Pas oublier d’aller voter. Ne pas aller à la pêche. Je n’y suis jamais allé, ce serait bien le diable (comme disait ma mère) que j’aille pêcher justement aujourd’hui. Souvent je croise des pêcheurs le long des rivières et des canaux, vers Bruay La Buissière et Béthune. Ça n’est pas l’envie qui me manque de m’assoir avec eux et d’attendre. La journée de long. C’est propice à la réflexion et la méditation. L’autre jour, l’un d’entre eux me disait que pour lui, l’important, c’était d’être là, au bord de l’eau. Quand il prend un poisson, il le rejette à l’eau immédiatement. C’était sur les berges du Canal de la Lys, entre Hinges et Locon. Sur le plat pays, qui est le sien. C’est vrai qu’il y avait beaucoup de brume. Par contre, pas entendu parlé d’un canal qui s’est pendu.
Les vagues de dunes comme derniers terrains vagues, ça, on connaît bien. Ça n’est pas la première fois qu’on va à Calais. Au camp des migrants (qui se reconstruit peu à peu) et au Channel.
Tiens, on a appris que la sous-préfète qui avait organisé la destruction de la Jungle, le Forum, comme l’appelle Zimako, le fondateur de l’école du bidonville de Calais, a été promue. Elle est aujourd’hui préfète en Normandie.
Une dizaine de bulldozers, quelques grenades lacrymogènes et autres coups de bâtons. Mettre le feu aux habitations de fortune des gens. Prévoir des bus pour les emmener loin d’ici et surtout avoir prévenu bien à l’avance la presse du monde en entier et te voilà responsable en chef d’un département ou d’une région, avec des habits tous neufs.
Carnets de route
rappeler les fondements de la démarche
Retour de Paris avant d’y retourner en début de semaine, à l’Esad. Pour quinze jours. Puis une semaine à Calais pour aller au bout du travail à la Fabbrika, avec les artistes de Calais et Boulogne. Encore du travail en perspective. Ensuite il faudra revenir au Phénix, pour la deuxième partie de Nickel. Belle matinée de travail hier dans les bureaux de la DGCA ; on a travaillé dans le détail sur les tenants et les aboutissants de l’engagement artistique d’une compagnie de théâtre.
A midi, on a mangé une tartine chez Tartine, à Beaubourg. Roland Topor, en son temps, se rendait tous les jours chez Tartine ; ça n’est sans doute pas le même restaurant ; R. Topor allait rue de Rivoli. C’est là qu’il avait eu l’idée de son recueil de nouvelles, Café Panique, dont nous avions fait le premier spectacle de la compagnie.
On a pris le temps pour rentrer, pour faire mentir l’idée qu’on serait en permanence en train de courir. On a pris le temps de discuter, on s’est souvenu de notre rencontre avec Marion, qui enseigne à l’université de Lille, les gender studies. On s’est dit, combien, aujourd’hui comme toujours, les femmes devaient se battre, pour contrer les hommes ; un simple exemple, les hommes, dans leur construction (école, famille, société) se permettent dans une quelconque réunion, d’interrompre une femme, à peine a-t-on entamé une discussion, comme si ce que le mâle avait à dire, était toujours plus urgent que la femme. Et on a reparlé de l’autoritarisme délirant des chefs de compagnie de théâtre qui, au delà de ce qu’on peut rencontrer ailleurs, se sentant investis d’une aura artistico-romantique, s’autorisent à traiter leurs salariés comme des esclaves.
l’historien se demande de quoi hier sera fait
C’est le débat à la télévision de l’entre deux tours des présidentielles. On n’a parlé que de ça dans tous les médias, durant toute la journée. Sauf sur France Cult. : De quinze à seize, il y a avait une émission sur Truman Capote, que les américains prononcent Capoti. De lui, j’avais adoré de sang froid. Truman Capote pratiquait la documentary fiction. Puisqu’il est question de documentaire, on pense aussi à l’article d’Olivier Neveux sur Armand Gatti paru dans Critique Communiste, le mois dernier. O. Neveux dit que dans une réalité donnée, A. Gatti adaptait le rôle aux comédiens, qui pour la plupart était des non-comédiens, alors je me suis dit que c’est un peu ce qu’on fait dans notre travail, partout où l’on intervient.
la tragédie du front national
My God ! On vient de regarder sur Arte les derniers mois de la division de l’armée nazie, das Reich. C’est le comble de l’extrême et de la barbarie dont le terrible massacre d’Oradour su Glane. Quand tu penses que Le Pen a viré, il y a seulement trois jours son directeur de campagne parce qu’il était révisionniste ! Il niait donc l’horreur des crimes nazis, et en particulier l’existence des camps de concentration (mon oncle a été déporté à Dachau et Buchenwald). Le Pen et ses amis sont le produit de ces extrêmes droites qui n’ont eu, au fil des siècles qu’une seule idée en tête, installer un système dictatorial, et d’une violence irrationnelle qui dépasse toutes limites.
No Passaran
« Et après tout, quelles violences pouvait exercer cet homme dans un état ou le droit était si fortement ancré, ou la majorité du parlement était contre lui, ou chaque citoyen croyait sa liberté assurée par la constitution?
Puis vint l’incendie du reichtag
Puis göering lâcha ses bandes déchaînées,
Puis le parlement fut dissous, toute notion de droit abolie.
On apprenait en frissonnant qu’à 20 km de Munich la ville de Dachau avait construit le premier camps. Mais le monde se refusa à croire l’incroyable.
Déjà je vis les premiers fugitifs à la frontière, ils avaient grimpé, de nuit, sur la montagne, ou avaient traversé à la nage la rivière. Ils étaient affamés, en loques, ils vous regardaient fixement.
Je ne soupçonnais pas, en voyant ces proscrits, que leurs visages pales annonçaient ma propre destinée.
Comme nous tous en Autriche je n’ai jamais soupçonné en 1933 un centième des événements qui devaient pourtant éclater seulement quelques semaines plus tard. »
Stéphan Zweig.
Le monde d’hier
Encore une de faite
Eh bien… On a tout passé en revue. On a mis en place (à quelques détails près) chacune des séquences et ça rend bien. Trois jours de travail collectif qui ont fait grandement avancer la machine. On a les yeux qui piquent, ce soir (on attend avec appréhension le résultat des élections. Mais pas d’inquiétude, quoiqu’il arrive, on continuera à se battre) .
On a de la chance d’oeuvrer au Channel de Calais ; c’est grand comme tu peux pas t’imaginer. Et c’est aéré, t’es pas tout le temps enfermé dans une boîte noire, il y a la lumière du jour. Tu peux recevoir ta dose de vitamine D pour la journée. Ça joue, t’es moins dépressif que si tu restais dans le noir, sans voir la vraie lumière de toute ta journée de travail. Hier on n’a rien mangé, trop à faire, on n’avait pas le coeur à ça. On s’est rattrapé ce midi. Une grande salade de chèvre chaud et deux tartines grillées de pain complet. Chacun sait ce qu’il a à faire dans le spectacle et ça change tout. On a tous nos repères principaux. C’est tout cela qu’il nous a fallu tester durant ces trois jours. Tous ensemble. Ça fait une belle équipe. On a perdu M.Moustache, qui doit se faire opérer en mai, quand sont programmées les représentations du spectacle. On a reçu une lettre de sa cousine qui nous a annoncé la nouvelle. On a trouvé des solutions de remplacement. On lui consacre une salle, le bazar ou la salle de cathering, où l’on va exposer des images et des trucs qui le concernent. Comme Boltanski quand il exposait des affaires ayant appartenues à une famille sans qu’on sache si c’est vrai ou faux.
Sylvie, Raphaëla, Eric, Daniel, Julien, Catherine, Valérie, Jacqueline, Christine, Paul, Mathilde, Nathalie, Nina, Guy, Fabienne, Jean-Marc
Calais. Deuxième jour. Hier, le rendez vous était fixé à 17h, et on travaillé jusque 22h. Aujourd’hui, dès le lever du jour on s’est consacré à l’écriture pour les acteur-trices. Pas le temps de déjeuner et direct au taf, avec les camarades, de 13h jusque 19h01. Hier soir, on s’est nourri de galettes de riz complet de Camargue, saupoudré de chocolat Poulain, avec du jus de rhubarbe et de pommes bio.
Demain, c’est les élections. On aura tout juste le temps de rentrer à la maison, pour voter. On reprend, demain, le travail à 10h et on finit à 16h. Les bureaux de vote ferment à 19h. D’ici à Fresnicourt, il faut compter une heure et demi de voiture. Il est rare que nous finissions pile à l’heure.
Ça prend forme. C’est un grand plaisir de voir les scènes et les personnages éclore. Dans la densité, le sens, l’émotion. Dans la forme et la personnalité de chacun. Ça prend du temps et ça demande beaucoup d’énergie mais c’est réjouissant. Cette journée de recherche fut particulièrement intense.
Mathilde de l’équipe du Channel nous donne un bon coup de main et fait bien attention à ce que tout puisse se faire et être fait dans les limites du temps qu’il nous reste, pour fabriquer le spectacle, qui s’appelle, on y vient à pied, comme dans la chanson de Maxime L.
Tous à Torremolinos (à reprendre en chorale en écoutant Stella)
Aujourd’hui, bureau, pour finir la préparation de Calais. On a avancé, mais ça n’est pas vraiment prêt encore.
Le retour de Villeneuve les Avignon fut rapide.
Je me souviens d’un hôtel aux Angles (en périphérie d’Avignon) ; nous y logions tous les étés, à la grande période du Ballatum, avant l’éclatement de celui-ci. A chaque festival d’Avigon. Dans ces années-là, Stanislas Nordey avait présenté les Ailes du Dragon d’après Hervé Guibert. C’était majestueux. On voulait faire pareil, au Ballatum. Après tout a changé. Jusqu’au déchirement.
C’était une sacrée divergence politique. Une partie du Ballatum est restée avec Eric Lacascade et l’autre est revenue dans le Pas de Calais. Un sacré coup de massue. On ne s’en est jamais remis complètement, à vrai dire. C’est complexe, comme dirait Nathalie Besançon de Tulle, on n’est jamais aussi heureux ou aussi malheureux qu’on le croit. La question qui se pose, c’est celle de l’existence, de l’amour et de la politique ; l’amour ne s’embarrasse pas de la durée mais de l’instant et de l’éternité et la tragédie aujourd’hui, c’est la politique. Comment a-t-on pu, politiquement, se sentir, pendant des années, au Ballatum Théâtre, si peu concerné ? Nathalie B. a raison, c’est très complexe. La confusion de l’amour s’était mêlée à la complexité de l’engagement politique.
je vois des vents vermeils briller par la mer des branchages
Le mistral par rafales à 110 km/h. On est à Villeneuve les Avignon pour des lectures de No Border. On n’avait jamais visité les cellules d’écrivain-es. C’est impressionnant, toutes ces vieilles pierres. Un pays où tout le temps naviguent des touristes du monde entier. On loge à l’hôtel de l’Atelier en face de la Chartreuse, blindé de visiteurs. L’hôtel est habité par un magnifique chat marron qui dirige son beau monde d’une main de maître. Chambre 40, qui donne sur le patio. Les arbres sont secoués comme des pruniers.
les cloches ont ramené le chocolat dans la nuit sur le terrain de football
On est sur le point de quitter le Pas de Calais, pour se rendre à Villeneuve les Avignon, pour travailler sur No Border, avec N. Prugnard. Pour quelques jours, avant d’enchaîner avec la Fabbrika au Channel de Calais et d’aller voter dimanche, pour Philippe Poutou, et puis de filer à Etampes, à l’H.P. On a passé une bonne partie de la journée à courir, à travers champs et à travailler sur la construction du spectacle, on y vient à pied, qu’on va présenter à Calais au mois de mai.
Mes camarades de la compagnie sont allés voir le spectacle joué par les ouvrières de Samsonite, sur l’histoire des salarié-e-s, depuis la fermeture scandaleuse de cette usine. Succès total. Les spectateurs ont fait une ovation debout à l’équipe du spectacle.
Demain à l’heure qu’il est, on aura pris nos quartiers à Villeneuve les Avignon à l’hôtel de l’ Atelier. Il n’y avait plus de place à la Chartreuse, à moins de dormir sur un lit superposé dans une cellule de groupe. Bon, on nous a dit, soit le lit superposé, soit l’hôtel. Ne pas oublier de réserver un taxi avant de partir, demain matin car le dimanche de Pâques, personne ne peut venir nous prendre à la gare TGV. Peut-être qu’on fera le chemin à pied. Nunc est pede liberar pulsanda tellus.
