PASCALE – UN RÉCIT DE FERFAY – Partie 3

DES ANNÉES SANS SE QUITTER

Pascale : Moi j’étais très… Mais Guy, on ne s’est pas revus. C’est ça qui est quand même un peu paradoxal dans notre cheminement de vies. C’est que, j’étais très bonne en allemand aussi. D’ailleurs j’avais eu la meilleure note au bac. Je me rappelle on m’avait félicitée au Lycée d’Auchel. Mais bon, tu sais mieux parler allemand que moi maintenant, quand tu m’envoies maintenant des mots en allemand, parfois je me souviens plus trop bien. Parce que toi après t’es partie en fac d’allemand… Et je ne savais que ça de Guy. Alors que finalement, on était très proche quand même….

On parlait de Brassens. C’était mon compositeur préféré. Moi, fille d’ouvriers, Brassens, pour moi, c’était l’apothéose. Je me vois encore, il y avait un arbre, devant chez ma mère. Je me revois encore, on refaisait le monde, on était un peu…, on rêvait. Après je me rappelle de choses que Guy ne se rappelle plus.

Justine et Isabelle : Peut-être qu’il se souvient, mais il ne veut pas le dire.

Pascale : Je me rappelle quand on a travaillé l’Écume des jours de Boris Vian. Guy ça lui posait problème à chaque fois. Il se posait des questions… Après ça a été La Peste de Camus, et Guy il me disait tout le temps : « Tu crois pas que j’ai la peste, tu crois pas que j’ai la peste, tu crois que j’ai les symptômes ? ». Je me vois encore au terrain de football. On y allait, on s’asseyait là, sur le talus. On parlait, à deux, on parlait. Il n’y a que nous deux dans le groupe qui parlions comme ça. On avait des conversations sur le monde, beaucoup. Et on faisait les devoirs ensemble, là-haut je les ai, il faudra que je te montre : physique, math, tu venais chez mes parents et on faisait ça ensemble, jusqu’au bac.

 

PUIS PLUS RIEN

Pascale : Et après le bac, on s’est quittés et on s’est plus jamais revus. Je suis partie à Arras. On ne s’est plus revu. Je ne sais même pas comment ça s’est fait. Comment on a pu être ensemble si longtemps, puis coupure, plus rien.
Moi j’essayais de savoir parfois si tu revenais, mais je ne savais jamais non plus. Et j’avais entendu dire que tu n’aimais pas revenir, alors tu ne revenais pas souvent.
Tu revenais ?

Guy : Euh, euh, euh.

Pascale : Quand t’étais à Lille ?

Guy : Ouais, oh… euh, pas très souvent… je crois, à un moment, j’ai dû couper…

Pascale : Voilà.

Guy : Euh, enfin, c’est-à-dire, je crois que c’était, euh. C’est-à-dire, si je voulais, comment dirais-je, changer de vie, c’est-à-dire m’installer véritablement à Lille. Je me disais à un moment donné fallait que je coupe le cordon.

Pascale : D’accord.

Guy : Avec les parents. Tu vois ? Je pense. Et j’ai commencé à faire des stages de théâtre le weekend. Et tout ça. Et donc ça m’a pris du temps. Tout ça c’est la faute du théâtre.

Pascale : La nostalgie. Je ne suis peut-être pas très bien, mais je crois qu’il y a une part de ça, de nostalgie. Ensemble, il y a beaucoup de choses, une souffrance, en même temps une richesse. Mais ça nous fait mal sûrement, non ?

Guy : Oui.

Pascale : Pourquoi ? On ne saurait pas le dire, c’est ça qui est terrible. Y a pas de réponse. Y a pas de réponse. Quelque fois on a encore peur d’en parler. On n’est pas encore délivrés. Tu vois, là, je me sens comme prisonnière. Je ne sais pas de quoi. Je découvre ça maintenant.

 

COMMME SI ON NE S’ÉTAIT JAMAIS QUITTÉS

Pascale : Comment ça c’est fait que j’ai revu Guy ? Mon père, dans le journal, à chaque fois il découpait les articles concernant Guy : « Tiens Guy il est là, il est là ». Alors, je le voyais et je le voyais vieillir aussi. Bon moi je l’ai connu jeune. Mais on vieillit, on est tous pareils. Je le voyais vieillir et je le voyais ressembler à son père en vieillissant. Et puis un jour je vois qu’il est à la Comédie de Béthune, et je dis « tiens je vais y aller ». Mais je dis à ma fille « tu viens avec moi », parce que quand même je n’étais pas capable d’y aller seule. Dur quand même. Dur de l’affronter.
Donc j’y vais, je prends mes tickets et je dis à la dame : « Faudrait dire à Guy que sa copine d’enfance, Pascale Lecoq… (je ne donne pas mon nom de femme, après que je me dis peut-être il ne connaît pas mon nom de femme)… Pascale Lecoq vient voir le spectacle. Vous pouvez lui faire savoir ? » – « Oui, oui, très bien, Guy il est gentil, on va lui dire… »

(Le spectacle à Béthune, Guy pense que c’était Les Sublimes, Pascale pense que c’était Les Atomics.)

Pascale : Bon ben voilà, pas de réponse. Le lendemain pas de réponse. Je me dis oh pff. Le surlendemain, voilà Guy qui m’envoie un message : « Je t’attendrai à la fin du spectacle, on se verra. » Et là je me dis : « Mais qu’est ce que je vais lui dire moi, trente ans après. » On s’était quittés à 17 ans, j’avais 50 ans. Qu’est-ce qu’on va se raconter ?On était devenus deux adultes totalement différents, c’est sûr. Qu’est-ce qu’on va se dire ? Et puis je me dis : « Oh, tant pis, j’y vais quand même, si on n’a rien à se dire, on n’a rien à se dire, voilà ». Un peu comme des retrouvailles, des frères et sœurs, ça doit être dur quand même. Mais on était complices tout de suite. Quand on s’est vus, on était contents de se voir déjà. Puis, comme si on ne s’était jamais quittés. Et ce qui était surprenant quand même c’est que Guy il suivait mon parcours et moi j’avais aussi suivi son parcours. Il savait même où j’habitais, parfois il passait devant la maison, je le savais même pas. C’est quand même surprenant. On n’a jamais rompu les liens, tout en les rompant. Ouh, vous voyez, là je ne suis pas bien, je suis sûre là quand même, il y a quelque chose, on est prisonniers de quelque chose.

 

LES CORONS, UNE RICHESSE

Pascale : On a besoin d’être délivrés d’un passé. Parce que les corons, les corons, moi avant je n’y allais pas dans les corons. Je n’y allais plus. Je te l’avais dit aussi, je ne passais plus dans les corons. Parce que c’était les corons, c’était péjoratif, c’était négatif, on nous disait c’était les gueules noires des corons. Ça renvoyait toujours à une image noire. Je ne traversais pas les corons. Jusqu’au jour où, vers la cinquantaine, je ne sais pas ce qui m’a pris, il fallait que je retourne dans les corons, que j’aille voir ce qu’il se passait dans les corons. Et là c’est devenu autre chose. Je me suis dit c’est une richesse d’avoir été élevée dans les corons. Cette enfance qu’on a eue. On vivait en communauté, on était ensemble.

On avait les mêmes jeux.
Les cerfs-volants par exemple. J’ai fabriqué je ne sais pas combien de cerfs-volants. Tu te rappelles ? On était sur le terrain de football, avec du papier journal, de la colle à tapisser, des branches et puis hop. C’était à celui qui allait voler le plus haut.

Guy : Ça partait très loin.

Pascale : On jouait dans la pâture à Fé, on jouait al doche.
On jouait sur les monts de betteraves, on rentrait on était hyper sales. Ma mère elle râlait. Derrière la salle des fêtes actuelle, parce qu’il y avait une bascule, les tracteurs venaient, et ils y avait des montagnes de betteraves.

Guy : Les monts de betteraves, ça s’étalait sur un espace très large. On jouait, on roulait sur les betteraves, comme sur des montagnes. Et on cassait des queues de betteraves et on se les balançait dessus comme si c’était la guerre.

Pascale : Nous les filles, non, mais les garçons oui. Enfin Guy, c’était un garçon très doux quand même, du souvenir que j’en ai.

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