quand même le comprendre. Quand tu reviens d’une guerre, après t’as un comportement différent.

Monsieur Héroguelle, il avait fait la guerre, mais sa femme elle était méchante aussi. Elle était institutrice aussi. On l’avait au CP. Ils était méchants tous les deux, c’était les instituteurs d’avant. Ils habitaient le logement de fonction. Quand on passait devant, si on avait le malheur de ne pas avoir dit bonjour, même s’il n’y avait pas école, on était punis. C’était comme ça.

Guy : Elle, elle n’était pas tendre, mais elle était moins dure que lui quand même.

Pascale : Je me souviens qu’elle n’était pas tendre non plus. Je me souviens bien de la classe enfantine : on faisait pas grand chose, on faisait des aquarelles, des coloriages. Moi j’écoutais ce qu’il se passait au CP à côté.

Je me rappelle aussi les odeurs de l’école, les odeurs des cahiers, de l’encre, de la craie et des tables : on devait les laver, on devait les cirer.

Et la fête des écoles : c’était militariste. On partait, on défilait, dans une pâture, à la baguette, on était nombreux, on bougeait pas, pas un mot. J’en ai encore des souvenirs. Et les femmes, les mères, elles préparaient les costumes en crépon.

Il y avait aussi des concours de diction. J’avais eu un premier prix, je m’en souviens avec « Demain, dès l’aube » de Victor Hugo. Je m’en souviens, il y avait un « o » dedans, tous les matins je m’entrainais pour dire le « o » de la bonne façon. Après je l’ai fait apprendre à mes élèves : mes CM1, CM2, ils l’ont eu « Demain, dès l’aube ». « Lili » de Pierre Perret, ils l’avaient aussi. Et puis de Jean Ferrat « Nuit et brouillard ».

 

C’EST PRÉGNANT LES CORONS

Pascale : C’est prégnant les corons. Quand j’ai vu « La Brique », j’ai vu que dedans il y avait des petites erreurs.

Guy : C’est la différence entre la mémoire et l’histoire.

Pascale : Il y avait une erreur géographique par exemple : tu montrais une maison et ce n’était pas ça. Tu montrais chez ma mère et tu parlais de Florent Bernard. Il y avait aussi, et je voulais t’en parler, une interprétation différente des ressentis qu’on avait pu avoir et c’est pour ça que j’aurais voulu t’en parler.

Oui, c’est surprenant, il m’est arrivé de revoir des gens des corons, occasionnellement, et à chaque fois, les gens des corons, les gens qui étaient jeunes comme nous dans les corons, ça leur a laissé une trace. Je ne sais pas pourquoi, je voudrais bien savoir. À partir de la cinquantaine, comme je te disais, je repassais dedans. Avec mon oncle Maurice, je refaisais la généalogie de tous les corons, avec un plan, les familles dans toutes les maisons, tel numéro, telle personne. Les liens, c’était son frère, c’était sa mère…, ah ouais, ils étaient cousins aussi, alors c’était… ah oui… Jean-Louis Patignies, il a fait un plan et il a écrit les noms. Et lui, il n’a pas tout à fait les mêmes personnes, parce que c’est une génération avant. Alors, il m’a dit, vient à la maison, on va mettre ça ensemble, sur 30 ans, les choses qui ont changé.

C’est prégnant les corons. Il y a aussi un stress permanent, par rapport aux gens qui descendent au fond, un stress qui devient une solidarité. Guy nous racontera qu’il y avait un rituel chez lui, une sorte de superstition : sa mère allait tous les jours au bout du jardin, pour voir son mari qui partait à la mine, jusqu’à ce qu’il soit sorti complètement de son champ de vision. Sauf s’ils s’étaient vraiment fâchés juste avant, c’était tous les jours. Une sorte de superstition.

Line – Un récit de Ferfay

En novembre, Guy viendra jouer la première de son nouveau spectacle « Courts-Circuits » à Ferfay. Dans son village. Là, nous y passons une journée, pour rencontrer des habitants et recueillir leurs paroles. (On mesure ce jour-là à quel point c’est un événement pour Guy de se préparer à venir jouer dans son village, la première du spectacle où il raconte tellement de choses qui viennent de là).
Et cette après-midi là donc, dans le village de Ferfay, c’est vraiment très particulier. On ne rencontre pas une « habitante de Ferfay », on rencontre une amie d’enfance de Guy. Une amie de la cité, de numéro 3. Alors, rien n’est comme d’habitude. Parce que d’habitude, en veillées, quand nous allons à la rencontre des habitants et des gens qui font la vie du village ou du quartier où nous sommes en résidence, nous demandons : est-ce que vous pouvez vous présenter ? Puis on rencontre les gens, on parle, ils nous raconte « ce qu’ils font là », quelle est leur vie, leur rapport à la culture, leur culture, leur quotidien.
Mais là, nous ne rencontrons pas une « habitante de Ferfay », nous rencontrons une amie d’enfance de Guy. Line. Ça a aurait pu être Francine ou Fanny parce qu’à sa naissance, dans la maison, on hésitait sur son prénom. Mais, c’est Line : c’est la sage-femme qui a choisi. Même si à cette époque les accouchements se faisaient déjà à l’hôpital, Line est née dans la maison, dans les corons, à numéro 3.
Ah oui, Line est aussi Madame La Maire (avec un macaron sur la voiture, comme elle dira), et c’est en tant que Maire aussi, qu’elle était là lundi dernier à la réunion publique organisée par Culture Commune pour préparer « La scène mobile à Ferfay » et de la venue de « Courts-Circuits ».
Line reparle tout de suite de la réunion publique de lundi dernier, mais ce n’est pas pour évoquer « La scène mobile à Ferfay » ni « Culture Commune ».

LES FRATERIES

Line : J’étais étonnée de voir Fernand.

Guy : T’as vu ? Moi aussi. Ben, ça m’a fait plaisir. On s’est promis de se revoir. C’était de l’émotion de le voir, ça m’a coupé le souffle d’émotion. Je me suis dit, Fernand, il me fait le plaisir de venir. Entre nous, il y a une grosse différence d’âge. 20 ans. Je suis le petit dernier.

Line : Moi c’est pareil, il y avait moins de différence d’âge avec mes frères, mais quand même, j’avais 13 ans avec mon frère aîné. Quand on est gamins, c’est énorme cette différence.

Guy : Ah ben oui, c’est comme s’il y avait eu presque une génération.

Line : En plus tu vois, mon frère il a fait son service militaire, c’était au moment de la guerre d’Algérie, donc il est parti, j’avais à peine 6 ans. Quand il revenait en permission, il était déjà avec sa future épouse, avec ma belle-sœur. Alors forcément. Ils se sont mariés en rentrant du service militaire en 1964, j’avais pas encore 8 ans. Et puis mon grand-père est décédé en janvier 65, alors mon frère Francis il est allé habiter chez ma grand-mère, pour qu’elle soit pas toute seule. Ce qui fait que moi, à partir de l’âge de 8 ans, je me suis retrouvée seule avec mes parents.

Guy : Comme une fille unique.

Line : Comme une fille unique, gâtée pourrie par mes parents. Gâtée par les parents, par mon père surtout, il me passait tout. Ça ne m’a pas toujours aidée. J’étais capricieuse. J’étais une chieuse. Je le suis encore, mais bon, différemment.

LES COUSINES

Guy : Je pense à ma sœur des fois, quand elle raconte sa vie dans les corons. Ce n’était pas facile pour une femme d’être dans les corons. Et là, toi, tu es maire, ça t’es venue comment ?

Line : Voilà, voilà. C’est un concours de circonstance ! C’est l’histoire de la vie ça !
… Je te l’ai dit quand on s’est rencontrés à l’enterrement de la mère de Cathy. Pour moi, Eliane et Janine, quand j’étais gamine, c’était le summum de la beauté, de l’élégance, de tout ce qui se faisait de mieux.

Guy (à nous) : Eliane c’était ma sœur, et il y avait une cousine, c’était Janine. Quand elles allaient au bal, elles étaient sapées comme jamais et elles faisaient l’admiration des plus jeunes.

Line : Et de moi surtout. Il y avait Marylise Lesur aussi. Alors moi, quand j’étais gamine, parce que nous on jouait dans les rues, c’est clair, on jouait dans les corons. Moi je suis née là-bas, et en plus à l’époque, on ne mélangeait pas le village avec la cité. Moi, j’ai mal tournée, j’aurais mieux fait de rester dans les corons, parce que je me suis mariée avec un gars de Ferfay-Village et ça n’a pas du tout marché. Enfin, ça c’est une parenthèse.
Mais Marylise, maintenant je la côtoie parce qu’elle fait de la rando avec Ferfay-Rando. On a une grosse association de randonnées. Ferfay-Rando : là on vient de faire un séjour, on était plus de 53 à partir. Il y a des gens qui font le séjour, il y a les gens qui font les randonnées. Mercredi matin, randonnée douce, mercredi après-midi, randonnée un peu plus… longue, on va dire. Après il y a la randonnée du weekend.
Et quand Marylise elle me raconte son enfance, moi j’hallucine. Parce qu’en fait moi j’ai connu ses parents, je les ai côtoyés toujours dans le cadre de festivités, de choses comme ça, et je me rappelle que son père c’était un gai-luron quoi. Mais Marylise me dit qu’à la maison, il était morose. Alors ça, on ne peut pas le savoir, on peut pas savoir.

Guy : Mais t’as ça souvent. Les gens qui sont très dôles, ils cachent quelque chose, une souffrance. Mon oncle Abel, le père Marylise, il disait : je reprends du pâté, la moutarde elle est bonne.

Line : Et Marylise, elle avait pas le droit de sortir, et nous en fait on pensait qu’elle ne voulait pas se mélanger à nous. Enfin, tout ça c’est des a priori. Forcément, quand on parle de son enfance, il y a des choses qui reviennent.

Guy : Marylise, c’est une cousine à moi, que je revois de temps en temps.

Line : Je vais lui dire qu’il faut qu’elle vienne voir ta pièce. Avec Serge, c’est son mari. Elle habite sur Ames, elle n’habite pas sur Ferfay. C’est tout comme, elle est juste à côté.
Et après, vous allez aussi rencontrer Régis Lhomme. Vous allez voir, il est marrant parce qu’il me dit que pratiquement, il y avait un membre de sa famille dans chaque coron. Moi non, mais comme vous, la famille Alloucherie, et Lesur, Blondel. Un membre de sa famille dans chaque coron.

Guy : Oui, Alloucherie, avec Lesur, Blondel. Une famille dans chaque coron. C’est vraiment les cousins, les cousines. Les oncles, les tantes, ils étaient revenus s’installer dans les corons, parce que la plupart travaillaient à la mine. Et les Lesur, du côté de ma mère, c’était une grande famille aussi. Et les Alloucherie aussi. Y avait ma grand-mère aussi, elle est morte à 97 ans, qui était dans le dernier coron, en bas, en face de chez Marie.

FERFAY, PARTIR ET REVENIR.

Line : Si, moi je suis partie de Ferfay, bien sûr que si. Ben si, je me suis mariée en 73. Mais le bac était en juin, Guillaume est né le 30 juin, j’ai décroché à partir des vacances de Pâques. En math, ça allait encore (j’étais en C), mais la physique, c’était pas mon truc, la chimie aussi ça allait. À l’époque j’étais normalienne, enfin, j’avais eu mon concours d’entrée à l’école normale, et c’était les premières années où on était plus obligé d’aller à Arras. Et comme j’ai pas eu mon bac, j’ai eu la possibilité de redoubler, mais ma mère elle m’a dit « pas question que je m’occupe de ton gamin, j’ai plus l’âge pour ça ». Ben donc, j’ai du me débrouiller. Alors, j’ai fait trois enfants tout de suite, comme ça c’était vite fait, bien fait. Guillaume est né en 74, Vincent en janvier 76 et Aurélie en septembre 77. Donc j’ai eu mes enfants. Et après j’ai passé un concours pour travailler à La Poste, que j’ai eu et donc je suis partie travailler sur Paris, et après je suis revenue travailler à Lille. Ensuite, du fait que je me suis séparée de mon mari, je suis revenue habiter à Ferfay en 85. Et là, paradoxalement, ma mère qui avait quand même quelques années de plus, elle a accepté de s’occuper d’un des gamins, et ma belle-mère elle s’occupait des deux autres. Comme je travaillais à Lille, j’ai demandé à travailler la nuit. Les enfants dormaient chez papi-mamie et chez mamie de l’autre côté. Ainsi va la vie. Et c’est en travaillant que j’ai rencontré mon nouveau mari.

DEVENIR MAIRE

Line : C’est tout un concours de circonstance en fait. Mon père est décédé en 87, dans l’exercice de ses fonctions de maire. Pour élire un maire il faut que le conseil municipal soit au complet. Comme il était mort et qu’il y avait déjà eu un décès avant (je pense que c’était le père de Cathy), il fallait donc d’abord élire deux conseillers municipaux. Mais moi, franchement, jamais un seul de mes cheveux n’avait pensé à remplacer mon père. Et à l’époque c’était Élie Suchet et Gaston Nicolle (tu te rappelles d’eux ? oui.), c’était deux personnes qui étaient déjà sur la liste, ils sont venus me voir. Moi je dis oui, pourquoi, pas. Mais dans ma tête c’était Francis, c’était mon frère, qui habitait à Ferfay depuis tout le temps. Du coup, je demande à mon frère qui me dit non, ça ne me gêne pas, tu peux te présenter. Je le fais. Sauf que c’était des élections partielles en 87, je n’ai d’ailleurs pas été élue. C’est deux personnes de l’opposition qui sont passées. (Je me suis présentée avec Pascal Bouche, et on n’a pas été élus ni l’un ni l’autre, donc en 87). Et en 89, nouvelles élections, ils m’ont redemandé. Et là, je suis entrée au conseil municipal, vous voyez, ça fait 32 ans. Et j’ai tout de suite été adjointe, sans rien demander à qui que ce soit. Et puis après Élie Suchet, il avait déjà de l’âge, il a vite passé le relai à Gaston Nicolle et moi je suis devenue sa première adjointe très rapidement. Et pareil lui il est décédé après deux mandats, et c’est Régis Lhomme qui a pris la fonction.

Justine : Régis, on le voit le 6 novembre. Avec sa femme, c’est de la famille à toi ?

Guy : Non, elle s’appelle Alloucherie, mais non, je ne sais pas, non, ce n’est pas ma famille, je ne sais pas.

Line : Peut-être pas, non, parce qu’elle est d’Isbergues. Mais bon, quelques fois, on est surpris. Moi j’ai fait un peu ma généalogie et en fait, rapidement, comme la famille elle a pas trop bougé, on s’aperçoit qu’on a, sur 3 ou 4 générations en arrière, c’est pas vieux, des oncles et tantes, des frères et sœurs.

NUMÉRO 3, LE VILLAGE ET L’ENGAGEMENT

Line : La différence entre le centre et la cité a changé parce que maintenant il y a un regroupement pédagogique. Du coup, dès qu’ils sont petits, les enfants, ils sont ensemble. Avant il y avait 3 écoles : école des filles et école des garçons au village et l’école mixte à la cité. Et il n’y avait pas de mélange. Maintenant, les enfants ne font plus de différence. À l’époque à la cité c’était des mineurs, au village c’était des gens un peu plus… cultivateurs ou bourgeois. Maintenant, c’est mélangé. Mais il a fallu quand même deux salles des fêtes. J’ai été présidente du comité des fêtes, alors on a créé Les Géants de Ferfay, on les a sortis pendant des années. Je suis tombée dans la marmite quand j’étais petite. J’ai toujours baignée dans le milieu associatif. Oui, oui, j’étais syndiqué oui. À la CGT oui. Et je suis toujours au parti communiste, je suis membre. Mais il n’y a que moi au conseil municipal. Après moi, j’impose pas mes idées. Sauf quand il s’agit d’aller voter pour le sénatoriales.

FERFAY À NOËL & DES SOUVENIRS DE GLACES (EN ÉTÉ).

Line : On donne des cadeaux aux enfants pour Noël, c’est pas grand chose, mais il y en a qui sont attachés aux cadeaux de Noël, on est attaché à ça. Il y a plein de gens qui me parle encore de Pif et des gadgets qu’il y avait dans les sachets. C’était fabuleux quand même. L’année dernière, comme il y a eu le covid, on a demandé à un monsieur qui a des chevaux, alors il avait amené une charrette, il y avait le Père Noël, il y avait Cathy et Caroline déguisées en lutins – les petits lutins du conseil municipal – les gens ont été enchantés. Il y avait la musique de Noël. Moi j’étais devant, j’allais taper aux portes pour dire le Père Noël est là. On a eu de la chance, il faisait beau. Je pense que si on refaisait, on referait différemment, on ferait peut-être en passant un peu dans des rues de Ferfay, pour que les gens puissent faire toutes les photos qu’ils veulent. Mais on ne va pas refaire toutes les rues… l’année dernière, toutes les rues de Ferfay à pied, c’était quelque chose, même pour le cheval.

On va pour se quitter, mais les souvenirs ne cessent de surgir.

Line : Y avait les tournées, les commerçants qui venaient avec leurs camions.

Guy : Y en avait bien au moins un, tous les deux jours.

Line : On prenait un coup chez l’un un coup chez l’autre.

Guy ; Et puis, c’était pour ne pas vexer aussi, on prenait un peu à tout le monde. Pour les fruits ma mère elle faisait attention de prendre un peu chez tout le monde. Sinon, ça faisait des histoires.

Line : Et le marchand de glaces, ils couraient tous derrière le marchand de glace.

Guy : Je vois encore la voiture jaune. Les glaces. On avait le goût dans la bouche rien qu’à voir arriver la voiture jaune.

Jean-Marc – Un récit de Ferfay

ARRIVER À FERFAY

Jean-Marc : Je suis Jean-Marc Blondel, j’habite à Ferfay depuis 92 dans une maison que j’avais achetée en 89, mais il y avait beaucoup de travaux pour la rénover, ce qui a pris deux ans. J’ai tout rénové par moi-même, en dehors de mes heures de travail, ça prend du temps.
À la base je suis natif de Norrent-Fontes, né là-bas, à la maison, à l’époque tout le monde n’allait pas en maternité, donc vraiment on peut dire natif de Norrent-Fontes. Et ma femme est native de Amettes juste à côté. Donc quand on s’est connu on a loué une maison sur Amettes. Et puis on s’est mis en quête de trouver une maison, on a eu le coup de cœur pour cette maison dont on a gardé les murs et la charpente. On a donc commencé à habiter Ferfay en 92. Maintenant on est ferfayen, ferfayenne. Heureusement que c’est Ferfay. Avant ça s’appelait Frefaï et je ne sais pas comment on aurait appelé les habitants de Frefaï.

VIVRE À FERFAY : COMITÉ DES FÊTES & MAIRIE

En septembre Justine (de Culture Commune) avait fait du porte-à-porte pour prévenir de la venue du spectacle la compagnie Ma. Sans le savoir, elle avait tapé à la porte de la maison de Jean-Marc.
Il raconte : Elle me dit : « bonjour, vous savez qu’il y a un spectacle ce soir. » Alors je lui dis oui, quelque part, entre parenthèses en tant que co-organisateur, je suis au courant ! Mais elle ne m’a pas reconnu tout de suite. On s’était déjà rencontrés, mais on ne s’est pas reconnu tout de suite, on s’étaient jamais vus sans masque.

Quelques années après mettre installer à Ferfay, j’ai commencé à participer à ce que faisait la commune. Et puis je suis devenu conseiller. Et là, depuis les dernières élections, je suis passé adjoint. Et je suis aussi président du comité des fêtes. En fait, dès que je suis rentré au conseil municipal, je suis rentré au comité des fêtes, comme bénévole, ça s’était automatique. J’avais déjà fait des choses, donné des coups de main au comité des fêtes, ça ne m’a pas dérangé. Moi, c’est ma nature, je dis oui, et je participe. Je suis président, et tous les ans, je remets ma place en jeu. Mais personne ne veut prendre la place. Je la propose à mes amis, mais pour l’instant, personne ne la veut. Mais, même en temps que président, je laisse le débat se faire pour les décisions, avec tout le monde, y compris les bénévoles. Je ne suis pas autoritaire. C’est ma vision des choses d’une association. Une association, c’est collectif, c’est convivial.

LES TRÉSORS DE FERFAY

Jean-Marc : La dernière comtesse d’Hinnisdael qui va se faire enterrer ici . Chapelle reconnue au patrimoine. La chapelle a un intérieur qui vous laisse bouche bée.

QU’EST-CE QUI FAIT QU’ON RESTE À FERFAY ?

Jean-Marc : Parce qu’on est à la compagne, on est bien. Moi, je ne me voyais pas à Paris, où les gens ne sourient pas, ne savent pas se dire bonjour, où quand vous dites bonjour à quelqu’un, on vous regarde d’un air de dire « qu’est ce qui veut celui-là ». Je ne me vois pas vivre en ville. Je suis quelqu’un de la campagne. Même Auchel, c’est une ville. La ville ne m’a jamais attiré. Les lumières de la ville, ce n’est pas pour moi. Ici, on est proche de la ville, en restant à la campagne, et on garde notre tranquillité à la campagne, on est bien. Et Ferfay, c’est une petite commune qui essaie de faire les choses bien.

LA CITE, FERFAY CENTRE & LE FOOT.

Jean-Marc : N’étant pas natif de Ferfay, je n’ai jamais fait la différence entre Ferfay centre et la cité. Je vois qu’il y a des gens qui font la différence, ça s’estompe, mais c’est encore visible. Il y a deux salles des fêtes, quand il y a quelque chose ici, il y a très peu de gens de numéro 3, quand il y a quelque chose là-bas, il y a peu de personne du village. Mais, à l’époque il y avait une sacrée rivalité, fallait pas mélanger.

Guy : Oui, j’ai connu ça moi. On faisait des parties de foot. Nous (à numéro 3) on avait un terrain, et eux ils n’avaient pas de terrain. Nous on étaient entraînés, on étaient tout le temps sur le terrain. Donc on gagnait à chaque fois. Oui, il y avait toujours une rivalité, une rivalité de classes.

LES SOUVENIRS & LE PRÉSENT

Jean-Marc : Je me souviens quand on n’avait pas l’eau courante. Je me rappelle de l’arrivée de l’eau courante à la maison. Avant, on allait chercher de l’eau dans les fontaines.

Guy : C’était il n’y a pas si longtemps que ça. On discutait d’écologie avec Isabelle (qui est une militante écologique et tout ça, et elle a raison, elle se soucie de la planète). Parfois, j’entends les gens parler de décroissance et tout ça, ils parlent d’un monde où on aurait pas besoin de tant de choses. Mais moi j’ai connu ce monde là. Il n’y a pas besoin de réinventer. Faut se réadapter. Par exemple, les frigos et tout ça. Moi, je me souviens, tout était dans la cave. Un jour, mes frères et sœurs ont offert un réfrigérateur à ma mère et ma mère l’a trouvé tellement beau qu’elle ne l’a pas utilisé. Elle l’a mis dans le salon pour mettre des fleurs dessus et tout ça. Elle l’avait branché au début puis en fait elle trouvait qu’il faisait trop de bruit. La cave suffisait. Et on ne jetait rien. Il n’y avait pas de plastique et tout ça, tout était recyclé en fait.

Rose-Marie – Un récit de Ferfay

L’ARRIVÉE CHEZ ROSE-MARIE

Rose-Marie : Je peux vous offrir un petit coup ?

Guy : Non, de l’io. Après on arrive plus à travailler.

Rose-Marie : Ah oui, et maintenant on n’a plus le droit. Si on conduit, on n’a plus le droit. Avant on pouvait offrir un petit coup aux facteurs. C’était des personnes gentilles. Un facteur, il rendait beaucoup service à ché vieux.

FERFAY, L’ACCUEIL UN 14 JUILLET

Rose-Marie : Rose-Marie Martel, je suis native de Bourecq, et je viens d’une famille de 6 enfants. Deux frères avant moi, moi, une sœur, un frère et puis une sœur. La première fille et la troisième enfant d’une famille de 6. Mon père il a été mineur pendant 37 ans et demi, il allait au fond. Mon père, il était petit, il avait un béret, il se promenait tout le temps à vélo. On n’avait pas de voiture à l’époque. Maintenant il y a plein de voitures, mais avant, il n’y en avait pas tellement.
Alors, je suis arrivée à Ferfay, c’est tout simple : mon père lui est natif de Bourecq et ma mère elle est native de Quernes. (un bio petit village, il y a encore un moulin). Ils se sont mariés. Après leur mariage ils ont habité dans la maison des grands-parents de mon père, où mon père il est né, et nous on est tous nés là, les 6 enfants. Au début, mes parents avaient la maison en location, mais ils ont dû déménager, alors, comme il était mineur, il cherchait une maison dans les corons. Au début, il cherchait dans les corons de Lières, et puis il n’en a pas trouvé. On nous a dit Ferfay : il y a un terril à Ferfay. Et on est arrivés à Ferfay.
C’est vrai, on a été bien accueillis à Ferfay. On est arrivés un 13 juillet. Le lendemain c’était le 14 juillet. Ferfay, à l’époque la commune elle donnait des brioches et un paquet de boulettes à tous les gosses. Ça je m’en rappelle. J’avais 13 ans. Ils sont venus taper à la porte pour qu’on vienne chercher notre cadeau, on venait d’arriver, on pensait pas qu’il y en avait pour nous.

DES BONS VOISINS & DES SURNOMS

Rose-Marie : On a été bien accueillis et on avait des bons voisons. On leur a donné des coups de main. Y a avait grand-père Lherbier avec sa femme. C’est sa femme qui m’a appris à tricoter et puis à faire du crochet. Pourtant je ne l’ai pas connue longtemps parce qu’elle est morte jeune, Jeanne. Grand-père Lherbier on l’appelait Toubac.

Guy : Toubac, c’était l’tabac. Je sais pas pourquoi on l’appelait comme ça.

Rose-Marie : On sait pas pourquoi, parce qu’il fumait même pas. Je l’ai jamais connu fumer.

Guy : Tout le monde avait avant un surnom. Min père c’était Ch’Pron. J’ai jamais connu pourquoi.

Rose-Marie : Min père c’était, Torboyo, parce qu’il boitait. Il avait attrapé une méningite étant petit, il est resté paralysé. Et 37 ans au fond. C’était un petit bonhomme, il était pas haut, il était pas gros : si’il faisait 60 kg tout mouillé… C’est vrai, il était pas gros.

LA DUCASSE AVANT & TOUTES LES PERSONNES À ALLER VOIR AUJOURD’HUI

Guy : Vous être arrivés pour le 14 juillet, mais au 15 août… je me souviens, il y avait La Ducasse à peu près à cette époque.

Rose-Marie : Il y avait une Ducasse, oui, au 15 août.

Rose-Marie parle de personnes que Guy a connues. Mais nous nous ne comprenons pas tout, quand Guy et Rose-Marie se parlent.

Rose-Marie : Vivianne, tu pourrais aller lui parler.

Guy : Vivianne c’était la fille de Camille.

Rose-Marie : Oui, Camille elle est là. Elle vit core.

Guy : Vivianne c’était la plus jeune.

Rose-Marie : C’est Marie-France qu’était de ton âge. Elle, elle est partie habiter à Saint-Hilaire Cotte. Colette elle est encore à Saint-Pignon !

… Saint-Pignon c’est ce que j’avais compris, mais je demande c’est où Saint-Pignon, et on me répond : cheu – pignon ? C’est là : à cheu – pignon. C’est à dire au coin de la rue, de cette rue-là.

Rose-Marie : Colette, elle se rappelle de beaucoup de choses. Tu peux aller la voir. Et puis Jacqueline et Suzanne. Jacqueline elle serait contente de te parler.

LES VOISINS, ENCORE & LE BAC À CENDRES

Rose-Marie : Ici, c’était de la terre, et là ici, c’était la rue. La maison était d’un côté (et les deux chambres là-haut) et les toilettes et la réserve du charbon, c’était de l’autre.

Guy : Et il fallait traverser.

Rose-Marie : Ben y a Anne-Marie, qui l’a encore un petit peu. Maréchal qui l’a encore aussi. Ben chez Colette elle l’a plus, mais on voit encore un petit peu comment c’était. Remarque, c’était une bonne époque !

Guy : C’est des bons souvenirs, comme on disait l’autre jour.

Rose-Marie : On avait des bons voisins. Robert Lherbier. Y avait aussi grand-père et grand-mère Delobel. On l’appelait grand-père Bitoul. Nous on était une grande famille et ma mère elle me disait : « va demander à grand-mère Bitoul si elle a pas besoin de toi pour laver sa maison, allez ! ». On s’entraidait. On rentrait le charbon, on rentrait le bacachène.

Guy (nous explique) : Rentrer le bacachène, c’était le bac avec les cendres. Quand tu fais brûler le charbon, on mettait tous les déchets à brûler dans l’cuisinière avec le charbon.

Rose-Marie : Les cendres étaient recueillies dans un bac et il fallait vider le bac dehors.

LES VOISINS, TOUJOURS & MICHEL et MARCELLE

Rose-Marie : Et de l’autre côté de ma maison, c’était la famille Mouveaux. Très gentils.

Guy : Je me souviens des Mouveaux. Ah ouais, ils étaient très gentils. Moi j’avais joué avec l’un d’entre eux au football.

Rose-Marie : Jean-Paul !

Guy : Je me souviens plus.

Rose-Marie : Si ! Jean-Paul ! Ben ils étaient qu’à trois frères. Le plus vieux Guy. Ensuite c’était Jean-Paul. Ensuite c’était beaucoup de filles : Marie-Hélène, Betty, Evelyne, et après il y a re eu un garçon qu’elle a appelé Michel, comme mon père qui était un homme gentil. Par rapport à ça, elle a appelé son garçon Michel. Oui, mon père il s’appelait Michel. Ma mère Marcelle.

LA MAISON

Guy : Alors, il y a eu Bourecq, puis ici. Et vous êtes toujours restés à numéro 3 ? Maintenant on dit Pierre Bachelet, mais nous on dit toujours n°3.

Rose-Marie : Et après je suis restée dans la maison avec mon frère Jean-Paul qui était resté célibataire. On a toujours habité dans cette ancienne maison. Une maison d’époque. Quand je l’ai quittée, c’était la maison d’époque. Et puis j’ai eu l’occasion d’acheter ici, la maison d’André, à 59 ans. Il y a 8 ans, au mois de juillet, que j’ai acheté. La mairie a eu l’occasion de reprendre la maison. J’avais eu du mal à la quitter. J’y suis restée 46 ans. Ils ont tout refait, tout était abattu, tout était à terre, même la toiture. Ça me fait toujours quelque chose de l’avoir quittée. Ils l’ont rénovée, mais c’est pas bien. Ils ont rebouché la cave, c’est mal conçu :
En haut, ça a été modifié. Tu vois l’escalier où il est ? Bon l’escalier il arrivait là. Il y a plus de cloison alors ça te fait une grande pièce. T’arrives à l’escalier, en haut : t’as une porte pour aller à une petite chambre. Bon t’as un coin, il existe plus, puisque tout a été abattu, t’as une grande pièce. T’as un petit palier en haut. T’as une porte pour aller à la petite chambre. Mais alors, la maison elle est plus triste que l’ancienne. Après devant toi, ça fait un côté un placard, l’autre côté des toilettes. Ils ont installé des toilettes. Puis la grande chambre : elle est diminuée parce qu’ils ont voulu faire deux pièces à peu près pareilles. Ça a plus rien à voir. Ils ont construit tout le long, il y a plein de portes-fenêtres. Une grande porte fenêtre, ça fait un couloir, une cuisine, un petit couloir, un placard avec tous les trucs électriques, et puis dans un coin, il y a le chauffe-eau. Donc t’arrives il y a une grande porte-fenêtre et là c’est la cuisine. Mais la porte fenêtre là elle sert à rien parce qu’il y a un couloir, c’est pour donner de la lumière. Après la cuisine, il y a encore un petit couloir et un petit couloir et une petite fenêtre et là derrière, il y a une porte et là une salle de bain. Et la salle de bain elle est dans le noir. Et à côté t’as les toilettes. Et au fond il y a une troisième chambre et il y a une porte-fenêtre et après t’as une porte-fenêtre mais pour y aller il y a un débarras. Mais faut sortir de la maison pour aller dans le débarras. Tu vois l’utilité ? Et puis, il y a même pas de garage. Tu vois l’utilité ? C’est mal conçu. Et après ils ont mis le chauffage électrique, j’espère que c’est bien isolé. Et après interdit de faire une cheminée et interdit de faire un poêle à pellet. Qui c’est qui va louer ça avec l’électricité qui augmente? Et location 650 euros ! Pour une maison de coron ! Y a presque plus de terrain, il y a pas de garage, pas de cave. Pour te débarrasser t’as que le débarras, mais il est pas grand.

Benoît – Un récit de Ferfay

On arrive dans une grande ferme, Chaussée Brunehaut. C’était une ancienne brasserie. Maintenant c’est un gîte qui s’appelle « Holiday-home », mais Benoît Martinage nous explique qu’ici, tout est resté dans son jus.

FERFAY & AVESNES

Benoit : Ma mère était originaire de Ferfay. Elle est née à Ferfay, mais pas ici dans la ferme : elle est née dans une autre ferme à 150 mètres d’ici. Ma grand-mère arrivait de la région du secteur de Montreuil-sur-Mer. Mes grands-parents sont venus ici dans cette bâtisse, à la fin de la guerre parce que ma grand-mère cherchait une ferme un peu plus grande et le propriétaire tenait à ce que ce soit elle qui l’achète. Je ne sais pas pour quelle raison, mais voilà. Et la ferme est restée dans son jus. C’était une brasserie. Il n’y a pas eu de transformation, la maison est toujours restée dans le contexte de l’époque… Moi j’ai vécu ici : enfin on y venait passer nos vacances, c’était notre colonie à nous. Quand vous êtes petits vous avez un parc derrière, c’était énorme, on passait nos journée dehors, on s’inventait des jeux. Et je suis parti d’ici j’avais 18 ou 20 ans, je ne suis plus revenu : les études, puis je suis parti à l’étranger. Moi je suis du sud du département du Nord, dans la région du Val Joli, entre Avesnes et Maubeuge

Justine (de Culture commune) : Je viens de là, moi ! J’ai vécu 10 ans à Avesnes.

Benoît : C’est quel nom ?

Justine : Trichot.

Benoît : Avesnes-sur-Helpe. Mes parents ça fait plus de 60 ans qu’sont là-bas. Ils ont peut-être eu l’occasion de se croiser. C’était quel village exactement ?

Justine : On a vécu à Avesnes-sur-Helpe. Et puis là à Bas-Lieu.

Benoît : Bas-Lieu ? C’est pas en allant plus sur…

Justine : … sur la route nationale en sortant d’Avesnes, pour aller vers Maubeuge.

Benoît : Ah ben, Bas-Lieu oui, c’est… avant Les Trois Pavés ?

Justine : Oui ! C’est ça ! Avant Les Trois Pavés !

Benoît : Ah, peut-être ils se sont croisés.

Justine : Ah ben c’est pas impossible.

Benoît : Des fois, à l’autre bout du monde, on rencontre des gens. (De Ferfay à Avesnes, on parle de bout du monde.) Mais une fois, ça m’est arrivé en Afrique. J’ai rencontré une dame qui ne connaissait qu’un seul village dans le Nord, c’était le mien. Et qu’elle ne connaissait qu’une seule personne, c’est quelqu’un que je connaissais aussi.

FERFAY & CHARLEVILLE

Benoît : Pour revenir à Ferfay…. Je suis revenu ici il y a 7 ans, après avoir vécu dans les Ardennes, à Charleville, le pays de Rimbaud. Le lavoir, là où il a écrit le Bateau Ivre, il y a beaucoup de voiture qui sont rentrées dedans, il est tout esquinté, il a plus grand-chose de l’origine. Ah, mais bon, les gens disent c’est là qu’il a écrit. Mais le lavoir, il n’a plus grand-chose d’origine.

LA BRASSERIE & L’HISTOIRE

Benoît : Pour revenir à Ferfay…. Ici, c’était une brasserie. A Ferfay, il y avait une dizaine de cafés. D’ici, pour aller vers le terril, il y en avait au moins trois ou quatre. Ici, c’était un café. Donc il fallait abreuver tout ce monde là. C’était pas des bières comme maintenant, lyophilisées qui pouvaient se conserver. Non, c’était des bières qui se consommaient tout de suite. C’était livré à cheval, donc le rayon d’action il n’était pas non plus grand grand. C’était 7 ou 8 km. À Lillers, il y en avait une autre de brasserie. Ça devait bien tourner. Ça a tourné jusqu’au début de la seconde guerre, parce que les allemands, quand ils sont arrivés, ils ont piqué tout le matériel qu’il y avait dans la brasserie. Ils ont récupérés tout ce qui était fer et cuivre. Donc, il n’y avait plus de matériel pour faire la bière. Certaines brasseries ont eu de la chance parce que les allemands ne sont pas passés par là et n’ont pas pris le matériel. Ici c’était une base pour l’état-major. Ils n’allaient pas prendre les petites baraques pour l’état-major.
À la fin de la guerre ma grand-mère a acheté cette maison. Et il y a 20 ans, quand elle est décédée, on s’est demandé ce qu’on allait en faire. On s’est dit d’abord, on fait un peu de rénovation, ça protège le bâti, on verra par la suite. On s’est dit (après avoir fait un peu de location) qu’on allait en faire un gîte, même si ça paraissait un peu fou. Parce qu’on parlait pas du tourisme comme maintenant. Y avait pas d’internet. Mais l’internet a permis de faire beaucoup de chose dans le tourisme. À peine mis sur internet… le premier touriste est venu à la fin de la première semaine. Les gens viennent d’un peu partout. Depuis le Brexit, il y a moins d’Anglais, mais il y a d’autres gens : les gens qui transitent, mais aussi des gens du coin, quand il y a de la famille qui vient en visite.

GÎTE & MAISON DE FAMILLE.

Benoît : C’est un concours de circonstance que je revienne à Ferfay, et mon travail me le permettait. Et maintenant, pour ma famille aussi, ce gîte c’est une maison de famille. Et je découvre ma région, je vais voir les choses moi-même, pour conseiller les touristes. Et je vois des choses que les gens du coin ne vont pas voir ou dénigrent.

Courts-Circuits – Ferfay

Culture Commune – Loos-en-Gohelle – annonce : « La Scène Mobile revient au plus près de chez vous ! ».
La Scène Mobile ? À Ferfay, le 12 novembre, à 19h, ce sera « Courts-Circuits » !
Sur le site de Culture Commune, on peut lire :
Un court-circuit est une émotion qui entre en fusion avec une autre émotion, et tout s’enflamme. C’est l’étincelle qui met le feu ! « Courts-Circuits » c’est un banquet philosophique qui traverse les temps… Sur fond musical, Guy Alloucherie se raconte, nous livre des anecdotes, nous emmène dans son univers. (…) »
 ... nous emmène dans son univers
Mais Guy vient de Ferfay, c’est là qu’il a grandi, c’est là qu’il a été à l’école. Alors le 12 novembre, ce sera particulier, parce que c’est un Ferfayen qui nous amène dans son univers et qui va le faire à Ferfay-même, et ce sera la première de « Courts-Circuits ».
Avant cette date, nous avons la chance d’avoir pu prendre du temps pour venir à la rencontre des habitants de Ferfay, qui, parfois connaissent très Guy.