LES SOUVENIRS RESSURGISSENT
On arrive chez Pascale. Émotions. Enfants, Pascale et Guy étaient amis, très proches, jusqu’à leurs 17 ans. Émotions. Saut direct dans le passé. Les souvenirs ressurgissent, dans le désordre, ça s’entremêle, ça se bouscule.
Pascale (en parlant de l’abbé Pierre Olive) : Tu vois où il est dans le cimetière ?
Guy : Oui, oui.
Pascale (à nous, pour nous inclure dans leur histoire à Guy et à Pascale) : Guy, il n’avait pas le droit d’y aller chez l’abbé Pierre Olive. Moi, c’était mon ami. Mais Guy, il n’avait pas le droit d’y aller.
Guy : Oui, parce que mes parents étaient communistes et mon père était anticléricale. Il n’entrait pas dans les églises. Quand il y avait une cérémonie, il restait dehors.
Pascale : Il n’y a que Guy qui n’était pas avec nous pour le cathé. Tu t’en rappelles ?
Guy : Ben oui, bien sûr.
Pascale, riant : Tu nous voyais partir et tu ne venais pas.
Guy parle de la réunion du 18 octobre à Ferfay, organisée par Culture Commune, pour rencontrer les habitants de Ferfay avant la représentation de « Courts-Circuits » du 12 novembre.
Guy : On a rencontré plein de gens à cette réunion, il y avait Rose-Marie Martel.
Pascale : Ah oui.
Guy : On est allés la voir ensuite, on a fait l’interview avec elle, elle parle tout le temps en patois.
Pascale : Ah oui, elle parle tout le temps en patois. À chaque fois que je la vois, on parle, elle est plaisante.
Guy : Elle est toujours dans les corons.
Pascale : Oui, elle a racheté derrière chez ma grand-mère Eugénie. Rose-Marie, elle est arrivée après dans les corons, elle n’a pas été à l’école primaire avec nous. On était ensemble au collège. Et je me souviens, après Rose-Marie a fait l’école ménagère à Auchel. À l’époque, faire l’école ménagère, c’était une façon d’apprendre, un apprentissage, après, on savait tout faire.
Guy : À l’époque, c’était rare de continuer les études. Je me souviens, arrivés en 3ème, il y avait beaucoup de gens de la cité qui partaient au CET (le collège d’enseignement technique). Beaucoup de gens ne se posaient pas de question, c’était : on ne continue pas, on ne fait pas d’études longues, on part apprendre un métier.
DES BILLES DE TERRE JUSQU’À L’ÉCOLE NORMALE
Justine demande de quelle année sont Guy et Pascale.
Pascale, rire : Moi, j’avais une année d’avance, et dans les corons, je fréquentais les mauvais garçons de 58. On était très peu de 59 dans les corons. Des garçons de 58, il y en avait plein. Guy, j’ai été avec lui de mes 2 ans à mes 17 ans. Donc, c’est un peu différent avec Guy. Quand j’avais 4 ans, Guy je ne sais pas si tu te souviens, on faisait cuire des billes. Moi je m’en souviens. Dans le four de ta mère. Y avait un four dans sa baraque, on faisait des billes avec de la terre, on allait dans le jardin et on les vendait 1 centime. Ça, je m’en souviens.
Guy : J’ai toujours eu le sens du commerce.
Justine : … pour un communiste.
Guy : Oui, et si jeune…
Pascale : Ton père c’était vraiment un communiste pur et dur. J’avais lu un truc sur toi, j’ai failli t’appeler. J’ai même été surprise. Tu disais que quand t’étais parti à Lille, franchement tu t’étais pas trouvé à ta place, par rapport à ton père qui t’avait inculqué que t’étais un enfant d’ouvrier. Et qu’en somme, après le bac, tu ne devais pas aller en fac. T’as écris ça quelque part. J’ai lu ça.
Moi aussi, je suis une enfant d’ouvriers. Mes grands-parents étaient des mineurs, j’ai bien connu la mine, mais mon père c’était pas un mineur. Bon, c’était quand même un ouvrier, c’était un maçon. Mais c’est vrai que mon père n’était pas communiste, et je n’ai pas ressenti du tout la même chose après le bac. Moi, au contraire, je ne voulais pas ressembler à ma mère, c’est-à-dire que je ne voulais pas rester à la maison. Je voulais à tout prix avoir une vie totalement différente de ma mère. Je voulais faire des études. Donc après le bac, pour moi, c’était normal que je parte. J’ai toujours voulu être institutrice, j’ai toujours voulu être maîtresse. Quand j’étais chez ma grand-mère paternelle, je passais mon temps à jouer – elle avait gardé les cahiers de mon père dans son sac en cuir – et je revois très bien ce sac en cuir – et je mettais ‘bien’, ‘très bien’, ‘abien’, ‘passable’, ‘vu’, comme monsieur Héroguelle. Et je faisais l’école à Mylène Patignies. Tu te souviens d’elle ? Elle était de 58. Elle habitait pas très loin de chez tes parents. Et sa grand-mère habitait à côté de chez ma grand-mère, donc on jouait ensemble, et bien-sûr j’étais la maîtresse et elle était l’élève, j’avais de quoi faire.
Bon après j’ai passé l’école normale et je l’ai eu en seconde, donc j’ai rien coûté à mes parents, j’avais une bourse. Mais, même avec ce concours passé en seconde, je suis allée au lycée à Auchel jusqu’au bac. Et comme je n’étais pas mauvaise, en math, physique, même en allemand, je m’en sortais bien un peu partout, les professeurs ils m’ont dit, mais pourquoi vous ne faîtes pas un dossier PEGC, à Lille, pour devenir professeur et là on étudiait deux matières. Donc, j’ai fait le dossier pour Lille. Mais là, pour vous dire quand même que j’étais une fille d’ouvriers, le dossier était rempli, pour ma mère oh là là, c’était tout une histoire que j’aille à Lille, elle disait que Arras c’était plus près, et il y avait l’internat, donc, c’était la sécurité quand même pour mes parents, moi je n’avais que 17 ans. À l’époque, quand on n’avait que 17 ans, qu’on arrivait du village, c’était pas comme maintenant. On n’allait nulle part, on allait au village, puis au lycée, et c’est tout, c’était une petite communauté. Et donc, de ce fait, je n’ai pas rendu le dossier. Je suis partie à Arras. Finalement ça m’a plu, et donc je ne suis pas allée à Lille après. Et j’ai adoré mon boulot. Je ne gagnais pas beaucoup, on ne gagne pas trop quand on est institutrice, mais j’ai vraiment adoré mon boulot.
J’ai commencé à Violaines, puis Béthune, Beuvry, Bas-Rieu, Lières, Norrent-Fontes, Burbure, Lillers, Cauchy. J’ai toujours été dans le secteur. Quand j’ai terminé, j’étais au collège : moitié au collège, moitié dans ma classe. Je ne voulais pas quitter ma classe. On est comme ça, on est possessif, des locaux, des élèves. De fait, je ne voulais pas quitter ma classe. On m’a proposé d’aller au collège, pour mettre en place un projet pour des élèves en difficulté. J’ai réfléchi, puis j’ai accepté, et finalement, ça m’a plus aussi. Avec les collègues du collège, je m’entendais hyper bien. Et j’en ai de très bons souvenirs.
Je suis très vite revenue habiter dans le coin, j’ai habité Lillers, Ferfay, et après on acheté le terrain ici, c’est-à-dire que c’est Ferfay, c’est juste au bout de la rue. Mais ici (à Ames), j’aimais pas. Alors que Guy il trouve toujours que c’est très joli. Même le nom il est beau, il dit Guy. Mais moi je ne trouve pas ça joli. Moi quand je vais dans le centre, ça me mortifie, c’est un village – je vais dire le contraire de toi (Guy) – qui n’a pas de vie, qui n’a pas d’âme. Surprenant. Guy, il voit ça de l’extérieur. Peut-être qu’il a raison, je ne dis pas que j’ai raison. Je peux me tromper, mais… Je pense que c’est bien d’avoir un point de vue extérieur.
Guy : Ames, ça n’a rien à voir avec Ferfay. Ce qui change tout à Ferfay c’est les différents hameaux, n°2, n°3, le centre. On est dans les mines, ou dans ce qui reste des mines, mais qui est encore très prégnant. À Ames, il y a un terril, mais ça fait longtemps qu’il ne reste plus rien des mines.
Pascale : À Ames, y a pas beaucoup de mineurs.
Guy : Les gens d’Ames venaient à Ferfay. Mon père il était d’Ames. Ses parents étaient cultivateurs ici (à Ames), et ensuite tous les cultivateurs partaient pour travailler à la mine. Certains avaient même deux métiers : c’est-à-dire dans la journée ils allaient à la mine pour gagner un peu d’argent à la mine, et le soir, il travaillait à la ferme. Parce que dans les fermes, c’était la misère.
CORONS, GERMINAL, CAYENNE ET NOMS DE FLEURS
Guy : On a vu aussi Jean-Marc Blondel. Et Line.
Pascale : Jean-Marc c’est un cousin germain. Et nous on était voisins de Line. Line c’est comme ma grande sœur. Elle m’a appris tout ce qu’il ne fallait pas. C’était mon modèle. C’est ma grande sœur. J’ai habité avec elle parce que d’abord j’ai habité à côté du baraquement où elle habitait (mes parents ont habité là). Et après quand ma grand-mère est décédée, on est allés habiter dans les corons, chez mon oncle Maurice, à côté de chez tes parents. Et après, mes parents ils ont bâti au-dessus, et donc j’ai quitté les corons. Mais moi, je jouais toujours dans les corons. Donc, dans les corons, on habitait 14 rue de Baillancourt. Et toi ? 9 ? 9 rue de Baillancourt ! Non, on n’était pas loin ! Maintenant c’est la rue des Lilas.
Guy : Rue des Lilas. Ils ont donné des noms de fleurs à toutes les rues, pour adoucir certainement. Ça aseptise.
Pascale : Mon oncle Maurice (14 rue de Baillancourt) c’était la dernière maison de corons comme avant : c’était Germinal. Un ancien mineur. Le frère de ma mère. Pour mes enfants aujourd’hui, c’est insensée une maison comme ça. Mon oncle Maurice, il avait 80 ans. Pas de salle d’eau. Pas d’eau chaude, pas de chauffage. Les toilettes dehors, au milieu du jardin. Quand les pompiers sont venus, ils ont dit : c’est Germinal ici ! Je crois que c’était le dernier. Il y avait encore quelques maisons comme ça, mais il n’y avait personne dedans. Maurice c’était le dernier.
Moi je suis née dans les corons. Ma mère elle a accouché là. On est né tous les trois dans les corons. On a appris le français à l’école. On parlait patois. Je suis née à Ferfay. Je suis née à Cayenne. Tu te rends compte. C’était le ‘bagne’, les mineurs étaient considérés comme des bagnards. Je me suis demandé pourquoi Cayenne pour les corons de Ferfay, je pense qu’il y avait des corons qui étaient beaucoup plus jolis. À Ferfay, c’était le minimum, le minimum vital.
Guy : Je me demande s’ils ne mettaient pas les gens les plus durs à Ferfay.
Pascale : Je pense qu’il y avait quelque chose comme ça. J’ai déjà lu mais je ne me souviens plus.
Bonjour,
Fils, petit-fils, arrière petit-fils de mineurs, j’apprécie le témoignage de tous ces gens qui veulent perpétuer la mémoire d’une commune, de la vie de mineur très rude, la houille, son terril …ce fameux terril où ma mère allait jouer…..les corons, surtout le n°3 où elle est née et qui n’a jamais connu sa mère, décédée 3 jours après sa naissance à l’âge de 23 ans… toujours présente et âgée de 92 ans…je discute souvent avec elle de ce passé minier. La tombe de ses parents est au cimetière de Ferfay…pour combien de temps !!!
Je m’efforce de retracer la mémoire de cette grande famille,, une famille qui a vécu également aux USA, d’ailleurs mon grand-père est né à Courtney en Pennsylvanie.
Jamais on ne parle de cette exode aux USA pour une vie meilleure, aucun document dans la commune pour tracer leur départ mais surtout leur retour sur le sol Français…du moins je le suppose!
Aussi je suis preneur de documents, de photos, témoignages…
J’ai réussi à remonter tout de même leur parcours aux USA (départ, lieu de travail etc. avec le concours de « petits-cousins »…mais il y a encore beaucoup de travail.
Bonne continuation, très beaux et bons témoignages.