« On va faire une boucle ronde »

Le rendez-vous était pris depuis des semaines : Geneviève et Katia devaient être nos guides pour cette visite de Croisilles. L’itinéraire a été préparé en amont, validé par les membres du comité des habitants. François (qui pourtant n’avait pas lu l’itinéraire proposé) s’est joint à nous, en compagnie de Daisy.

On a fait le tour de Croisilles : en partant du Cube, notre QG, on est passé devant la résidence des poètes. On a remonté la rue de Fontaine, jeté un œil au chemin de Saint-Martin (on nous a indiqué une jolie balade partant de là). On est passé devant la Mairie par la Grand Place, on a fait l’historique des commerces et on nous a montré la rue où se trouve le béguinage Jean Ferrat. Puis on est descendu par la route départementale (celle en direction de Saint-Léger) avant de tourner rue Eugène Hornez. On est monté jusqu’à la salle omnisports, qui est aussi la salle polyvalente (mais qui n’est pas la salle des fêtes). On est redescendu jusqu’au chemin du Tour et on est remonté  jusqu’à la rue de la Gare en passant par la rue du Moulin. On a traversé la rue du Pont pour voir la résidence de la Ferme puis on a traversé la Sensée (un cours d’eau avec peu d’eau) pour voir la résidence des Prairies. On a laissé Katia devant chez elle, au béguinage des Mimosas, avant de rentrer dans l’éco-quartier pour revenir devant le Cube, la boucle était bouclée.

Et on a appris plein de choses.

On a appris par exemple que le quartier des poètes, c’était avant tout une résidence. Que la gendarmerie n’était plus à Croisilles tous les jours parce qu’elle se partageait avec les villages de Marquion et de Vis-en-Artois. Que la maison des instituteurs est devenue une bibliothèque et que le bar « L’Emeraude » était une quincaillerie où les clous étaient vendus au poids. Qu’il y avait un menuisier avant, et pas mal de café. Que le CAES, c’était l’ancien EHPAD. Qu’il y a une momie dans l’église, mais ça mérite bien tout un article.

On a appris aussi que Croisilles avait été entièrement détruit pendant la première guerre mondiale parce que du haut de sa colline, c’était un endroit stratégique qu’il ne fallait pas laisser aux mains de l’ennemi. L’armée a fondu les cloches de l’église pour faire des munitions, et les habitants ont planqué le mobilier de l’église dans les caveaux pour qu’il ne soit pas détruit. On a appris que sous la grand place, il y avait tout un réseau de sous-terrains : on en a extrait de la craie il y a quelques siècles puis on s’en servait de refuge pendant les bombardements des guerres. On est passé devant la ferme des Poutrain : c’est en partie grâce aux carnets d’Alexandre Poutrain, maire de Croisilles à l’époque, qu’a été écrit « Une histoire de la grande guerre », le livre écrit par 7 habitants sur le Croisilles de 14-18. On rencontre une partie des auteurs dimanche, et les descendantes d’Alexandre Poutrain lundi. On a admiré les façades art-déco de la reconstruction de l’après-guerre et on nous a indiqué les portes auxquelles il fallait toquer pour en savoir un peu plus sur l’histoire du village. On a vu l’un des trois cimetières anglais : trois, parce que pour les soldats qui se sont battus sous le drapeau de l’Angleterre, on ne rassemblait pas les corps, ils étaient enterrés là où il étaient tombés.

On a appris enfin qu’il y avait eu une voie ferrée qui reliait Marquion à Boisleux-aux-Monts et qu’elle n’appartenait pas à la SNCF : c’était une voie d’intérêt local. Elle servait surtout pour la marchandise, et quand elle a été fermée, certaines communes ont racheté le bout de parcelle pour un franc symbolique. A Croisilles, c’est devenu une voie verte. Au mois de novembre c’est boueux, mais c’est très joli. On est passé devant l’ancienne gare, dont il ne reste qu’un tout petit bâtiment.

On serait bien resté encore un peu si la nuit n’était pas tombée, on était bien mais pour un premier jour, on en sait déjà beaucoup !

Changer de prénom et revenir

Au QG, qui s’appelle ici le Cube, en début d’après-midi, membres, présidente, directeur, vice-présidente…, bref le « comité des habitants de Croisilles » est venu nous rendre visite, prendre le café avec nous. Enfin, nous rendre visite, façon de parler parce que le Cube, c’est la maison des associations, alors en fait c’est eux (les membres du comité des habitants) qui nous accueillent ici, même si pour une semaine, le Cube s’appellera le QG du Portrait de Croisilles. On fait un tour de table avec météo intérieure : mettez-nous des paillettes dans les yeux, je suis très content, très curieux, ravie, très impatiente depuis le temps ! Et puis ils nous racontent ce qu’est ce comité des habitants de Croisilles.
Et puis on part faire la visite du village. En chemin, on reparle avec François, qui avait dit – quand on avait parlé du CAES et des migrants – que ses parents étaient polonais. On reparle avec François pour en savoir un peu plus. Est-ce que c’était pour travailler dans les mines que votre père était venu de la Pologne jusqu’ici ? Oui. En fait, son père savait diriger une charrette conduite par des chevaux, alors bien sûr il a été envoyé au fond. Pour les charrettes tirées par les chevaux au fond de la mine. Mais le père de François s’est aperçu qu’il était claustrophobe, alors il a été renvoyé et il est reparti en Pologne. Mais il voulait revenir en France, alors il a pris le prénom de frère pour pouvoir le faire. Il est revenu pour travailler dans l’agriculture, ouvrier dans l’agriculture, avec le prénom de son frère.

Se rendre compte de visu

On a fait une super balade avec Geneviève, François, Daisy et Cathia dans tout le village. On a vu mille choses et appris l’histoire de Croisilles grâce à nos guides. On discute pour savoir où on va danser ce soir et demain. On choisit les danses et les accros. On part pour l’adage peut être sur la route du cimetière. Ce soir la nuit tombe vite alors il faut danser dans les phares de voitures ou sous les lampadaires. Le tour qu’on a fait dans les quartiers nous informe de l’évolution à travers les années de la population locale. Bénédicte, Mourad, Lucille et Dorothée sont partis dans les champs qui environnent le Cube, dans l’obscurité de la nuit. Au coin de la rue. Danser et faire des percussions corporelles et des acrobaties.

On en rêvait, Croisilles l’a fait !

Croisilles, 1900 habitants, le centre social culturel le plus petit de France. C’est rare un centre social à l’échelle d’un village. Caroline, Rémi, Caroline, Geneviève, Katia, Christine, Daisy et François nous proposent un moment café pour parler de la maison des Associations. Lieux où ils se retrouvent pour proposer des projets pour la commune. Leur engagement est fort ! Leur enthousiasme est communicatif. Ils veulent de la vie dans leur village. Des idées, ils n’en manquent pas ! C’est sûr, comme Guy, ils ont du lire le livre «Do it» dans les années 70 : «Tout était possible».
Leur démarche est collective pour choisir les projets et déterminer le comment. Leur intention est claire, créer une dynamique qui rassemble dans ce petit village rural. Petit ! Et pourtant organisé en trois quartiers séparés. Ce collectif organise des ateliers gym, de langues étrangères, d’orthographe… des visites historiques, à la mer ou à Disneyland. Pourquoi Disneyland ? Parce que des gens n’y sont jamais allés. Tout est organisé, trois bus, une centaine de personnes et une visite guidée.
Une question essentielle, qui revient dans tous projets de territoire : « Comment mobiliser les
habitants ? »
– Il y a ceux qui ne participent pas, mais sont contents que cela existe.
– d’autres viennent occasionnellement participer.
– d’autres participent souvent.
– d’autres s’investissent en tant que bénévole.
Ce matin même, ils ont réalisé des travaux dans deux mares pour préserver l’état écologique propice à la vie. C’est dur d’entretenir une mare, il faut enlever la boue les pieds dans l’eau. Ils sont ravis d’avoir bénéficié de l’aide de quelques jeunes du village. Il faut préciser qu’il existe aussi un comité des jeunes géré par les jeunes eux-même. Récemment, j’ai découvert les Waaldés en Afrique, associations de jeunes parrainées par des adultes, pour les accompagner à créer des projets collectifs. Je me disais, ce serait bien de développer ça dans les communes. Croisilles l’a fait !

Le Marché – Trio

Le marché à Croisilles, c’est samedi. Alors, à peine installés au QG, on ouvre les sacs de caméras, Martine vérifie les cartes SD, Bénédicte règles les cadrages, on vérifie les batteries et les micros, et on part, pour aller sur le marché. Ici le marché c’est un trio : Fruits & Légumes – Rôtisserie – Fromages.
Il n’y a pas beaucoup de monde à l’heure où nous arrivons, mais Max et Dany se prêtent au jeu des citations : « On peut être jaloux, mais à ce point c’est ridicule. »  « Le Paradis est là où je suis. »
Et du côté de la fromagerie, c’est le portrait chinois qui aura du succès : Si Croisilles était un plat ce serait quoi ? La pâtisserie de chez Salomé [la boulangerie juste derrière nous]. L’Opéra ! Parce que c’est extra !

C’est parti ! On a pose nos valises de caméras à Croisilles

Nous voilà à Croisilles dans le Pas de Calais, à l’est d’Arras, pas loin de Bapaume. Toute l’équipe est à la tache, sur le petit marché de Croisilles pour glaner des portraits-citations. On est bien installé au Cube, une maison dédiée aux associations. On a tout un étage pour nous. C’est notre quartier général pendant tout le temps du travail de portraits qu’on réalise sur Croisilles jusqu’à la présentation du film spectacle dimanche en huit à la salle des fêtes. Les danseurs et danseuses, acrobates, comédiens et comédiennes, vidéastes et artistes de tous les domaines vont déambuler dans la ville, jour après jour pour partager, discuter, danser avec les gens. Comme on l’a fait dernièrement à St Palais au pays basque. ou encore comme on l’a initié à Ferfay à travers quelques récits de vie.