RÉGIS ET RÉGINE – UN RÉCIT DE FERFAY

LA MAISON DE MES GRANDS-PARENTS

Régis : Tu reconnais ? C’est la maison de mes grands-parents ! Je ne sais pas si c’est ce que j’ai fait de mieux de racheter la maison de mes grands-parents. (Rire). Financièrement, je ne compte plus. J’ai compté au début, mais après j’ai dit je vais arrêter. Mais sentimentalement, c’est bien. Je suis revenu dans mon village, dans la maison de mes grands-parents.
Est-ce que je dois parler patois ou français ? J’ai travaillé à Chalon-sur-Saône là-bas on parlait français. Mais, quand mon frère il me téléphonait, je disais : « Allô » et après, je te jure que c’est vrai, je disais : « Ah, ch’est ti ? », et je continuais en patois. Alors qu’il y en a, ils sont partis deux semaines, ils reviennent ici, ils ne savent plus parler patois. Mais moi, j’ai toujours parlé patois. À tort d’ailleurs parfois. Phonétiquement, ce n’est pas élégant.

Guy : C’est plutôt la réputation qu’on en a faite. Ce n’est pas que ce n’est pas élégant. C’est la réputation qu’on en a faite. Au début, je me suis dit, mon dieu, si je parle patois, qu’est-ce qu’on va dire, je vais être catalogué. Même juste l’accent.

Régis : Oui, l’accent, l’intonation. C’est en Touraine qu’on parle le mieux français. (Soit disant.) Mais oui, quand même, ma nièce elle habite la Touraine, ils parlent un français qui est beau.

Justine : Le patois, c’est un dialecte, une langue régionale qui doit être valorisée autant que les autres. 

Régis et Régine nous servent du café, « un vrai café ch’ti, avec de la chicorée dedans » et avec an gauffr’ du Nord.

Régis : Ah ben t’as raté mon frère, il est parti ce matin. Ben, c’est Bruno, tu l’as peut-être connu, il était de ton âge.

Guy : Bruno, ah oui, on était dans la même classe en CM1, CM2, avec monsieur Héroguelle.

Régis : Bruno, il habite dans le Cantal maintenant.

Quelques blagues fusent – on ne peut pas tout écrire ici.

Guy : Pas mal. Ça me rappelle mon oncle Abel. Abel Lesur. Le père de Marylise. C’était à mon avis quelqu’un qui souffrait beaucoup, il était pas facile dans la vie de tous les jours.

Régis : Ah ben, les Lesur, d’une façon général, ils étaient réputés pour être assez vifs.

Guy : Et ma mère, elle pouvait être très dure. C’était une Lesur. Très très dure. Enfin. Abel il était très drôle, quand il venait à la maison, on riait, on riait. C’était blagues sur blagues. Et j’en ai toujours retenu une, c’était le fameux : « J’vais reprendre du pâté, la moutarde elle est bonne ».

 

FERFAY ET LA VOYETTE

Régis : Enfin, moi je ne suis pas natif de Ferfay, parce que je suis né à la maternité, comme toute le monde à l’époque. Je suis né à Auchel. Mais, enfin, mes parents étaient de Ferfay, mon père, mes grands-parents, mes arrières grands-parents, ils étaient de Ferfay, de la cité même. Attention, la cité et le village, c’était deux entités. Moins maintenant. On essaie de relier les deux entités.

Justine : C’est quoi votre rôle à la mairie ?

Régis : Je suis premier adjoint.

Non, je n’ai pas vécu toujours à Ferfay. Je suis parti et revenu. Je suis parti à 15 ans-et-demi pour l’école de l’armée de l’air, à Auxerre. À partir de là, j’ai toujours bougé. On a déménagé 7 fois.

Régine : Ah non, je ne suis pas de Ferfay, moi je suis d’Isbergues. Moi je suis de la ville ! On a bivouaqué un peu partout et après on a décidé de revenir habiter ici.

Régis : J’ai quitté l’armée de l’air pour partir dans le privé. J’ai toujours travaillé pour l’aviation : militaire, civile, etc. Et j’ai intégré la DGAC, la direction générale de l’aviation civile, enfin, c’est comme ça que ça s’appelle. Mon premier poste c’était le Touquet. Après je suis arrivé à Lesquin. Et puis on est revenus par ici et en 1983, on a eu l’occasion de racheter la maison de mes grands-parents. Et d’ici on faisait la route jusqu’à Lesquin. Ensuite, on a passé des concours, toujours dans l’aviation civile. On a été tous les deux reçus, Régine devait partir à Toulouse et moi à Paris, et notre fille était ici. Alors, on s’est réunis tous les trois et on s’est dit qu’est-ce qu’on fait ? Moi j’aimais pas trop Paris, j’ai dit, toi (Régine), tu m’as toujours suivi, à toi de partir à L’ENAC pour faire ta carrière. Elle est partie et moi j’ai refusé mon poste à Paris. Après, j’étais rayé des cadres ; c’est pas bien vu, c’était un bon poste, j’étais chef de la navigation aérienne à Orly.

Régine : Moi j’étais une littéraire, français, anglais. Mais là, les matières techniques, c’était quelque chose. En math et en physique, j’avais 37 ans, je me suis retrouvée avec des gens qui sortaient de prépa, moi, j’avais pas fait prépa. Je rentrais le weekend ici. Je repartais le lundi matin, je me levais à 4 heures du mat’ je partais par l’avion de 6h du matin et j’arrivais à Toulouse. Des allers-retours toutes les semaines, pendant deux ans.

Régis : Après on a fait la route tous les jours jusqu’à Lesquin. D’ici, au début, on mettait 45 minutes, après c’était 1h, après 1h10, 1h30, à la fin presque 2h. On a tout essayé, on a pris des chemins, des routes.

Et cette maison, donc, c’était à vos grands-parents, vous la connaissiez bien cette maison, enfant ?

Régis : Oui, je vivais dans cette maison souvent. On était 4. Mes parents habitaient juste à côté, là. Nous on venait tout le temps ici. On faisait « can’ voyette ». Can’ voyette, ça veut dire qu’on passait sans arrêt entre les deux maisons. Quand on était gosses, on était 4, et puis dedans 3 garçons, quand ma mère elle commençait à…, quand ça bardait à la maison, on partait, on se sauvait, on venait ici.

Régine : Ça a perduré, il y a toujours la voyette, mais dans l’autre sens maintenant. On est resté très très famille.

 

LE FOND ET LE CARREAU

Mon grand-père était chef « porion » (il était au fond) et mon autre grand-père était chef de « carreau », c’est-à-dire, maintenant on dirait, que c’était un ingénieur de la mine. Le « carreau », à la fosse, c’était tout ce qui était au-dessus de la mine qui faisait tourner la mine, il était au jour. Mon grand-père, il était au jour. Ses frères étaient tous silicosés, ils sont morts, alors lui il avait dit « moi, j’irai jamais au fond ». Mon grand-père maternelle, silicosé à 100%. Et les trois frères de mon grand-père paternel était au fond, porion et chef porion. Côté de ma mère ou de mon père, ils travaillaient tous à la mine.
Ils m’ont toujours dit : « Travaille bien à l’école ou pas, mais surtout t’iras jamais à la fosse. Faut pas aller al’ fosse min garchon. »

 

LE NUMÉRO DU PUITS ET LE TERRIL

Régis : Ici, cette maison, c’est ce qu’on appelle une maison d’ingénieur des mines. À l’époque il y avait un seul ingénieur pour toute une mine, même pour plusieurs mines. C’est une vieille maison, pour une des premières mines, la numéro 3, ici, à Ferfay. Les numéros, c’est les numéros de puits. À chaque puits de mine, il y avait un numéro. Dans une mine, il y avait plusieurs puits.
À Ferfay, ça a fermé il y a longtemps, c’est une très ancienne mine.

Guy : Mon père il a commencé au numéro 2, quand il avait 13 ans. Au numéro 2 de Ferfay. Ça devait être en 1926, ici au numéro 3, c’était déjà fermé.
Et puis, il y a ce terril qui est là.

Régis : Que j’ai voulu garder ! Je me suis battu.

Guy : Ils ont voulu l’enlever ? C’est affreux, c’est un truc qui arrache le cœur ça.

Régis : Quand ils ont commencé ça je me suis énervé. En fait, un jour, on part en vacances et quand on revient, on nous dit ils sont en train de pelleter sur le terril. Ça fait drôle. (C’était du temps du maire Gaston Nicolle.) C’est ma mère qui a été trouvé le maire et qui lui a dit « qu’est-ce que t’es en train de faire ? ».

Régine : il a été bien amoché le terril au début. Ma belle-mère, c’est horrible, elle entendait les arbres qu’on déracinait.

Régis : On n’a jamais bien su pourquoi. Ça n’a jamais été clair, pourquoi ils voulaient enlever ce terril. Soit disant pour faire un parking.

Guy : Ils vendent les scories.

Régis : Quand ils ont vu que ça prenait des proportions : La Voix du Nord, FR3… ils ont arrêté. C’était dur, ça allait loin.
Après, il faut savoir arrêter les guerres. Le maire, il s’est excusé auprès de ma mère. Ma mère lui disait plus bonjour pendant 3 ans. Et un jour, il lui a dit : « Marcelle, je voudrais discuter avec vous ». Elle a dit : « Vas-y, discute ». Et puis il s’est excusé. C’était bien quand même. Et puis voilà, après, elle lui a redit bonjour. Mais elle lui a dit quand même : « J’oublierai jamais ».

Guy : Et maintenant, depuis une dizaine d’année, le bassin minier est classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Grâce en partie au travail de « La Chaine des Terrils ».

Régis : Oui, ça fait au moins 40 ans que ça existe « La Chaine des Terrils ». C’était Marcel et puis Jean-François Caron, tous deux maires de Loos-en-Gohelle, qui se sont battus pour ça. J’étais adhérent à « La Chaine des Terrils », oui, oui.
Un terril c’est non seulement un patrimoine, mais en plus une réserve naturelle, c’est une source de biodiversité. Tu verrais les animaux qu’il y a là dedans, il y a même des chevreuils.

 

LE FOOT ET LES VESTIAIRES

J’étais président du Football pendant 5 ans. Et on est venu me chercher pour le conseil municipal. J’ai commencé au milieu d’un conseil. Gaston Nicolle était décédé et j’ai intégré le conseil municipal. J’ai commencé par un demi mandat. Et après ça, deux nouveaux mandats.
Au foot, j’ai fait une fête une fois : 5000 personnes. J’ai fait déposer le ballon par les parachutistes de Lens. J’étais dedans. J’ai fait venir un hélico. Et une montgolfière. À l’époque c’était quand même quelque chose. C’était original. C’était un match de gala. On avait fait venir des bons joueurs et on avait monté une entente. Christian Lesur, il jouait dedans. Il était bon.

Isabelle : C’est ton cousin, c’est le frère de Marylise ?

Guy : Oui, bravo, le frère de Marylise.

Régis : Paulette, tu l’as connue ? Qui avait le bistro. Elle n’avait jamais vu ça. Ils étaient à 5 dans le bistro pour servir. Ils n’arrivaient pas à s’en sortir tellement il y avait du monde.

Régine : Et puis, on avait eu de la chance, il faisait beau.

Guy : Le café des sports, c’était le vestiaire. Quand je jouais, souvent, on allait chez Paulette. On allait se préparer chez elle, il y avait son salon et sa cuisine. C’était les vestiaires du foot. Il n’y en avait pas autour du terrain.

Régis : Oui, on se lavait dans un chaudron, dans une bassine. Il n’y avait pas de vestiaires. C’est plus tard qu’il y a eu les vestiaires et l’éclairage.
Mais, aujourd’hui le club de foot n’est plus actif. À un moment, si on avait fait une entente avec Ames, ça aurait peut-être perduré un peu plus longtemps. Mais on n’a pas réussi à mettre ça en place, une fusion avec les jeunes d’Ames. À Ferfay, ils ne voulaient pas. Même au sein de Ferfay, c’est compliqué entre le village et la cité numéro 3, alors se réunir avec Ames pour le foot, ça n’a pas marché.

Guy : Comme nous a dit Line, il a fallu deux salles des fêtes, une au village, une à numéro 3.

Régis : Oui, on est le seul village avec 900 habitants à avoir deux salles des fêtes !

 

POURQUOI FERFAY AUJOURD’HUI ?

Régis : Les gens qui viennent à Ferfay aujourd’hui, c’et pas pour le travail. Il n’y a pas de travail à Ferfay. Je pense qu’on vient pour la sécurité et le cadre de vie. Les personnes âgées se sentent tranquilles. J’aimerais bien qu’il y ait une sorte de garde champêtre, une police rurale, une police rurale groupée, en collaboration avec les villages autour. Et aussi, Ferfay, c’est la proximité des infrastructures, il y a l’autoroute, c’est quand même bien desservi. Un commerce fixe, c’est compliqué maintenant parce que les gens vont dans les grandes surfaces. Et les commerces qu’il y a, à Ferfay, aujourd’hui, c’est des ambulants. C’est normal, il fallait trouver d’autres solutions plutôt que de s’accrocher à quelque chose qui n’est plus viable. Trouver des solutions, c’est ça qui est intéressant.

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