PASCALE – UN RÉCIT DE FERFAY – Partie 3

DES ANNÉES SANS SE QUITTER

Pascale : Moi j’étais très… Mais Guy, on ne s’est pas revus. C’est ça qui est quand même un peu paradoxal dans notre cheminement de vies. C’est que, j’étais très bonne en allemand aussi. D’ailleurs j’avais eu la meilleure note au bac. Je me rappelle on m’avait félicitée au Lycée d’Auchel. Mais bon, tu sais mieux parler allemand que moi maintenant, quand tu m’envoies maintenant des mots en allemand, parfois je me souviens plus trop bien. Parce que toi après t’es partie en fac d’allemand… Et je ne savais que ça de Guy. Alors que finalement, on était très proche quand même….

On parlait de Brassens. C’était mon compositeur préféré. Moi, fille d’ouvriers, Brassens, pour moi, c’était l’apothéose. Je me vois encore, il y avait un arbre, devant chez ma mère. Je me revois encore, on refaisait le monde, on était un peu…, on rêvait. Après je me rappelle de choses que Guy ne se rappelle plus.

Justine et Isabelle : Peut-être qu’il se souvient, mais il ne veut pas le dire.

Pascale : Je me rappelle quand on a travaillé l’Écume des jours de Boris Vian. Guy ça lui posait problème à chaque fois. Il se posait des questions… Après ça a été La Peste de Camus, et Guy il me disait tout le temps : « Tu crois pas que j’ai la peste, tu crois pas que j’ai la peste, tu crois que j’ai les symptômes ? ». Je me vois encore au terrain de football. On y allait, on s’asseyait là, sur le talus. On parlait, à deux, on parlait. Il n’y a que nous deux dans le groupe qui parlions comme ça. On avait des conversations sur le monde, beaucoup. Et on faisait les devoirs ensemble, là-haut je les ai, il faudra que je te montre : physique, math, tu venais chez mes parents et on faisait ça ensemble, jusqu’au bac.

 

PUIS PLUS RIEN

Pascale : Et après le bac, on s’est quittés et on s’est plus jamais revus. Je suis partie à Arras. On ne s’est plus revu. Je ne sais même pas comment ça s’est fait. Comment on a pu être ensemble si longtemps, puis coupure, plus rien.
Moi j’essayais de savoir parfois si tu revenais, mais je ne savais jamais non plus. Et j’avais entendu dire que tu n’aimais pas revenir, alors tu ne revenais pas souvent.
Tu revenais ?

Guy : Euh, euh, euh.

Pascale : Quand t’étais à Lille ?

Guy : Ouais, oh… euh, pas très souvent… je crois, à un moment, j’ai dû couper…

Pascale : Voilà.

Guy : Euh, enfin, c’est-à-dire, je crois que c’était, euh. C’est-à-dire, si je voulais, comment dirais-je, changer de vie, c’est-à-dire m’installer véritablement à Lille. Je me disais à un moment donné fallait que je coupe le cordon.

Pascale : D’accord.

Guy : Avec les parents. Tu vois ? Je pense. Et j’ai commencé à faire des stages de théâtre le weekend. Et tout ça. Et donc ça m’a pris du temps. Tout ça c’est la faute du théâtre.

Pascale : La nostalgie. Je ne suis peut-être pas très bien, mais je crois qu’il y a une part de ça, de nostalgie. Ensemble, il y a beaucoup de choses, une souffrance, en même temps une richesse. Mais ça nous fait mal sûrement, non ?

Guy : Oui.

Pascale : Pourquoi ? On ne saurait pas le dire, c’est ça qui est terrible. Y a pas de réponse. Y a pas de réponse. Quelque fois on a encore peur d’en parler. On n’est pas encore délivrés. Tu vois, là, je me sens comme prisonnière. Je ne sais pas de quoi. Je découvre ça maintenant.

 

COMMME SI ON NE S’ÉTAIT JAMAIS QUITTÉS

Pascale : Comment ça c’est fait que j’ai revu Guy ? Mon père, dans le journal, à chaque fois il découpait les articles concernant Guy : « Tiens Guy il est là, il est là ». Alors, je le voyais et je le voyais vieillir aussi. Bon moi je l’ai connu jeune. Mais on vieillit, on est tous pareils. Je le voyais vieillir et je le voyais ressembler à son père en vieillissant. Et puis un jour je vois qu’il est à la Comédie de Béthune, et je dis « tiens je vais y aller ». Mais je dis à ma fille « tu viens avec moi », parce que quand même je n’étais pas capable d’y aller seule. Dur quand même. Dur de l’affronter.
Donc j’y vais, je prends mes tickets et je dis à la dame : « Faudrait dire à Guy que sa copine d’enfance, Pascale Lecoq… (je ne donne pas mon nom de femme, après que je me dis peut-être il ne connaît pas mon nom de femme)… Pascale Lecoq vient voir le spectacle. Vous pouvez lui faire savoir ? » – « Oui, oui, très bien, Guy il est gentil, on va lui dire… »

(Le spectacle à Béthune, Guy pense que c’était Les Sublimes, Pascale pense que c’était Les Atomics.)

Pascale : Bon ben voilà, pas de réponse. Le lendemain pas de réponse. Je me dis oh pff. Le surlendemain, voilà Guy qui m’envoie un message : « Je t’attendrai à la fin du spectacle, on se verra. » Et là je me dis : « Mais qu’est ce que je vais lui dire moi, trente ans après. » On s’était quittés à 17 ans, j’avais 50 ans. Qu’est-ce qu’on va se raconter ?On était devenus deux adultes totalement différents, c’est sûr. Qu’est-ce qu’on va se dire ? Et puis je me dis : « Oh, tant pis, j’y vais quand même, si on n’a rien à se dire, on n’a rien à se dire, voilà ». Un peu comme des retrouvailles, des frères et sœurs, ça doit être dur quand même. Mais on était complices tout de suite. Quand on s’est vus, on était contents de se voir déjà. Puis, comme si on ne s’était jamais quittés. Et ce qui était surprenant quand même c’est que Guy il suivait mon parcours et moi j’avais aussi suivi son parcours. Il savait même où j’habitais, parfois il passait devant la maison, je le savais même pas. C’est quand même surprenant. On n’a jamais rompu les liens, tout en les rompant. Ouh, vous voyez, là je ne suis pas bien, je suis sûre là quand même, il y a quelque chose, on est prisonniers de quelque chose.

 

LES CORONS, UNE RICHESSE

Pascale : On a besoin d’être délivrés d’un passé. Parce que les corons, les corons, moi avant je n’y allais pas dans les corons. Je n’y allais plus. Je te l’avais dit aussi, je ne passais plus dans les corons. Parce que c’était les corons, c’était péjoratif, c’était négatif, on nous disait c’était les gueules noires des corons. Ça renvoyait toujours à une image noire. Je ne traversais pas les corons. Jusqu’au jour où, vers la cinquantaine, je ne sais pas ce qui m’a pris, il fallait que je retourne dans les corons, que j’aille voir ce qu’il se passait dans les corons. Et là c’est devenu autre chose. Je me suis dit c’est une richesse d’avoir été élevée dans les corons. Cette enfance qu’on a eue. On vivait en communauté, on était ensemble.

On avait les mêmes jeux.
Les cerfs-volants par exemple. J’ai fabriqué je ne sais pas combien de cerfs-volants. Tu te rappelles ? On était sur le terrain de football, avec du papier journal, de la colle à tapisser, des branches et puis hop. C’était à celui qui allait voler le plus haut.

Guy : Ça partait très loin.

Pascale : On jouait dans la pâture à Fé, on jouait al doche.
On jouait sur les monts de betteraves, on rentrait on était hyper sales. Ma mère elle râlait. Derrière la salle des fêtes actuelle, parce qu’il y avait une bascule, les tracteurs venaient, et ils y avait des montagnes de betteraves.

Guy : Les monts de betteraves, ça s’étalait sur un espace très large. On jouait, on roulait sur les betteraves, comme sur des montagnes. Et on cassait des queues de betteraves et on se les balançait dessus comme si c’était la guerre.

Pascale : Nous les filles, non, mais les garçons oui. Enfin Guy, c’était un garçon très doux quand même, du souvenir que j’en ai.

PASCALE – UN RÉCIT DE FERFAY – Partie 4

DANS SES SPECTACLES JE VOYAIS GUY

Pascale : On a évolué différemment quand même. Dans tous les domaines. Quand j’ai vu son spectacle, j’ai vu Guy. Même si je n’avais pas su que ça venait de Guy, j’aurais dit ça vient de Guy. Parce que son spectacle, déjà c’était noir. Et je me suis dit : « Guy, il est toujours aussi noir. ». Et en plus ça partait dans tous les sens. Un peu comme moi j’avais connu Guy. Il se posait des questions dans tous les sens. Il n’y avait pas de réponses. Et en même temps les réponses, elles étaient noires, souvent. Ce n’était jamais gai. Moi aussi, j’ai été un peu comme ça, à me révolter, à me poser des questions, à être pessimiste et tout. Puis après, il y a eu un moment de ma vie où je me suis dit, t’as pas de réponse, t’as pas de réponse, t’en auras peut-être jamais. Je n’étais plus comme ça.

 

LES LUMIÈRES DE LA MINE

Pascale et Guy se remettent à parler des gens qu’ils ont connu quand ils étaient enfants :

Pascale : Je connaissais Rimbert parce que mon grand-père c’était le gardien de la mine. C’était le concierge. Donc, quand j’allais chez mon grand-père, on allait fermer les lumières de la mine le soir. Et j’allais chez mon grand père en tombereau, avec un cheval : « il carrio du carbon ». Et moi je montais dans le tombereau et j’arrivais chez mes grands-parents. On passait par la voie ferrée. Je vous raconte ça, on a l’impression que c’était il y a des siècles. C’était il n’y a pas longtemps. Quand je raconte ça à mes petits-enfants, ils m’écoutent mais ça leur semble irréel. On vivait avec peu. On était heureux. Moi j’en garde de très bons souvenirs.

Guy : Moi aussi.

Pascale : Mais on avait rien, on avait rien.

Guy : Mais on ne connaissait pas l’extérieur aussi. Quand on a vu comment c’était à l’extérieur, c’est là que ça a commencé à se compliquer. Mais c’est vrai, mis à part notre instituteur, on vivait pas mal. Mais il avait fait la guerre, la guerre d’indépendance d’Algérie, et je crois qu’il ne s’en est jamais remis.

Pascale : Mon père aussi il a fait la guerre d’Algérie. Il est partie j’avais 18 mois, il est revenue j’avais 3 ans. Maintenant je sais que j’en ai souffert. Quand il est revenu, (Guy, tu vois comment elle était la maison) mon père, il était là, dans le coin avec son treillis. Et ma mère elle m’a dit, va t’asseoir sur ton père. J’ai jamais voulu, il était devenu un étranger, j’avais peur de lui.

Plus tard, j’étais un peu idéaliste, je ne voulais pas être raciste, j’étais antimilitariste, anticonformiste, alors parfois c’était la guerre à la maison. Alors avec mon père, quand on commençait à parler de ça, ma mère elle me disait : monte dans ta chambre. Oh, je montais dans ma chambre, on n’avait pas le droit de parler de ça. Je ne comprenais pas mon père. Mais maintenant, avec le recul, j’ai vu des documentaires et que maintenant, je ne peux pas dire que… mais je peux quand même le comprendre. Quand tu reviens d’une guerre, après t’as un comportement différent.

Monsieur Héroguelle, il avait fait la guerre, mais sa femme elle était méchante aussi. Elle était institutrice aussi. On l’avait au CP. Ils était méchants tous les deux, c’était les instituteurs d’avant. Ils habitaient le logement de fonction. Quand on passait devant, si on avait le malheur de ne pas avoir dit bonjour, même s’il n’y avait pas école, on était punis. C’était comme ça.

Guy : Elle, elle n’était pas tendre, mais elle était moins dure que lui quand même.

Pascale : Je me souviens qu’elle n’était pas tendre non plus. Je me souviens bien de la classe enfantine : on faisait pas grand chose, on faisait des aquarelles, des coloriages. Moi j’écoutais ce qu’il se passait au CP à côté.

Je me rappelle aussi les odeurs de l’école, les odeurs des cahiers, de l’encre, de la craie et des tables : on devait les laver, on devait les cirer.

Et la fête des écoles : c’était militariste. On partait, on défilait, dans une pâture, à la baguette, on était nombreux, on bougeait pas, pas un mot. J’en ai encore des souvenirs. Et les femmes, les mères, elles préparaient les costumes en crépon.

Il y avait aussi des concours de diction. J’avais eu un premier prix, je m’en souviens avec « Demain, dès l’aube » de Victor Hugo. Je m’en souviens, il y avait un « o » dedans, tous les matins je m’entrainais pour dire le « o » de la bonne façon. Après je l’ai fait apprendre à mes élèves : mes CM1, CM2, ils l’ont eu « Demain, dès l’aube ». « Lili » de Pierre Perret, ils l’avaient aussi. Et puis de Jean Ferrat « Nuit et brouillard ».

 

C’EST PRÉGNANT LES CORONS

Pascale : C’est prégnant les corons. Quand j’ai vu « La Brique », j’ai vu que dedans il y avait des petites erreurs.

Guy : C’est la différence entre la mémoire et l’histoire.

Pascale : Il y avait une erreur géographique par exemple : tu montrais une maison et ce n’était pas ça. Tu montrais chez ma mère et tu parlais de Florent Bernard. Il y avait aussi, et je voulais t’en parler, une interprétation différente des ressentis qu’on avait pu avoir et c’est pour ça que j’aurais voulu t’en parler.

Oui, c’est surprenant, il m’est arrivé de revoir des gens des corons, occasionnellement, et à chaque fois, les gens des corons, les gens qui étaient jeunes comme nous dans les corons, ça leur a laissé une trace. Je ne sais pas pourquoi, je voudrais bien savoir. À partir de la cinquantaine, comme je te disais, je repassais dedans. Avec mon oncle Maurice, je refaisais la généalogie de tous les corons, avec un plan, les familles dans toutes les maisons, tel numéro, telle personne. Les liens, c’était son frère, c’était sa mère…, ah ouais, ils étaient cousins aussi, alors c’était… ah oui… Jean-Louis Patignies, il a fait un plan et il a écrit les noms. Et lui, il n’a pas tout à fait les mêmes personnes, parce que c’est une génération avant. Alors, il m’a dit, vient à la maison, on va mettre ça ensemble, sur 30 ans, les choses qui ont changé.

C’est prégnant les corons. Il y a aussi un stress permanent, par rapport aux gens qui descendent au fond, un stress qui devient une solidarité. Guy nous racontera qu’il y avait un rituel chez lui, une sorte de superstition : sa mère allait tous les jours au bout du jardin, pour voir son mari qui partait à la mine, jusqu’à ce qu’il soit sorti complètement de son champ de vision. Sauf s’ils s’étaient vraiment fâchés juste avant, c’était tous les jours. Une sorte de superstition.

Line – Un récit de Ferfay

En novembre, Guy viendra jouer la première de son nouveau spectacle « Courts-Circuits » à Ferfay. Dans son village. Là, nous y passons une journée, pour rencontrer des habitants et recueillir leurs paroles. (On mesure ce jour-là à quel point c’est un événement pour Guy de se préparer à venir jouer dans son village, la première du spectacle où il raconte tellement de choses qui viennent de là).
Et cette après-midi là donc, dans le village de Ferfay, c’est vraiment très particulier. On ne rencontre pas une « habitante de Ferfay », on rencontre une amie d’enfance de Guy. Une amie de la cité, de numéro 3. Alors, rien n’est comme d’habitude. Parce que d’habitude, en veillées, quand nous allons à la rencontre des habitants et des gens qui font la vie du village ou du quartier où nous sommes en résidence, nous demandons : est-ce que vous pouvez vous présenter ? Puis on rencontre les gens, on parle, ils nous raconte « ce qu’ils font là », quelle est leur vie, leur rapport à la culture, leur culture, leur quotidien.
Mais là, nous ne rencontrons pas une « habitante de Ferfay », nous rencontrons une amie d’enfance de Guy. Line. Ça a aurait pu être Francine ou Fanny parce qu’à sa naissance, dans la maison, on hésitait sur son prénom. Mais, c’est Line : c’est la sage-femme qui a choisi. Même si à cette époque les accouchements se faisaient déjà à l’hôpital, Line est née dans la maison, dans les corons, à numéro 3.
Ah oui, Line est aussi Madame La Maire (avec un macaron sur la voiture, comme elle dira), et c’est en tant que Maire aussi, qu’elle était là lundi dernier à la réunion publique organisée par Culture Commune pour préparer « La scène mobile à Ferfay » et de la venue de « Courts-Circuits ».
Line reparle tout de suite de la réunion publique de lundi dernier, mais ce n’est pas pour évoquer « La scène mobile à Ferfay » ni « Culture Commune ».

LES FRATERIES

Line : J’étais étonnée de voir Fernand.

Guy : T’as vu ? Moi aussi. Ben, ça m’a fait plaisir. On s’est promis de se revoir. C’était de l’émotion de le voir, ça m’a coupé le souffle d’émotion. Je me suis dit, Fernand, il me fait le plaisir de venir. Entre nous, il y a une grosse différence d’âge. 20 ans. Je suis le petit dernier.

Line : Moi c’est pareil, il y avait moins de différence d’âge avec mes frères, mais quand même, j’avais 13 ans avec mon frère aîné. Quand on est gamins, c’est énorme cette différence.

Guy : Ah ben oui, c’est comme s’il y avait eu presque une génération.

Line : En plus tu vois, mon frère il a fait son service militaire, c’était au moment de la guerre d’Algérie, donc il est parti, j’avais à peine 6 ans. Quand il revenait en permission, il était déjà avec sa future épouse, avec ma belle-sœur. Alors forcément. Ils se sont mariés en rentrant du service militaire en 1964, j’avais pas encore 8 ans. Et puis mon grand-père est décédé en janvier 65, alors mon frère Francis il est allé habiter chez ma grand-mère, pour qu’elle soit pas toute seule. Ce qui fait que moi, à partir de l’âge de 8 ans, je me suis retrouvée seule avec mes parents.

Guy : Comme une fille unique.

Line : Comme une fille unique, gâtée pourrie par mes parents. Gâtée par les parents, par mon père surtout, il me passait tout. Ça ne m’a pas toujours aidée. J’étais capricieuse. J’étais une chieuse. Je le suis encore, mais bon, différemment.

LES COUSINES

Guy : Je pense à ma sœur des fois, quand elle raconte sa vie dans les corons. Ce n’était pas facile pour une femme d’être dans les corons. Et là, toi, tu es maire, ça t’es venue comment ?

Line : Voilà, voilà. C’est un concours de circonstance ! C’est l’histoire de la vie ça !
… Je te l’ai dit quand on s’est rencontrés à l’enterrement de la mère de Cathy. Pour moi, Eliane et Janine, quand j’étais gamine, c’était le summum de la beauté, de l’élégance, de tout ce qui se faisait de mieux.

Guy (à nous) : Eliane c’était ma sœur, et il y avait une cousine, c’était Janine. Quand elles allaient au bal, elles étaient sapées comme jamais et elles faisaient l’admiration des plus jeunes.

Line : Et de moi surtout. Il y avait Marylise Lesur aussi. Alors moi, quand j’étais gamine, parce que nous on jouait dans les rues, c’est clair, on jouait dans les corons. Moi je suis née là-bas, et en plus à l’époque, on ne mélangeait pas le village avec la cité. Moi, j’ai mal tournée, j’aurais mieux fait de rester dans les corons, parce que je me suis mariée avec un gars de Ferfay-Village et ça n’a pas du tout marché. Enfin, ça c’est une parenthèse.
Mais Marylise, maintenant je la côtoie parce qu’elle fait de la rando avec Ferfay-Rando. On a une grosse association de randonnées. Ferfay-Rando : là on vient de faire un séjour, on était plus de 53 à partir. Il y a des gens qui font le séjour, il y a les gens qui font les randonnées. Mercredi matin, randonnée douce, mercredi après-midi, randonnée un peu plus… longue, on va dire. Après il y a la randonnée du weekend.
Et quand Marylise elle me raconte son enfance, moi j’hallucine. Parce qu’en fait moi j’ai connu ses parents, je les ai côtoyés toujours dans le cadre de festivités, de choses comme ça, et je me rappelle que son père c’était un gai-luron quoi. Mais Marylise me dit qu’à la maison, il était morose. Alors ça, on ne peut pas le savoir, on peut pas savoir.

Guy : Mais t’as ça souvent. Les gens qui sont très dôles, ils cachent quelque chose, une souffrance. Mon oncle Abel, le père Marylise, il disait : je reprends du pâté, la moutarde elle est bonne.

Line : Et Marylise, elle avait pas le droit de sortir, et nous en fait on pensait qu’elle ne voulait pas se mélanger à nous. Enfin, tout ça c’est des a priori. Forcément, quand on parle de son enfance, il y a des choses qui reviennent.

Guy : Marylise, c’est une cousine à moi, que je revois de temps en temps.

Line : Je vais lui dire qu’il faut qu’elle vienne voir ta pièce. Avec Serge, c’est son mari. Elle habite sur Ames, elle n’habite pas sur Ferfay. C’est tout comme, elle est juste à côté.
Et après, vous allez aussi rencontrer Régis Lhomme. Vous allez voir, il est marrant parce qu’il me dit que pratiquement, il y avait un membre de sa famille dans chaque coron. Moi non, mais comme vous, la famille Alloucherie, et Lesur, Blondel. Un membre de sa famille dans chaque coron.

Guy : Oui, Alloucherie, avec Lesur, Blondel. Une famille dans chaque coron. C’est vraiment les cousins, les cousines. Les oncles, les tantes, ils étaient revenus s’installer dans les corons, parce que la plupart travaillaient à la mine. Et les Lesur, du côté de ma mère, c’était une grande famille aussi. Et les Alloucherie aussi. Y avait ma grand-mère aussi, elle est morte à 97 ans, qui était dans le dernier coron, en bas, en face de chez Marie.

FERFAY, PARTIR ET REVENIR.

Line : Si, moi je suis partie de Ferfay, bien sûr que si. Ben si, je me suis mariée en 73. Mais le bac était en juin, Guillaume est né le 30 juin, j’ai décroché à partir des vacances de Pâques. En math, ça allait encore (j’étais en C), mais la physique, c’était pas mon truc, la chimie aussi ça allait. À l’époque j’étais normalienne, enfin, j’avais eu mon concours d’entrée à l’école normale, et c’était les premières années où on était plus obligé d’aller à Arras. Et comme j’ai pas eu mon bac, j’ai eu la possibilité de redoubler, mais ma mère elle m’a dit « pas question que je m’occupe de ton gamin, j’ai plus l’âge pour ça ». Ben donc, j’ai du me débrouiller. Alors, j’ai fait trois enfants tout de suite, comme ça c’était vite fait, bien fait. Guillaume est né en 74, Vincent en janvier 76 et Aurélie en septembre 77. Donc j’ai eu mes enfants. Et après j’ai passé un concours pour travailler à La Poste, que j’ai eu et donc je suis partie travailler sur Paris, et après je suis revenue travailler à Lille. Ensuite, du fait que je me suis séparée de mon mari, je suis revenue habiter à Ferfay en 85. Et là, paradoxalement, ma mère qui avait quand même quelques années de plus, elle a accepté de s’occuper d’un des gamins, et ma belle-mère elle s’occupait des deux autres. Comme je travaillais à Lille, j’ai demandé à travailler la nuit. Les enfants dormaient chez papi-mamie et chez mamie de l’autre côté. Ainsi va la vie. Et c’est en travaillant que j’ai rencontré mon nouveau mari.

DEVENIR MAIRE

Line : C’est tout un concours de circonstance en fait. Mon père est décédé en 87, dans l’exercice de ses fonctions de maire. Pour élire un maire il faut que le conseil municipal soit au complet. Comme il était mort et qu’il y avait déjà eu un décès avant (je pense que c’était le père de Cathy), il fallait donc d’abord élire deux conseillers municipaux. Mais moi, franchement, jamais un seul de mes cheveux n’avait pensé à remplacer mon père. Et à l’époque c’était Élie Suchet et Gaston Nicolle (tu te rappelles d’eux ? oui.), c’était deux personnes qui étaient déjà sur la liste, ils sont venus me voir. Moi je dis oui, pourquoi, pas. Mais dans ma tête c’était Francis, c’était mon frère, qui habitait à Ferfay depuis tout le temps. Du coup, je demande à mon frère qui me dit non, ça ne me gêne pas, tu peux te présenter. Je le fais. Sauf que c’était des élections partielles en 87, je n’ai d’ailleurs pas été élue. C’est deux personnes de l’opposition qui sont passées. (Je me suis présentée avec Pascal Bouche, et on n’a pas été élus ni l’un ni l’autre, donc en 87). Et en 89, nouvelles élections, ils m’ont redemandé. Et là, je suis entrée au conseil municipal, vous voyez, ça fait 32 ans. Et j’ai tout de suite été adjointe, sans rien demander à qui que ce soit. Et puis après Élie Suchet, il avait déjà de l’âge, il a vite passé le relai à Gaston Nicolle et moi je suis devenue sa première adjointe très rapidement. Et pareil lui il est décédé après deux mandats, et c’est Régis Lhomme qui a pris la fonction.

Justine : Régis, on le voit le 6 novembre. Avec sa femme, c’est de la famille à toi ?

Guy : Non, elle s’appelle Alloucherie, mais non, je ne sais pas, non, ce n’est pas ma famille, je ne sais pas.

Line : Peut-être pas, non, parce qu’elle est d’Isbergues. Mais bon, quelques fois, on est surpris. Moi j’ai fait un peu ma généalogie et en fait, rapidement, comme la famille elle a pas trop bougé, on s’aperçoit qu’on a, sur 3 ou 4 générations en arrière, c’est pas vieux, des oncles et tantes, des frères et sœurs.

NUMÉRO 3, LE VILLAGE ET L’ENGAGEMENT

Line : La différence entre le centre et la cité a changé parce que maintenant il y a un regroupement pédagogique. Du coup, dès qu’ils sont petits, les enfants, ils sont ensemble. Avant il y avait 3 écoles : école des filles et école des garçons au village et l’école mixte à la cité. Et il n’y avait pas de mélange. Maintenant, les enfants ne font plus de différence. À l’époque à la cité c’était des mineurs, au village c’était des gens un peu plus… cultivateurs ou bourgeois. Maintenant, c’est mélangé. Mais il a fallu quand même deux salles des fêtes. J’ai été présidente du comité des fêtes, alors on a créé Les Géants de Ferfay, on les a sortis pendant des années. Je suis tombée dans la marmite quand j’étais petite. J’ai toujours baignée dans le milieu associatif. Oui, oui, j’étais syndiqué oui. À la CGT oui. Et je suis toujours au parti communiste, je suis membre. Mais il n’y a que moi au conseil municipal. Après moi, j’impose pas mes idées. Sauf quand il s’agit d’aller voter pour le sénatoriales.

FERFAY À NOËL & DES SOUVENIRS DE GLACES (EN ÉTÉ).

Line : On donne des cadeaux aux enfants pour Noël, c’est pas grand chose, mais il y en a qui sont attachés aux cadeaux de Noël, on est attaché à ça. Il y a plein de gens qui me parle encore de Pif et des gadgets qu’il y avait dans les sachets. C’était fabuleux quand même. L’année dernière, comme il y a eu le covid, on a demandé à un monsieur qui a des chevaux, alors il avait amené une charrette, il y avait le Père Noël, il y avait Cathy et Caroline déguisées en lutins – les petits lutins du conseil municipal – les gens ont été enchantés. Il y avait la musique de Noël. Moi j’étais devant, j’allais taper aux portes pour dire le Père Noël est là. On a eu de la chance, il faisait beau. Je pense que si on refaisait, on referait différemment, on ferait peut-être en passant un peu dans des rues de Ferfay, pour que les gens puissent faire toutes les photos qu’ils veulent. Mais on ne va pas refaire toutes les rues… l’année dernière, toutes les rues de Ferfay à pied, c’était quelque chose, même pour le cheval.

On va pour se quitter, mais les souvenirs ne cessent de surgir.

Line : Y avait les tournées, les commerçants qui venaient avec leurs camions.

Guy : Y en avait bien au moins un, tous les deux jours.

Line : On prenait un coup chez l’un un coup chez l’autre.

Guy ; Et puis, c’était pour ne pas vexer aussi, on prenait un peu à tout le monde. Pour les fruits ma mère elle faisait attention de prendre un peu chez tout le monde. Sinon, ça faisait des histoires.

Line : Et le marchand de glaces, ils couraient tous derrière le marchand de glace.

Guy : Je vois encore la voiture jaune. Les glaces. On avait le goût dans la bouche rien qu’à voir arriver la voiture jaune.

Jean-Marc – Un récit de Ferfay

ARRIVER À FERFAY

Jean-Marc : Je suis Jean-Marc Blondel, j’habite à Ferfay depuis 92 dans une maison que j’avais achetée en 89, mais il y avait beaucoup de travaux pour la rénover, ce qui a pris deux ans. J’ai tout rénové par moi-même, en dehors de mes heures de travail, ça prend du temps.
À la base je suis natif de Norrent-Fontes, né là-bas, à la maison, à l’époque tout le monde n’allait pas en maternité, donc vraiment on peut dire natif de Norrent-Fontes. Et ma femme est native de Amettes juste à côté. Donc quand on s’est connu on a loué une maison sur Amettes. Et puis on s’est mis en quête de trouver une maison, on a eu le coup de cœur pour cette maison dont on a gardé les murs et la charpente. On a donc commencé à habiter Ferfay en 92. Maintenant on est ferfayen, ferfayenne. Heureusement que c’est Ferfay. Avant ça s’appelait Frefaï et je ne sais pas comment on aurait appelé les habitants de Frefaï.

VIVRE À FERFAY : COMITÉ DES FÊTES & MAIRIE

En septembre Justine (de Culture Commune) avait fait du porte-à-porte pour prévenir de la venue du spectacle la compagnie Ma. Sans le savoir, elle avait tapé à la porte de la maison de Jean-Marc.
Il raconte : Elle me dit : « bonjour, vous savez qu’il y a un spectacle ce soir. » Alors je lui dis oui, quelque part, entre parenthèses en tant que co-organisateur, je suis au courant ! Mais elle ne m’a pas reconnu tout de suite. On s’était déjà rencontrés, mais on ne s’est pas reconnu tout de suite, on s’étaient jamais vus sans masque.

Quelques années après mettre installer à Ferfay, j’ai commencé à participer à ce que faisait la commune. Et puis je suis devenu conseiller. Et là, depuis les dernières élections, je suis passé adjoint. Et je suis aussi président du comité des fêtes. En fait, dès que je suis rentré au conseil municipal, je suis rentré au comité des fêtes, comme bénévole, ça s’était automatique. J’avais déjà fait des choses, donné des coups de main au comité des fêtes, ça ne m’a pas dérangé. Moi, c’est ma nature, je dis oui, et je participe. Je suis président, et tous les ans, je remets ma place en jeu. Mais personne ne veut prendre la place. Je la propose à mes amis, mais pour l’instant, personne ne la veut. Mais, même en temps que président, je laisse le débat se faire pour les décisions, avec tout le monde, y compris les bénévoles. Je ne suis pas autoritaire. C’est ma vision des choses d’une association. Une association, c’est collectif, c’est convivial.

LES TRÉSORS DE FERFAY

Jean-Marc : La dernière comtesse d’Hinnisdael qui va se faire enterrer ici . Chapelle reconnue au patrimoine. La chapelle a un intérieur qui vous laisse bouche bée.

QU’EST-CE QUI FAIT QU’ON RESTE À FERFAY ?

Jean-Marc : Parce qu’on est à la compagne, on est bien. Moi, je ne me voyais pas à Paris, où les gens ne sourient pas, ne savent pas se dire bonjour, où quand vous dites bonjour à quelqu’un, on vous regarde d’un air de dire « qu’est ce qui veut celui-là ». Je ne me vois pas vivre en ville. Je suis quelqu’un de la campagne. Même Auchel, c’est une ville. La ville ne m’a jamais attiré. Les lumières de la ville, ce n’est pas pour moi. Ici, on est proche de la ville, en restant à la campagne, et on garde notre tranquillité à la campagne, on est bien. Et Ferfay, c’est une petite commune qui essaie de faire les choses bien.

LA CITE, FERFAY CENTRE & LE FOOT.

Jean-Marc : N’étant pas natif de Ferfay, je n’ai jamais fait la différence entre Ferfay centre et la cité. Je vois qu’il y a des gens qui font la différence, ça s’estompe, mais c’est encore visible. Il y a deux salles des fêtes, quand il y a quelque chose ici, il y a très peu de gens de numéro 3, quand il y a quelque chose là-bas, il y a peu de personne du village. Mais, à l’époque il y avait une sacrée rivalité, fallait pas mélanger.

Guy : Oui, j’ai connu ça moi. On faisait des parties de foot. Nous (à numéro 3) on avait un terrain, et eux ils n’avaient pas de terrain. Nous on étaient entraînés, on étaient tout le temps sur le terrain. Donc on gagnait à chaque fois. Oui, il y avait toujours une rivalité, une rivalité de classes.

LES SOUVENIRS & LE PRÉSENT

Jean-Marc : Je me souviens quand on n’avait pas l’eau courante. Je me rappelle de l’arrivée de l’eau courante à la maison. Avant, on allait chercher de l’eau dans les fontaines.

Guy : C’était il n’y a pas si longtemps que ça. On discutait d’écologie avec Isabelle (qui est une militante écologique et tout ça, et elle a raison, elle se soucie de la planète). Parfois, j’entends les gens parler de décroissance et tout ça, ils parlent d’un monde où on aurait pas besoin de tant de choses. Mais moi j’ai connu ce monde là. Il n’y a pas besoin de réinventer. Faut se réadapter. Par exemple, les frigos et tout ça. Moi, je me souviens, tout était dans la cave. Un jour, mes frères et sœurs ont offert un réfrigérateur à ma mère et ma mère l’a trouvé tellement beau qu’elle ne l’a pas utilisé. Elle l’a mis dans le salon pour mettre des fleurs dessus et tout ça. Elle l’avait branché au début puis en fait elle trouvait qu’il faisait trop de bruit. La cave suffisait. Et on ne jetait rien. Il n’y avait pas de plastique et tout ça, tout était recyclé en fait.

Rose-Marie – Un récit de Ferfay

L’ARRIVÉE CHEZ ROSE-MARIE

Rose-Marie : Je peux vous offrir un petit coup ?

Guy : Non, de l’io. Après on arrive plus à travailler.

Rose-Marie : Ah oui, et maintenant on n’a plus le droit. Si on conduit, on n’a plus le droit. Avant on pouvait offrir un petit coup aux facteurs. C’était des personnes gentilles. Un facteur, il rendait beaucoup service à ché vieux.

FERFAY, L’ACCUEIL UN 14 JUILLET

Rose-Marie : Rose-Marie Martel, je suis native de Bourecq, et je viens d’une famille de 6 enfants. Deux frères avant moi, moi, une sœur, un frère et puis une sœur. La première fille et la troisième enfant d’une famille de 6. Mon père il a été mineur pendant 37 ans et demi, il allait au fond. Mon père, il était petit, il avait un béret, il se promenait tout le temps à vélo. On n’avait pas de voiture à l’époque. Maintenant il y a plein de voitures, mais avant, il n’y en avait pas tellement.
Alors, je suis arrivée à Ferfay, c’est tout simple : mon père lui est natif de Bourecq et ma mère elle est native de Quernes. (un bio petit village, il y a encore un moulin). Ils se sont mariés. Après leur mariage ils ont habité dans la maison des grands-parents de mon père, où mon père il est né, et nous on est tous nés là, les 6 enfants. Au début, mes parents avaient la maison en location, mais ils ont dû déménager, alors, comme il était mineur, il cherchait une maison dans les corons. Au début, il cherchait dans les corons de Lières, et puis il n’en a pas trouvé. On nous a dit Ferfay : il y a un terril à Ferfay. Et on est arrivés à Ferfay.
C’est vrai, on a été bien accueillis à Ferfay. On est arrivés un 13 juillet. Le lendemain c’était le 14 juillet. Ferfay, à l’époque la commune elle donnait des brioches et un paquet de boulettes à tous les gosses. Ça je m’en rappelle. J’avais 13 ans. Ils sont venus taper à la porte pour qu’on vienne chercher notre cadeau, on venait d’arriver, on pensait pas qu’il y en avait pour nous.

DES BONS VOISINS & DES SURNOMS

Rose-Marie : On a été bien accueillis et on avait des bons voisons. On leur a donné des coups de main. Y a avait grand-père Lherbier avec sa femme. C’est sa femme qui m’a appris à tricoter et puis à faire du crochet. Pourtant je ne l’ai pas connue longtemps parce qu’elle est morte jeune, Jeanne. Grand-père Lherbier on l’appelait Toubac.

Guy : Toubac, c’était l’tabac. Je sais pas pourquoi on l’appelait comme ça.

Rose-Marie : On sait pas pourquoi, parce qu’il fumait même pas. Je l’ai jamais connu fumer.

Guy : Tout le monde avait avant un surnom. Min père c’était Ch’Pron. J’ai jamais connu pourquoi.

Rose-Marie : Min père c’était, Torboyo, parce qu’il boitait. Il avait attrapé une méningite étant petit, il est resté paralysé. Et 37 ans au fond. C’était un petit bonhomme, il était pas haut, il était pas gros : si’il faisait 60 kg tout mouillé… C’est vrai, il était pas gros.

LA DUCASSE AVANT & TOUTES LES PERSONNES À ALLER VOIR AUJOURD’HUI

Guy : Vous être arrivés pour le 14 juillet, mais au 15 août… je me souviens, il y avait La Ducasse à peu près à cette époque.

Rose-Marie : Il y avait une Ducasse, oui, au 15 août.

Rose-Marie parle de personnes que Guy a connues. Mais nous nous ne comprenons pas tout, quand Guy et Rose-Marie se parlent.

Rose-Marie : Vivianne, tu pourrais aller lui parler.

Guy : Vivianne c’était la fille de Camille.

Rose-Marie : Oui, Camille elle est là. Elle vit core.

Guy : Vivianne c’était la plus jeune.

Rose-Marie : C’est Marie-France qu’était de ton âge. Elle, elle est partie habiter à Saint-Hilaire Cotte. Colette elle est encore à Saint-Pignon !

… Saint-Pignon c’est ce que j’avais compris, mais je demande c’est où Saint-Pignon, et on me répond : cheu – pignon ? C’est là : à cheu – pignon. C’est à dire au coin de la rue, de cette rue-là.

Rose-Marie : Colette, elle se rappelle de beaucoup de choses. Tu peux aller la voir. Et puis Jacqueline et Suzanne. Jacqueline elle serait contente de te parler.

LES VOISINS, ENCORE & LE BAC À CENDRES

Rose-Marie : Ici, c’était de la terre, et là ici, c’était la rue. La maison était d’un côté (et les deux chambres là-haut) et les toilettes et la réserve du charbon, c’était de l’autre.

Guy : Et il fallait traverser.

Rose-Marie : Ben y a Anne-Marie, qui l’a encore un petit peu. Maréchal qui l’a encore aussi. Ben chez Colette elle l’a plus, mais on voit encore un petit peu comment c’était. Remarque, c’était une bonne époque !

Guy : C’est des bons souvenirs, comme on disait l’autre jour.

Rose-Marie : On avait des bons voisins. Robert Lherbier. Y avait aussi grand-père et grand-mère Delobel. On l’appelait grand-père Bitoul. Nous on était une grande famille et ma mère elle me disait : « va demander à grand-mère Bitoul si elle a pas besoin de toi pour laver sa maison, allez ! ». On s’entraidait. On rentrait le charbon, on rentrait le bacachène.

Guy (nous explique) : Rentrer le bacachène, c’était le bac avec les cendres. Quand tu fais brûler le charbon, on mettait tous les déchets à brûler dans l’cuisinière avec le charbon.

Rose-Marie : Les cendres étaient recueillies dans un bac et il fallait vider le bac dehors.

LES VOISINS, TOUJOURS & MICHEL et MARCELLE

Rose-Marie : Et de l’autre côté de ma maison, c’était la famille Mouveaux. Très gentils.

Guy : Je me souviens des Mouveaux. Ah ouais, ils étaient très gentils. Moi j’avais joué avec l’un d’entre eux au football.

Rose-Marie : Jean-Paul !

Guy : Je me souviens plus.

Rose-Marie : Si ! Jean-Paul ! Ben ils étaient qu’à trois frères. Le plus vieux Guy. Ensuite c’était Jean-Paul. Ensuite c’était beaucoup de filles : Marie-Hélène, Betty, Evelyne, et après il y a re eu un garçon qu’elle a appelé Michel, comme mon père qui était un homme gentil. Par rapport à ça, elle a appelé son garçon Michel. Oui, mon père il s’appelait Michel. Ma mère Marcelle.

LA MAISON

Guy : Alors, il y a eu Bourecq, puis ici. Et vous êtes toujours restés à numéro 3 ? Maintenant on dit Pierre Bachelet, mais nous on dit toujours n°3.

Rose-Marie : Et après je suis restée dans la maison avec mon frère Jean-Paul qui était resté célibataire. On a toujours habité dans cette ancienne maison. Une maison d’époque. Quand je l’ai quittée, c’était la maison d’époque. Et puis j’ai eu l’occasion d’acheter ici, la maison d’André, à 59 ans. Il y a 8 ans, au mois de juillet, que j’ai acheté. La mairie a eu l’occasion de reprendre la maison. J’avais eu du mal à la quitter. J’y suis restée 46 ans. Ils ont tout refait, tout était abattu, tout était à terre, même la toiture. Ça me fait toujours quelque chose de l’avoir quittée. Ils l’ont rénovée, mais c’est pas bien. Ils ont rebouché la cave, c’est mal conçu :
En haut, ça a été modifié. Tu vois l’escalier où il est ? Bon l’escalier il arrivait là. Il y a plus de cloison alors ça te fait une grande pièce. T’arrives à l’escalier, en haut : t’as une porte pour aller à une petite chambre. Bon t’as un coin, il existe plus, puisque tout a été abattu, t’as une grande pièce. T’as un petit palier en haut. T’as une porte pour aller à la petite chambre. Mais alors, la maison elle est plus triste que l’ancienne. Après devant toi, ça fait un côté un placard, l’autre côté des toilettes. Ils ont installé des toilettes. Puis la grande chambre : elle est diminuée parce qu’ils ont voulu faire deux pièces à peu près pareilles. Ça a plus rien à voir. Ils ont construit tout le long, il y a plein de portes-fenêtres. Une grande porte fenêtre, ça fait un couloir, une cuisine, un petit couloir, un placard avec tous les trucs électriques, et puis dans un coin, il y a le chauffe-eau. Donc t’arrives il y a une grande porte-fenêtre et là c’est la cuisine. Mais la porte fenêtre là elle sert à rien parce qu’il y a un couloir, c’est pour donner de la lumière. Après la cuisine, il y a encore un petit couloir et un petit couloir et une petite fenêtre et là derrière, il y a une porte et là une salle de bain. Et la salle de bain elle est dans le noir. Et à côté t’as les toilettes. Et au fond il y a une troisième chambre et il y a une porte-fenêtre et après t’as une porte-fenêtre mais pour y aller il y a un débarras. Mais faut sortir de la maison pour aller dans le débarras. Tu vois l’utilité ? Et puis, il y a même pas de garage. Tu vois l’utilité ? C’est mal conçu. Et après ils ont mis le chauffage électrique, j’espère que c’est bien isolé. Et après interdit de faire une cheminée et interdit de faire un poêle à pellet. Qui c’est qui va louer ça avec l’électricité qui augmente? Et location 650 euros ! Pour une maison de coron ! Y a presque plus de terrain, il y a pas de garage, pas de cave. Pour te débarrasser t’as que le débarras, mais il est pas grand.

Benoît – Un récit de Ferfay

On arrive dans une grande ferme, Chaussée Brunehaut. C’était une ancienne brasserie. Maintenant c’est un gîte qui s’appelle « Holiday-home », mais Benoît Martinage nous explique qu’ici, tout est resté dans son jus.

FERFAY & AVESNES

Benoit : Ma mère était originaire de Ferfay. Elle est née à Ferfay, mais pas ici dans la ferme : elle est née dans une autre ferme à 150 mètres d’ici. Ma grand-mère arrivait de la région du secteur de Montreuil-sur-Mer. Mes grands-parents sont venus ici dans cette bâtisse, à la fin de la guerre parce que ma grand-mère cherchait une ferme un peu plus grande et le propriétaire tenait à ce que ce soit elle qui l’achète. Je ne sais pas pour quelle raison, mais voilà. Et la ferme est restée dans son jus. C’était une brasserie. Il n’y a pas eu de transformation, la maison est toujours restée dans le contexte de l’époque… Moi j’ai vécu ici : enfin on y venait passer nos vacances, c’était notre colonie à nous. Quand vous êtes petits vous avez un parc derrière, c’était énorme, on passait nos journée dehors, on s’inventait des jeux. Et je suis parti d’ici j’avais 18 ou 20 ans, je ne suis plus revenu : les études, puis je suis parti à l’étranger. Moi je suis du sud du département du Nord, dans la région du Val Joli, entre Avesnes et Maubeuge

Justine (de Culture commune) : Je viens de là, moi ! J’ai vécu 10 ans à Avesnes.

Benoît : C’est quel nom ?

Justine : Trichot.

Benoît : Avesnes-sur-Helpe. Mes parents ça fait plus de 60 ans qu’sont là-bas. Ils ont peut-être eu l’occasion de se croiser. C’était quel village exactement ?

Justine : On a vécu à Avesnes-sur-Helpe. Et puis là à Bas-Lieu.

Benoît : Bas-Lieu ? C’est pas en allant plus sur…

Justine : … sur la route nationale en sortant d’Avesnes, pour aller vers Maubeuge.

Benoît : Ah ben, Bas-Lieu oui, c’est… avant Les Trois Pavés ?

Justine : Oui ! C’est ça ! Avant Les Trois Pavés !

Benoît : Ah, peut-être ils se sont croisés.

Justine : Ah ben c’est pas impossible.

Benoît : Des fois, à l’autre bout du monde, on rencontre des gens. (De Ferfay à Avesnes, on parle de bout du monde.) Mais une fois, ça m’est arrivé en Afrique. J’ai rencontré une dame qui ne connaissait qu’un seul village dans le Nord, c’était le mien. Et qu’elle ne connaissait qu’une seule personne, c’est quelqu’un que je connaissais aussi.

FERFAY & CHARLEVILLE

Benoît : Pour revenir à Ferfay…. Je suis revenu ici il y a 7 ans, après avoir vécu dans les Ardennes, à Charleville, le pays de Rimbaud. Le lavoir, là où il a écrit le Bateau Ivre, il y a beaucoup de voiture qui sont rentrées dedans, il est tout esquinté, il a plus grand-chose de l’origine. Ah, mais bon, les gens disent c’est là qu’il a écrit. Mais le lavoir, il n’a plus grand-chose d’origine.

LA BRASSERIE & L’HISTOIRE

Benoît : Pour revenir à Ferfay…. Ici, c’était une brasserie. A Ferfay, il y avait une dizaine de cafés. D’ici, pour aller vers le terril, il y en avait au moins trois ou quatre. Ici, c’était un café. Donc il fallait abreuver tout ce monde là. C’était pas des bières comme maintenant, lyophilisées qui pouvaient se conserver. Non, c’était des bières qui se consommaient tout de suite. C’était livré à cheval, donc le rayon d’action il n’était pas non plus grand grand. C’était 7 ou 8 km. À Lillers, il y en avait une autre de brasserie. Ça devait bien tourner. Ça a tourné jusqu’au début de la seconde guerre, parce que les allemands, quand ils sont arrivés, ils ont piqué tout le matériel qu’il y avait dans la brasserie. Ils ont récupérés tout ce qui était fer et cuivre. Donc, il n’y avait plus de matériel pour faire la bière. Certaines brasseries ont eu de la chance parce que les allemands ne sont pas passés par là et n’ont pas pris le matériel. Ici c’était une base pour l’état-major. Ils n’allaient pas prendre les petites baraques pour l’état-major.
À la fin de la guerre ma grand-mère a acheté cette maison. Et il y a 20 ans, quand elle est décédée, on s’est demandé ce qu’on allait en faire. On s’est dit d’abord, on fait un peu de rénovation, ça protège le bâti, on verra par la suite. On s’est dit (après avoir fait un peu de location) qu’on allait en faire un gîte, même si ça paraissait un peu fou. Parce qu’on parlait pas du tourisme comme maintenant. Y avait pas d’internet. Mais l’internet a permis de faire beaucoup de chose dans le tourisme. À peine mis sur internet… le premier touriste est venu à la fin de la première semaine. Les gens viennent d’un peu partout. Depuis le Brexit, il y a moins d’Anglais, mais il y a d’autres gens : les gens qui transitent, mais aussi des gens du coin, quand il y a de la famille qui vient en visite.

GÎTE & MAISON DE FAMILLE.

Benoît : C’est un concours de circonstance que je revienne à Ferfay, et mon travail me le permettait. Et maintenant, pour ma famille aussi, ce gîte c’est une maison de famille. Et je découvre ma région, je vais voir les choses moi-même, pour conseiller les touristes. Et je vois des choses que les gens du coin ne vont pas voir ou dénigrent.

Courts-Circuits – Ferfay

Culture Commune – Loos-en-Gohelle – annonce : « La Scène Mobile revient au plus près de chez vous ! ».
La Scène Mobile ? À Ferfay, le 12 novembre, à 19h, ce sera « Courts-Circuits » !
Sur le site de Culture Commune, on peut lire :
Un court-circuit est une émotion qui entre en fusion avec une autre émotion, et tout s’enflamme. C’est l’étincelle qui met le feu ! « Courts-Circuits » c’est un banquet philosophique qui traverse les temps… Sur fond musical, Guy Alloucherie se raconte, nous livre des anecdotes, nous emmène dans son univers. (…) »
 ... nous emmène dans son univers
Mais Guy vient de Ferfay, c’est là qu’il a grandi, c’est là qu’il a été à l’école. Alors le 12 novembre, ce sera particulier, parce que c’est un Ferfayen qui nous amène dans son univers et qui va le faire à Ferfay-même, et ce sera la première de « Courts-Circuits ».
Avant cette date, nous avons la chance d’avoir pu prendre du temps pour venir à la rencontre des habitants de Ferfay, qui, parfois connaissent très Guy.