dimanche d'après la création

C’est bizarre de ne pas avoir joué hier soir. On avait pris l’habitude. L’habitude, c’est peut être beaucoup dire. On a toujours un trac fou avant et pendant le spectacle. On a du mal à réaliser qu’on a fait ce spectacle. On a pris beaucoup de chemins détournés pour arriver jusque là. On s’est posé des centaines de question. Fallait il attendre un an de plus? Fallait il le faire ou pas? Est ce que c’est plus important de jouer dans un théâtre ou de faire des Veillées? On était incertain. On se pose la question toujours de la pertinence politique, artistique, sociale de ce qu’on fait. Mais au bout du compte on est très content de l’avoir fait. On se dit même qu’on aurait été idiot de ne pas le faire. Rien ne sera plus pareil. Les premières représentations n’ont pas été de tout repos. Les retours étaient durs. On s’était organisé des possibilités de repli après le spectacle au cas où ça tournerait mal. On a travaillé. Beaucoup travaillé. Jour après jour. Pour tout dire… je pense qu’on est fou de théâtre. On n’est pas près d’arrêter. Je pense qu’on développe un projet qui peut déplaire pour qui pense qu’une vraie culture légitime passe par la mise en scène d’un beau spectacle (peu importe ce qu’on y dit) selon les règles normées du théâtre moderne. L’art pour l’art d’aujourd’hui. L’art qui vous place au dessus, détenteur du beau. Pour ne rien cacher cela fait débat à tous les endroits de notre réflexion. Ce rêve d’être. Quand on vient du bas de l’échelle sociale, que ne rêve t on pas d’accéder à l’élite des élites. Savoir et décider de ce qui est beau parmi ceux qui savent et décident et accéder à leur reconnaissance. Exit le rêve d’égalité. Exit la lutte des classes. Exit le communisme. Il a fallu qu’on se serre les coudes. Pour tenir la barre. Ne pas donner raison à nos démons. Se reconnaître dans l’engagement égalitaire, le parti pris du projet. Rester solidaire.

côté Veillées, de toute façon

C’est terminé et c’est à regret qu’on s’est quitté hier soir après avoir joué la dernière des premières des atomics. On a passé une journée excellente, en faisant le point du début d’aprem, en s’échauffant –faut dire que c’est Guy qui a commencé l’échauffement, et que ça a été un fou rire général très bon pour les abdos – et puis on a partagé ce moment de déchaînement, avec Jean-Pierre, le H to H, Highway to Hell, et enfin, on a joué le spectacle, et discuté avec les spectateurs. C’était un beau public de dernière, qui riait à nos touches d’humour. On s’est dit plusieurs fois, depuis quinze jours, que c’est étonnant de voir à quel point une salle, un public, peut donner une impression de recevoir différemment le spectacle. Les retours sont tranchés, des bons, très bons, et puis des beaucoup plus tranchants. Mais on le savait, et pour tout dire, on cherchait ça aussi. On veut pas plaire à tout le monde à tout prix, on se dit, sinon, on aurait abordé un autre sujet que celui qui critique les instances de légitimation de la culture, qui questionne leur bien fondé. On savait qu’on froisserait probablement des susceptibilités et que, politiquement, on s’énonçait plus que jamais côté éducation populaire, côté cultures populaires, côté Veillées, de toute façon. Tout cela, le stage avec le Pavé, poser le politique et l’engagement sur la table, ensemble, chaque jour, continuer ensemble à réfléchir à tout ça, tout cela, donc, nous a rapprochés et il est difficile, maintenant, de repartir chacun chez soi. On imagine plein de continuités.

grève

La dernière de cette première série d’Atomics a bien eu lieu. Hier soir. Il y avait un monde fou à la Fabrique qui accueillait hier un débat sur les innovations écologiques des communes. Jean François Caron, Michel Rocard, Bernard Stiegler et  des centaines de gens réunis pour un après midi de conférence. Jean François Caron, le maire de Loos en Gohelle a transformé sa ville au fil des années pour en faire un modèle de cité et de construction écologiques. Au coeur du bassin minier. C’est un pari compliqué parce que l’extraction du charbon pendant des dizaines d’années a durablement pollué l’ environnement. Et le paternalisme des houillères se perpétue dans bien des façons d’agir des responsables politiques du secteur. Ce qui maintient les populations dans la remise de soi et le fatalisme. Voire le renoncement. Avec les houillères, les patrons décidaient de tout et à tous les moments de la vie des individus. Au travail et à la maison. Puisque tout, absolument tout leur appartenait. Donc dans ce contexte il est difficile d’agir autrement. Mais ça bouge à Loos en Gohelle. Et il va y avoir le Louvre à Lens… Dorothée qui joue dans les Atomics a proposé une grève. D’un type particulier. Chaque jour de représentation on a fait une réunion en début de journée. Tout le monde y participait. Pour dire ce qui a été la veille ou pas. Dorothée a proposé pendant la réunion qu’on ne s’arrête plus jamais de jouer les Atomics. A la Fabrique. Pour revendiquer la possibilité de ne jamais s’arrêter. Jusqu’au bout. Comme un travail jamais achevé. Une remise en question permanente. Un chemin qu’on emprunte dont on sait qu’il nous emmène aussi loin qu’on le veut…

merci

Merci beaucoup à tous ces gens qui viennent soir après soir à la Fabrique à Loos en Gohelle. Ils nous ont donné l’occasion de belles rencontres et de creuser plus avant notre travail. Ces quinze jours ont agi comme un vaste forum sur la culture populaire. Comment faire ressortir, mettre en avant la parole des habitants dans un travail de création artistique? Et plus précisément en ce qui concerne les Atomics, comment en rendre compte sans trahir la parole des gens? Comment la possibilité d’en rendre compte peut elle devenir l’occasion d’une écriture singulière, spectaculaire, poétique qui relance le processus,la démarche, la célèbre pour dire l’indispensable nécessité de continuer et de développer le travail des veilleurs? -Ici et ailleurs. Tous les soirs on dit qu’on fait partie d’une association qui s’appelle Autre(s)pARTs/Artfactories. Si on veut bien s’y arrêter un instant, on peut dire que c’est là que ça se passe. Si tous ces artistes qui partout en Europe et ailleurs créent, inventent, innovent avec les habitants étaient davantage mis en valeur et pris en compte, on n’en serait sans doute pas là. Quand on sait ce qui se fait dans les quartiers populaires en terme d’aides, de solidarité, de recherche, de réflexion, de création… et que tout cela n’est jamais entendu ou détourné pour ne donner des quartiers qu’une image  de violence et de destruction, de quoi s’agit il? -Créer de la peur, pour n’avoir rien à partager avec la vraie invention qui fait tout vaciller. Celle qui naît des quartiers populaires. Pour préserver les privilèges des puissants. Et ouvrir un boulevard au Front National.

ça discute

On approche tout doucement des dernières représentations à la Fabrique. On a cette impression d’avoir créé un spectacle un peu interlope. Qui déclenche des réactions vives. A la fois enthousiastes ou très hostiles. En tout cas hier on a pu encore bien discuter. Reparler de la démarche. Du rôle de l’artiste dans la société. De ce qu’est un artiste. De pourquoi et comment chacun est artiste. On a reparlé d’éducation populaire. On a dit que les compagnies auraient raison de se rapprocher du Pavé. Non pas pour épouser aveuglément les théories du Pavé mais pour replacer ce que nous faisons à sa juste place. Participer de l’éducation populaire. Faut savoir que tout le monde ne l’entend pas de cette oreille. C’est le mérite de jouer et de débattre soir après soir comme nous le faisons. On nous dit, mais vous risquez de vous faire détruire par les responsables de l’art qui pensent que la culture n’aurait rien à faire du social. Comme si ce que nous faisons était un travail de médiation culturelle et non pas de l’art, avec tout le mépris que certains peuvent avoir pour la médiation et l’action culturelles. Sans parler du faire semblant. L’oeuvre est dans la démarche. De la médiation à la création. C’est difficile de faire bouger les positions dominantes. Il y a bien des positions qui ressemblent plus à des postures qu’à un quelconque engagement ou une vraie volonté de changement. Pourquoi voudraient ils changer, puisque pour eux tout va bien? On est passé il y a fort longtemps de la lutte des classes à la lutte des places. Difficile de rester intact… Donc nous disait cette dame, vous seriez détruits si on savait ce que vous faîtes. Nous voilà prévenus. Mélanger l’art et le social: ça ne se fait pas…