PASCALE – UN RÉCIT DE FERFAY – Partie 4

DANS SES SPECTACLES JE VOYAIS GUY

Pascale : On a évolué différemment quand même. Dans tous les domaines. Quand j’ai vu son spectacle, j’ai vu Guy. Même si je n’avais pas su que ça venait de Guy, j’aurais dit ça vient de Guy. Parce que son spectacle, déjà c’était noir. Et je me suis dit : « Guy, il est toujours aussi noir. ». Et en plus ça partait dans tous les sens. Un peu comme moi j’avais connu Guy. Il se posait des questions dans tous les sens. Il n’y avait pas de réponses. Et en même temps les réponses, elles étaient noires, souvent. Ce n’était jamais gai. Moi aussi, j’ai été un peu comme ça, à me révolter, à me poser des questions, à être pessimiste et tout. Puis après, il y a eu un moment de ma vie où je me suis dit, t’as pas de réponse, t’as pas de réponse, t’en auras peut-être jamais. Je n’étais plus comme ça.

 

LES LUMIÈRES DE LA MINE

Pascale et Guy se remettent à parler des gens qu’ils ont connu quand ils étaient enfants :

Pascale : Je connaissais Rimbert parce que mon grand-père c’était le gardien de la mine. C’était le concierge. Donc, quand j’allais chez mon grand-père, on allait fermer les lumières de la mine le soir. Et j’allais chez mon grand père en tombereau, avec un cheval : « il carrio du carbon ». Et moi je montais dans le tombereau et j’arrivais chez mes grands-parents. On passait par la voie ferrée. Je vous raconte ça, on a l’impression que c’était il y a des siècles. C’était il n’y a pas longtemps. Quand je raconte ça à mes petits-enfants, ils m’écoutent mais ça leur semble irréel. On vivait avec peu. On était heureux. Moi j’en garde de très bons souvenirs.

Guy : Moi aussi.

Pascale : Mais on avait rien, on avait rien.

Guy : Mais on ne connaissait pas l’extérieur aussi. Quand on a vu comment c’était à l’extérieur, c’est là que ça a commencé à se compliquer. Mais c’est vrai, mis à part notre instituteur, on vivait pas mal. Mais il avait fait la guerre, la guerre d’indépendance d’Algérie, et je crois qu’il ne s’en est jamais remis.

Pascale : Mon père aussi il a fait la guerre d’Algérie. Il est partie j’avais 18 mois, il est revenue j’avais 3 ans. Maintenant je sais que j’en ai souffert. Quand il est revenu, (Guy, tu vois comment elle était la maison) mon père, il était là, dans le coin avec son treillis. Et ma mère elle m’a dit, va t’asseoir sur ton père. J’ai jamais voulu, il était devenu un étranger, j’avais peur de lui.

Plus tard, j’étais un peu idéaliste, je ne voulais pas être raciste, j’étais antimilitariste, anticonformiste, alors parfois c’était la guerre à la maison. Alors avec mon père, quand on commençait à parler de ça, ma mère elle me disait : monte dans ta chambre. Oh, je montais dans ma chambre, on n’avait pas le droit de parler de ça. Je ne comprenais pas mon père. Mais maintenant, avec le recul, j’ai vu des documentaires et que maintenant, je ne peux pas dire que… mais je peux quand même le comprendre. Quand tu reviens d’une guerre, après t’as un comportement différent.

Monsieur Héroguelle, il avait fait la guerre, mais sa femme elle était méchante aussi. Elle était institutrice aussi. On l’avait au CP. Ils était méchants tous les deux, c’était les instituteurs d’avant. Ils habitaient le logement de fonction. Quand on passait devant, si on avait le malheur de ne pas avoir dit bonjour, même s’il n’y avait pas école, on était punis. C’était comme ça.

Guy : Elle, elle n’était pas tendre, mais elle était moins dure que lui quand même.

Pascale : Je me souviens qu’elle n’était pas tendre non plus. Je me souviens bien de la classe enfantine : on faisait pas grand chose, on faisait des aquarelles, des coloriages. Moi j’écoutais ce qu’il se passait au CP à côté.

Je me rappelle aussi les odeurs de l’école, les odeurs des cahiers, de l’encre, de la craie et des tables : on devait les laver, on devait les cirer.

Et la fête des écoles : c’était militariste. On partait, on défilait, dans une pâture, à la baguette, on était nombreux, on bougeait pas, pas un mot. J’en ai encore des souvenirs. Et les femmes, les mères, elles préparaient les costumes en crépon.

Il y avait aussi des concours de diction. J’avais eu un premier prix, je m’en souviens avec « Demain, dès l’aube » de Victor Hugo. Je m’en souviens, il y avait un « o » dedans, tous les matins je m’entrainais pour dire le « o » de la bonne façon. Après je l’ai fait apprendre à mes élèves : mes CM1, CM2, ils l’ont eu « Demain, dès l’aube ». « Lili » de Pierre Perret, ils l’avaient aussi. Et puis de Jean Ferrat « Nuit et brouillard ».

 

C’EST PRÉGNANT LES CORONS

Pascale : C’est prégnant les corons. Quand j’ai vu « La Brique », j’ai vu que dedans il y avait des petites erreurs.

Guy : C’est la différence entre la mémoire et l’histoire.

Pascale : Il y avait une erreur géographique par exemple : tu montrais une maison et ce n’était pas ça. Tu montrais chez ma mère et tu parlais de Florent Bernard. Il y avait aussi, et je voulais t’en parler, une interprétation différente des ressentis qu’on avait pu avoir et c’est pour ça que j’aurais voulu t’en parler.

Oui, c’est surprenant, il m’est arrivé de revoir des gens des corons, occasionnellement, et à chaque fois, les gens des corons, les gens qui étaient jeunes comme nous dans les corons, ça leur a laissé une trace. Je ne sais pas pourquoi, je voudrais bien savoir. À partir de la cinquantaine, comme je te disais, je repassais dedans. Avec mon oncle Maurice, je refaisais la généalogie de tous les corons, avec un plan, les familles dans toutes les maisons, tel numéro, telle personne. Les liens, c’était son frère, c’était sa mère…, ah ouais, ils étaient cousins aussi, alors c’était… ah oui… Jean-Louis Patignies, il a fait un plan et il a écrit les noms. Et lui, il n’a pas tout à fait les mêmes personnes, parce que c’est une génération avant. Alors, il m’a dit, vient à la maison, on va mettre ça ensemble, sur 30 ans, les choses qui ont changé.

C’est prégnant les corons. Il y a aussi un stress permanent, par rapport aux gens qui descendent au fond, un stress qui devient une solidarité. Guy nous racontera qu’il y avait un rituel chez lui, une sorte de superstition : sa mère allait tous les jours au bout du jardin, pour voir son mari qui partait à la mine, jusqu’à ce qu’il soit sorti complètement de son champ de vision. Sauf s’ils s’étaient vraiment fâchés juste avant, c’était tous les jours. Une sorte de superstition.

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