Ghislaine & Nicole – Poutrain & Desailly

Ce matin, nous avons rencontré Ghislaine et Nicole. Sœurs – des vraies jumelles précisent-elles – elles vivent à Croisilles depuis 82 ans. Elles y sont arrivées à l’âge de deux ans, parce que leur papa travaillait à Arras. L’une habite rue de Fontaine, l’autre rue du 24 septembre. Dès le début de l’interview, on ressent leur amour pour Croisilles, et très vite, on s’aperçoit de leur implication dans ce village, de leur ouverture et de leur plaisir à accueillir, notamment depuis 2016, avec l’ouverture de CAES installé dans l’ancienne maison de retraite. L’interview est riche, elle nous parle aussi du V1 tombé en 1941, alors qu’elles étaient aux vêpres dans l’église de Croisilles.  Beaucoup de choses seront dans le film-spectacle de dimanche prochain.

Une fois que la caméra est éteinte, on reste avec elles, Ghislaine fait du café, il y a du jus de fruits et des chocolats. Et on continue à parler.
Ghislaine et Nicole, étaient seules, c’est-à-dire qu’elle n’ont pas eu d’autres frères et sœurs, et leur deux parents étaient des enfants uniques. Mais chacune d’elle a épousé l’ainé d’une fratrie de 10 enfants ! Joseph  et Albert aussi avait 9 frères et sœurs. Nicole a épousé Albert Desailly (qui donc avait 9 frères et sœurs) qui sera maire de Croisilles. Ghislaine a épousé Joseph (qui aussi avait 9 frères et sœurs), le petit-fils d’Alexandre Poutrain qui a aussi été un maire de Croisilles.
Poutrain, c’est un nom qu’on a entendu plusieurs fois. (D’ailleurs cette après-midi, on va faire deux interviews rue Pierre Poutrain.) Ghislaine et Nicole nous explique : Joseph, le mari de Ghislaine, était le fils de Joseph (père), et le petit-fils d’Alexandre. (Alexandre, lui, faisait partie d’une fratrie de 9.)
Il y avait dans la fratrie de Joseph (Joseph père, c’est-à-dire le beau-père de Ghislaine) Louis et Pierre. Louis (un des oncles du mari de Ghislaine donc) était abbé, il a été déporté à Auschwitz. À son retour, Louis écrit « La déportation au cœur d’une vie ».  Pierre, résistant aussi, a été fusillé dans le Vercors en 1944.
La rue qui relie la rue de Fontaine et la rue du Pont s’appelle Pierre Poutrain.
La veille, nous avions rencontré Peter et Brenda Cook (rue du Pont), des Croisilliens d’Angleterre. À leur arrivée à Croisilles, Ghislaine et Nicole – si accueillantes – ont été dans leurs premières amies. (Brenda nous a avoué qu’elle n’avait pas compris tout de suite qu’elles étaient « deux » tant qu’elle n’avait pas vu les deux ensemble.) Ghislaine et Nicole seront là dimanche à la salle des fêtes. Peter et Brenda aussi. On a hâte de les recroiser !

Apparition d’une biche, à Croisilles

Une après-midi entière de fabrication d’images avec : trois jeunes du « comité des jeunes habitants de Croisilles », trois danseurs de la « compagnie Hendrick Van Der Zee ». (+ une vidéaste bien sûr !)

Nous avons quitté le Q.G en début d’après-midi escortés de Jordan, Enzo, Mateo, du « comité des jeunes habitants de Croisilles ». Ils connaissent très bien leur village, et nous ont guidés jusqu’au Domaine du Moulin. Lucille a dansé à travers la structure rigide, fixe et haute en couleur du toboggan, son corps comme « disloqué », créant d’improbables images, filmées par Bénédicte.
Puis sur une table de pique-nique, alors que Mourad, Lucille, Dorothée improvisent autour d’eux, Jordan, Enzo et Mateo se prêtent au jeu de la scène, imperturbables, tout en continuant leur conversation d’adolescents.
Arrivés bien en avance au stade de foot, ce laps de temps nous a permis de découvrir un cadre bucolique idéal pour filmer une séquence tous ensemble : les trois garçons dansant au ralenti avec nous, sous l’œil poétique de Bénédicte qui capte la beauté du lieu. L’apparition impromptue d’une biche clôt la séquence.
Nous repartons alors au stade pour des portraits-citations, lors de la mi-temps du match, qualifiée « d’entracte » par Bénédicte ! Zelda et Isabelle nous ont rejoint pour faire participer les supporters à ces portraits d’habitants, avec l’aide de nos trois guides.
Engourdis par le froid, Bénédicte, Lucille et Dorothée rentrent au Q.G, et profitent du trajet pour tracter et glaner quelques pas-de-porte pour le film-spectacle. Enzo, Jordan et Mateo partent en porte-à-porte, débordants d’énergie, avec Mourad et Marie pour la séquence dite « des objets ».
Quel plaisir de partager cette journée avec eux. C’est le soir qui arrive, il faut se quitter, mais ils n’ont plus du tout envie de partir.

OBJETS # 2

Groupe Material est un collectif d’artistes travaillant sur des questions tels que qui fait la culture et pourquoi. Quelle est le pouvoir de l’image, de la représentation. Comme eux, nous avons demandé aux habitants de Croisilles de nous montrer un objet qu’il trouvait beau, important, qui représentait leur culture, leur histoire.

On nous a montré :

• Le journal de Mr Darcy de Amanda Grange : Je suis une grande passionnée de lecture. Vraiment, c’est une grande passion. Et celui`-là, c’est un des classiques de la littérature anglaise que j’aime le plus, de Jane Austen. J’aime l’histoire, les personnages : là Amanda Grange donne la parole à un personnage très célèbre de Jane Austen. Est-ce que j’écris ? Oui, moi j’écris quelques nouvelles, mais c’est plus pour moi, je ne publie pas.

• Une paire de chaussures : ça a un rapport au vélo parce que je fais souvent du vélo. Ça fait quelques années maintenant, je me vide la tête, c’est un hobby. Après une semaine de boulot, on se vide la tête en faisant un tour en vélo, une sortie à vélo. Soit à plusieurs, soit je vais tout seul sur le route. Ça peut arriver que je fasse 100 km sur un weekend.

• Un éléphant : Alors, il faut que ce soir un éléphant qui ait la trompe en l’air. Et si on dirige la trompe vers la porte on ne manque pas d’argent dans sa vie. Ça ne veut pas dire qu’on sera riche, mais on n’en manquera pas. Moi je le mets sur un étagère, et il est direction de la porte, et attention, on ne le bouge pas. Ah ouais, faut qu’il soit vers la porte. Je ne sais pas ce que c’est comme croyance, mais j’ai entendu ça une fois à la télé et j’ai dit allez, je le fais. Et je l’avais déjà, mais il était pas bien dirigé.

• La photo d’un soldat anglais : C’est la photo de mon grand-père, qui était soldat, et qui est venu dans ce village à Croisilles, pendant la guerre, la guerre 1914-1918. Nous sommes anglais, nous avons récupéré cette photo dans la maison de mon père. Nous avons retrouvé le journal de mon grand-père : il était à Wancourt et à Bapaume. Et nous pensons qu’il a passé devant cette maison quand il a marché entre Cherlsy et Bapaume. Et ça c’est la raison pour laquelle nous sommes contents d’être ici. Nous sommes anglais, nous sommes venus vivre ici avant de savoir que mon grand-père était exactement passé là. Mais maintenant on sait que cette photo est à la bonne place ici, dans ce village. Cette photo devait revenir ici.

L’évolution, c’est les autres – L. Caroll

Les madeleines de Thibault, le boulanger de Croisilles, et un bon café sont les ingrédients d’un accueil chaleureux chez Caroline bénévole du comité des habitants. Christelle, la vice-présidente, nous y rejoint. Toutes deux habitent Croisilles depuis une dizaine d’années. Ce qui les a marqué : « Quand on croise les enfants, ils nous disent « bonjour ». Et puis, « On peut y naître, y vivre et mourir, parce qu’il y a le nécessaire et le superflu ».
Elles sont, avec 5 autres personnes, à l’initiative de l’écriture d’un livre mémoire de la guerre 14 – 18, sorti ce 11 novembre. C’est quoi l’histoire de ces mémoires ? Voilà comment tout a commencé :
D’abord, il y a eu l’organisation de cafés citoyens pour se retrouver et créer du lien entre les habitants, entre les générations et entre les différents quartiers. Faire que ces moments leur appartiennent. Lors des premières rencontres un flow incroyable de témoignages de la vie pendant la guerre sont remontés à la surface de la mémoire des anciens. Il était incontournable de mettre en valeur ces récits, « Sinon, ça va se perdre. En plus, ils sont une source rare de la vie des civils pendant la guerre. ». L’écriture de ce livre a pris deux ans ! Deux ans d’une aventure humaine et de belles rencontres qui se sont officialisés par la création de l’association « Croisilles, mémoire et nature ». Nature ! Caroline nous explique : « Le paysage n’est pas séparé de l’histoire, Croisilles a été rasée pendant la guerre, de la topographie… ». D’ailleurs, la commune s’inscrit dans une démarche environnementale. La préservation d’une zone humide par exemple… d’où le chantier mares. C’est génial que des habitants s’approprient les enjeux de préservation de ce précieux milieu naturel. « Être bien ensemble dans un environnement sain », en plus chaque action est propice à créer des liens. Les échanges facilitent les échanges… C’est enrichissant ! La diversité des personnes qu’on rencontre est aussi une richesse, l’accueil des migrants en fait partie. Christelle et Caroline nous racontent, si je ne m’ouvre pas à d’autres horizons, je ne connais qu’une sorte de plats, qu’une sorte de conte… La diversité culturelle m’a permis de découvrir des plats délicieux, de découvrir des contes formidables comme Kirikou, apprendre le djembé, des proverbes de sagesse…
À l’image de ce livre qu’ils ont écrit pour graver dans un livre la mémoire des anciens, « Quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle » – Proverbe africain d’Amadou Hamapâté Bâ.

En passant rue de la Fesse

Ce matin, Martine et Marie avaient rendez-vous avec Caroline et Christelle de l’association Histoire & Nature. Juste avant de commencer l’interview, Caroline devait nous présenter Jean-Maurice Opigey, son voisin de 85 ans qui connait bien l’histoire de Croisilles. Jean-Maurice est aussi le propriétaire de la forêt au bout de la rue Jean Soille : c’était un ancien pâturage, et lorsqu’il est parti à la retraite en 2005, il a commencé à planter des arbres. Plus de 600 arbres ! Des frênes, des chênes, des merisiers, des tilleuls, des hêtres, des noyers et bien d’autres. Lors de notre balade d’hier, Bénédicte, Mourad, Dorothée et Lucille ont repéré le tapis de feuilles rouges et or : parfait pour tourner de belles images.

Alors on est allé toquer chez Jean-Maurice et Mado pour leur demander l’autorisation d’aller filmer, « oh oui, bien entendu! ». Ils sont dans leur cuisine, entourés de deux chats lovés sur le canapé, et de 79 autres chats, en bois, en porcelaine ou autre, une vraie collection ! On en profite pour papoter un peu.

Jean-Maurice est né à Croisilles en 1936, où ses parents se sont mariés un an plus tôt. Il a ensuite vécu une dizaine d’année à Avion, pendant la guerre, chez ses grands-parents, avant de revenir dans la ferme familiale, rue Jean Soille, anciennement rue de la fesse, lorsque son père, prisonnier de guerre, revient en France. Le mystère demeure entier concernant les origines du premier nom de la rue… ! Mado est arrivée en 1960 à Croisilles depuis Boisleux-Saint-Marc, elle aussi rue Jean Soille, la maison à côté de celle de Jean-Maurice. Ils étaient voisins, puis ils se sont mariés il y a 5 ans. A la ferme, lorsque Jean-Maurice était agriculteur, il y avait des champs mais aussi des vaches, des moutons, quelques grands chevaux de trait noirs pour labourer, et aussi des pigeons.

Ils ont retrouvés beaucoup de documents à la ferme de l’époque de la guerre, qui ont servi pour le livre de l’association Histoire & Nature. Il en profite pour nous parler de Monsieur Arbeltier, plumassier de métier, et ancien maire de Croisilles entre les deux guerres : il faisait des javelots et des arcs. On jouait beaucoup au javelot dans le nord de la France, Mr Arberltier construisait ces javelots, avec des plumes d’oies. Mado en avait un, mais il s’est perdu entre deux déménagements.

Jean-Maurice nous a ensuite montré un vieux mur, qui date d’avant la guerre, qui reste de ce qui n’a pas été détruit. On le voit de l’intérieur, dans une vieille parcelle de la ferme où il reste encore une ancienne cheminée qui n’est plus utilisé puis on passe par une petite porte qui rejoint le jardin de Caroline (« elle a pas voulu qu’on la rebouche quand elle a acheté la maison »). C’est un mur qui date de bien avant la guerre de 14, qui mélange de la brique, de la pierre branche mais aussi des silex, la pierre est noire et luisante, on y voit même des éclats d’obus. « La façade de la maison était très belle, mais derrière c’était un peu n’importe quoi, pour pas utiliser des beaux matériaux ».

Avant de partir, il me montre la plaque « ancienne rue de la Fesse », c’est lui qui l’a fait poser, pour le souvenir !

Transmissions (Sublimes)

Dorothée a repris le rôle de Camille dans Les Sublimes, la création de la compagnie HVDZ en 2003.
Lucille a joué le même rôle dans la reprise des Sublimes, avec sa promotion au CNAC (Centre Nationale des Arts du Cirques) en 2017. Parce que Les Sublimes est entrée au répertoire du Cirque.
Pour Lucille, c’est une première avec HVDZ.
Pour Dorothée, c’est le retour d’une pionnière des veillées.
Lucille et Dorothée ne se connaissaient pas avant d’arriver à Croisilles. En quelques minutes, elles s’aperçoivent qu’elles ont joué le même rôle dans Les Sublimes.
Histoires de temps qui passe. Histoires de transmissions en cascade.
Dorothée et Lucille répètent au QG  de Croisilles cette chorégraphie qui leur a été transmise à chacune dans des circonstances et des temps différents.
Elles iront la danser dans la forêt de Jean-Maurice. Sous l’oeil de la caméra de Bénédicte. Et ce sera une séquence du film-spectacle de dimanche 21 novembre à la salle des fêtes.

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Objets # 1

Groupe Material est un collectif d’artistes travaillant sur des questions tels que qui fait la culture et pourquoi. Quelle est le pouvoir de l’image, de la représentation. Comme eux, nous avons demandé aux habitants de Croisilles de nous montrer un objet qu’il trouvait beau, important, qui représentait leur culture, leur histoire.

On nous a montré :

• Un livre. « Bienvenue – Marhabaan Bikum – Du Soudan au CAO de Croisilles en passant par la Jungle de Calais ». Ce livre a été écrit par une équipe des habitants de Croisilles et Rémi le directeur de la maison des habitants, ainsi qu’avec 5 Soudanais qui sont arrivés de la Jungle de Calais en 2016. Les Soudanais ont vécu ici sur Croisilles au CAES pendant plusieurs mois. Ils racontent ce qu’ils ont vécu pour quitter le Soudan. C’est un livre très très émouvant. Ils ont, sous forme de dessins, raconté leur émigration avant d’arriver sur Croisilles. Ils étaient 37. Le CAES, c’est l’ancienne maison de retraite qui a été mise à contribution pour les accueillir.
C’était une expérience pleine d’émotions, tant pour eux que pour nous, parce que ça a été un partage énorme, le temps de leur présence ici. Entre l’édition du livre et le concert. Un concert en commun : les Soudanais et l’harmonie de Croisilles. Ça reste des moments très très émouvants. J’aimerais que les gens sachent ce que les migrants vivent et ils seraient beaucoup plus tolérants. J’aimerais qu’on remette de l’humain.

• Une boite à idées. Suite à la création de notre atelier de chant. Chaque participant à l’atelier dépose dedans un petit papier avec des titres de chansons qu’il aimerait voir interprétées dans le cadre de notre atelier chant. L’atelier a été créé avant le premier confinement, et là on vient de reprendre, on  a déjà eu deux ou trois répétitions. C’est un atelier de chant dans lequel on voudrait que les gens déposent à la porte tous leurs soucis et qu’ils viennent ici uniquement pour le plaisir du chant. Le chant est une forme de thérapie.
On essaie d’alterner entre des chansons plus anciennes, genre Bourvil, et des chansons plus contemporaines, comme Les Corons, pour que tout le monde prenne du plaisir. On a fait une chanson de marins en canon, ça a a beaucoup plu.
Dans notre atelier de chant, il n’est pas question de faire des concerts. Ce n’est que pour des moments de détente, des moments où on est bien ensemble.

Chez Geneviève & Robert

Première journée à Croisilles, qu’on clôture avec notre première interview : chez Geneviève et Robert. Ils font partie des habitants qu’on a vu sur les rendez-vous de préparation, puis surtout, on a passé l’après-midi avec Geneviève.
Geneviève et Robert habitent depuis 6 ans à Croisilles, « mais nous sommes normands ! ». Ils sont arrivés à Croisilles pour une question de rapprochement familial : deux de leurs enfants habitent aux alentours, ils souhaitaient voir grandir leurs petites-filles et puis surtout, il fallait penser à leurs vieux jours. Alors ils se sont rapprochés, mais attention, « on ne les envahit pas », on n’est pas dans le même village, on est à 7 km. Ils ont trouvé une maison de plein pied, dans ce village où ils ont pris le temps, avant de choisir de s’y installer, de faire un tour en mairie pour voir un peu la richesse des associations.
Avant d’habiter Croisilles, ils étaient juste à côté de Cherbourg et avant ça à Brest, à Tahiti et en Guyane. Geneviève a été assistante sociale et institutrice, Robert était dans l’armée, du côté de l’entretien, disponible à tout heure.
On nous a dit que Robert était un peu le MacGyver de Croisilles : il ressert les vis des tables du Cube, répare des cafetières, construit une boite à livre dans un frigo qu’il a préalablement dépollué. À Croisilles, ils sont bien, ils ont trouvé leur place, « il manque juste les fruits de mer ».