on a l’art pour ne pas mourir de la vérité

La compagnie des artistes s’est rendue dans plein de classes à la rencontre des élèves et des professeurs mais aussi de l’ensemble du collège. Au CDI, l’accueil fut parfaitement chaleureux. Cet endroit est reposant et donne une folle envie de lire. Les couleurs, la disposition du lieu, des livres, des revues et des bandes dessinées invitent à l’évasion à travers les mots des autres (mes mots des autres). Lire un livre, c’est le recréer. Le CDI du collège de Hucqueliers se prêtent à la concentration de la lecture et à la rencontre des autrices et des auteurs.  Et à la conversation avec la maîtresse de ces lieux. Zelda et Guy ont saisi l’occasion d’une visite visite au CDI pour demander à Mme La Documentaliste, ce que serait le collège s’il était une chanson ? Face amour et face amère de Daniel Balavoine qu’elle connaît par coeur. Les mots du poème résonnent encore dans les couloirs du collège et pour toujours (comme une oeuvre de Christian Boltanski. Des coeurs qui battent sur une île japonaise, pour toujours enregistrés au Grand Palais à Paris, il y a dix ans. L’éternité des coeurs guerriers de l’amour (de la vie). Ainsi en était il de ce moment passé avec Mme Christine Bélé.

If my school were a dish, it would be

Madrid in London.
À 11h24, c’est le cours d’anglais de Mister Duwiquet, avec la 3ème Madrid.
On a prévu de faire des portraits chinois, sur le collège. Et d’habitude on explique ce que c’est qu’est ce protocole – qui sera une séquence du film-spectacle présenté jeudi 3 mars dans la salle des Fêtes à Hucqueliers. Mais dans ce cours-là, on connait bien les portraits chinois.

Alors, ça fuse. In english and in french.
If my school were a dish, it would be spinach.
If my school were a song, it would be a elevator song because it’s useful but boring.

Gabriel de la Gorce

Étrange nom que celui ci, que personne dans l’équipe n’a jamais croisé. Gabriel de la Gorce. Alors on se renseigne un peu, on fouille les internets : Gabriel de la Gorce est un natif de la région, qui a d’abord été à St Cyr, dont il est sorti gradé, avant de prendre les armes à la seconde guerre mondiale, d’être fait prisonnier, puis re-prisonnier. Alors, lorsqu’on le libère, il décide de ne pas retourner dans l’armée, et reprend l’exploitation d’une des fermes familiales. Une dizaine d’année plus tard, il devient conseiller départemental. Si l’histoire retient son nom, c’est surtout parce qu’il a facilité et modernisé la vie agricole et grandement participé au développement rural. Il a d’ailleurs participé à la création du collège, qui porte aujourd’hui son nom !

Place au théâtre

En route pour cette nouvelle aventure qui s’appelle « Instantané au collège Gabriel de La Gorce » de Hucqueliers dans le Pas de Calais. Les artistes et techniciens-magiciens sont arrivés dimanche soir à Lottingen où se trouvent leurs fabuleux gîtes dans le style des fermes américaines des films de Western. C’est cute. Ce matin, ils et elles ont pris leurs marques dans le collège et  les premières actions ont eu lieu. Pendant le temps de la première récréation du matin, les élèves ont joué devant la caméra des citations d’auteurs et d’autrices célèbres. On détourne.

Instantané au Collège Gabriel de la Gorce, à Hucqueliers. ça a déjà commencé !

Nous venons d’arriver à Hucqueliers, dans le collège Gabriel de la Gorce, et déjà, c’est une séquence de « portraits citations » qui est en train d’être filmée dans la cour pendant cette récréation de 10h16 à 10h31.

Au collège Gabriel de la Gorce, il y a 465 élèves qui viennent de 26 communes. Ici, on aime les chiffres, tous les chiffres, pas que les ronds. Il y a cours de 8h30 à 9h23, de 9h23 à 10h16, récré de 10h16 à 10h31, cours de 10h31 à 11h24, de 11h24 à 12h17, pause méridienne de 12h17 à 12h57, cours de 12h57 à 13h50, de 13h50 à 14h43, récré de 14h43 à 14h58, puis SOL « Silence On Lit » de 14h58 à 15h13, cours de 15h13 à 16h06 et de 16h06 à 17h.

Mais pour nommer les classes, il n’y avait plus de chiffres disponibles, alors on voyage dans d’autres sphères :
. 6ème Mercure, 6ème Neptune, 6ème Pluton, 6ème Saturne, 6ème Mars.
. 5ème Bach, 5ème Chopin, 5ème Ravel, 5ème Mozart, 5ème Saint-Saens.
. 4ème Daudet, 4ème Dumas, 4ème Sand, 4ème Verne.
. 3ème Berlin, 3ème Londres, 3ème Madrid, 3ème Paris.

L’Instantané au Collège Gabriel de la Gorce, à Hucqueliers, ça a déjà commencé !

RÉGIS ET RÉGINE – UN RÉCIT DE FERFAY

LA MAISON DE MES GRANDS-PARENTS

Régis : Tu reconnais ? C’est la maison de mes grands-parents ! Je ne sais pas si c’est ce que j’ai fait de mieux de racheter la maison de mes grands-parents. (Rire). Financièrement, je ne compte plus. J’ai compté au début, mais après j’ai dit je vais arrêter. Mais sentimentalement, c’est bien. Je suis revenu dans mon village, dans la maison de mes grands-parents.
Est-ce que je dois parler patois ou français ? J’ai travaillé à Chalon-sur-Saône là-bas on parlait français. Mais, quand mon frère il me téléphonait, je disais : « Allô » et après, je te jure que c’est vrai, je disais : « Ah, ch’est ti ? », et je continuais en patois. Alors qu’il y en a, ils sont partis deux semaines, ils reviennent ici, ils ne savent plus parler patois. Mais moi, j’ai toujours parlé patois. À tort d’ailleurs parfois. Phonétiquement, ce n’est pas élégant.

Guy : C’est plutôt la réputation qu’on en a faite. Ce n’est pas que ce n’est pas élégant. C’est la réputation qu’on en a faite. Au début, je me suis dit, mon dieu, si je parle patois, qu’est-ce qu’on va dire, je vais être catalogué. Même juste l’accent.

Régis : Oui, l’accent, l’intonation. C’est en Touraine qu’on parle le mieux français. (Soit disant.) Mais oui, quand même, ma nièce elle habite la Touraine, ils parlent un français qui est beau.

Justine : Le patois, c’est un dialecte, une langue régionale qui doit être valorisée autant que les autres. 

Régis et Régine nous servent du café, « un vrai café ch’ti, avec de la chicorée dedans » et avec an gauffr’ du Nord.

Régis : Ah ben t’as raté mon frère, il est parti ce matin. Ben, c’est Bruno, tu l’as peut-être connu, il était de ton âge.

Guy : Bruno, ah oui, on était dans la même classe en CM1, CM2, avec monsieur Héroguelle.

Régis : Bruno, il habite dans le Cantal maintenant.

Quelques blagues fusent – on ne peut pas tout écrire ici.

Guy : Pas mal. Ça me rappelle mon oncle Abel. Abel Lesur. Le père de Marylise. C’était à mon avis quelqu’un qui souffrait beaucoup, il était pas facile dans la vie de tous les jours.

Régis : Ah ben, les Lesur, d’une façon général, ils étaient réputés pour être assez vifs.

Guy : Et ma mère, elle pouvait être très dure. C’était une Lesur. Très très dure. Enfin. Abel il était très drôle, quand il venait à la maison, on riait, on riait. C’était blagues sur blagues. Et j’en ai toujours retenu une, c’était le fameux : « J’vais reprendre du pâté, la moutarde elle est bonne ».

 

FERFAY ET LA VOYETTE

Régis : Enfin, moi je ne suis pas natif de Ferfay, parce que je suis né à la maternité, comme toute le monde à l’époque. Je suis né à Auchel. Mais, enfin, mes parents étaient de Ferfay, mon père, mes grands-parents, mes arrières grands-parents, ils étaient de Ferfay, de la cité même. Attention, la cité et le village, c’était deux entités. Moins maintenant. On essaie de relier les deux entités.

Justine : C’est quoi votre rôle à la mairie ?

Régis : Je suis premier adjoint.

Non, je n’ai pas vécu toujours à Ferfay. Je suis parti et revenu. Je suis parti à 15 ans-et-demi pour l’école de l’armée de l’air, à Auxerre. À partir de là, j’ai toujours bougé. On a déménagé 7 fois.

Régine : Ah non, je ne suis pas de Ferfay, moi je suis d’Isbergues. Moi je suis de la ville ! On a bivouaqué un peu partout et après on a décidé de revenir habiter ici.

Régis : J’ai quitté l’armée de l’air pour partir dans le privé. J’ai toujours travaillé pour l’aviation : militaire, civile, etc. Et j’ai intégré la DGAC, la direction générale de l’aviation civile, enfin, c’est comme ça que ça s’appelle. Mon premier poste c’était le Touquet. Après je suis arrivé à Lesquin. Et puis on est revenus par ici et en 1983, on a eu l’occasion de racheter la maison de mes grands-parents. Et d’ici on faisait la route jusqu’à Lesquin. Ensuite, on a passé des concours, toujours dans l’aviation civile. On a été tous les deux reçus, Régine devait partir à Toulouse et moi à Paris, et notre fille était ici. Alors, on s’est réunis tous les trois et on s’est dit qu’est-ce qu’on fait ? Moi j’aimais pas trop Paris, j’ai dit, toi (Régine), tu m’as toujours suivi, à toi de partir à L’ENAC pour faire ta carrière. Elle est partie et moi j’ai refusé mon poste à Paris. Après, j’étais rayé des cadres ; c’est pas bien vu, c’était un bon poste, j’étais chef de la navigation aérienne à Orly.

Régine : Moi j’étais une littéraire, français, anglais. Mais là, les matières techniques, c’était quelque chose. En math et en physique, j’avais 37 ans, je me suis retrouvée avec des gens qui sortaient de prépa, moi, j’avais pas fait prépa. Je rentrais le weekend ici. Je repartais le lundi matin, je me levais à 4 heures du mat’ je partais par l’avion de 6h du matin et j’arrivais à Toulouse. Des allers-retours toutes les semaines, pendant deux ans.

Régis : Après on a fait la route tous les jours jusqu’à Lesquin. D’ici, au début, on mettait 45 minutes, après c’était 1h, après 1h10, 1h30, à la fin presque 2h. On a tout essayé, on a pris des chemins, des routes.

Et cette maison, donc, c’était à vos grands-parents, vous la connaissiez bien cette maison, enfant ?

Régis : Oui, je vivais dans cette maison souvent. On était 4. Mes parents habitaient juste à côté, là. Nous on venait tout le temps ici. On faisait « can’ voyette ». Can’ voyette, ça veut dire qu’on passait sans arrêt entre les deux maisons. Quand on était gosses, on était 4, et puis dedans 3 garçons, quand ma mère elle commençait à…, quand ça bardait à la maison, on partait, on se sauvait, on venait ici.

Régine : Ça a perduré, il y a toujours la voyette, mais dans l’autre sens maintenant. On est resté très très famille.

 

LE FOND ET LE CARREAU

Mon grand-père était chef « porion » (il était au fond) et mon autre grand-père était chef de « carreau », c’est-à-dire, maintenant on dirait, que c’était un ingénieur de la mine. Le « carreau », à la fosse, c’était tout ce qui était au-dessus de la mine qui faisait tourner la mine, il était au jour. Mon grand-père, il était au jour. Ses frères étaient tous silicosés, ils sont morts, alors lui il avait dit « moi, j’irai jamais au fond ». Mon grand-père maternelle, silicosé à 100%. Et les trois frères de mon grand-père paternel était au fond, porion et chef porion. Côté de ma mère ou de mon père, ils travaillaient tous à la mine.
Ils m’ont toujours dit : « Travaille bien à l’école ou pas, mais surtout t’iras jamais à la fosse. Faut pas aller al’ fosse min garchon. »

 

LE NUMÉRO DU PUITS ET LE TERRIL

Régis : Ici, cette maison, c’est ce qu’on appelle une maison d’ingénieur des mines. À l’époque il y avait un seul ingénieur pour toute une mine, même pour plusieurs mines. C’est une vieille maison, pour une des premières mines, la numéro 3, ici, à Ferfay. Les numéros, c’est les numéros de puits. À chaque puits de mine, il y avait un numéro. Dans une mine, il y avait plusieurs puits.
À Ferfay, ça a fermé il y a longtemps, c’est une très ancienne mine.

Guy : Mon père il a commencé au numéro 2, quand il avait 13 ans. Au numéro 2 de Ferfay. Ça devait être en 1926, ici au numéro 3, c’était déjà fermé.
Et puis, il y a ce terril qui est là.

Régis : Que j’ai voulu garder ! Je me suis battu.

Guy : Ils ont voulu l’enlever ? C’est affreux, c’est un truc qui arrache le cœur ça.

Régis : Quand ils ont commencé ça je me suis énervé. En fait, un jour, on part en vacances et quand on revient, on nous dit ils sont en train de pelleter sur le terril. Ça fait drôle. (C’était du temps du maire Gaston Nicolle.) C’est ma mère qui a été trouvé le maire et qui lui a dit « qu’est-ce que t’es en train de faire ? ».

Régine : il a été bien amoché le terril au début. Ma belle-mère, c’est horrible, elle entendait les arbres qu’on déracinait.

Régis : On n’a jamais bien su pourquoi. Ça n’a jamais été clair, pourquoi ils voulaient enlever ce terril. Soit disant pour faire un parking.

Guy : Ils vendent les scories.

Régis : Quand ils ont vu que ça prenait des proportions : La Voix du Nord, FR3… ils ont arrêté. C’était dur, ça allait loin.
Après, il faut savoir arrêter les guerres. Le maire, il s’est excusé auprès de ma mère. Ma mère lui disait plus bonjour pendant 3 ans. Et un jour, il lui a dit : « Marcelle, je voudrais discuter avec vous ». Elle a dit : « Vas-y, discute ». Et puis il s’est excusé. C’était bien quand même. Et puis voilà, après, elle lui a redit bonjour. Mais elle lui a dit quand même : « J’oublierai jamais ».

Guy : Et maintenant, depuis une dizaine d’année, le bassin minier est classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Grâce en partie au travail de « La Chaine des Terrils ».

Régis : Oui, ça fait au moins 40 ans que ça existe « La Chaine des Terrils ». C’était Marcel et puis Jean-François Caron, tous deux maires de Loos-en-Gohelle, qui se sont battus pour ça. J’étais adhérent à « La Chaine des Terrils », oui, oui.
Un terril c’est non seulement un patrimoine, mais en plus une réserve naturelle, c’est une source de biodiversité. Tu verrais les animaux qu’il y a là dedans, il y a même des chevreuils.

 

LE FOOT ET LES VESTIAIRES

J’étais président du Football pendant 5 ans. Et on est venu me chercher pour le conseil municipal. J’ai commencé au milieu d’un conseil. Gaston Nicolle était décédé et j’ai intégré le conseil municipal. J’ai commencé par un demi mandat. Et après ça, deux nouveaux mandats.
Au foot, j’ai fait une fête une fois : 5000 personnes. J’ai fait déposer le ballon par les parachutistes de Lens. J’étais dedans. J’ai fait venir un hélico. Et une montgolfière. À l’époque c’était quand même quelque chose. C’était original. C’était un match de gala. On avait fait venir des bons joueurs et on avait monté une entente. Christian Lesur, il jouait dedans. Il était bon.

Isabelle : C’est ton cousin, c’est le frère de Marylise ?

Guy : Oui, bravo, le frère de Marylise.

Régis : Paulette, tu l’as connue ? Qui avait le bistro. Elle n’avait jamais vu ça. Ils étaient à 5 dans le bistro pour servir. Ils n’arrivaient pas à s’en sortir tellement il y avait du monde.

Régine : Et puis, on avait eu de la chance, il faisait beau.

Guy : Le café des sports, c’était le vestiaire. Quand je jouais, souvent, on allait chez Paulette. On allait se préparer chez elle, il y avait son salon et sa cuisine. C’était les vestiaires du foot. Il n’y en avait pas autour du terrain.

Régis : Oui, on se lavait dans un chaudron, dans une bassine. Il n’y avait pas de vestiaires. C’est plus tard qu’il y a eu les vestiaires et l’éclairage.
Mais, aujourd’hui le club de foot n’est plus actif. À un moment, si on avait fait une entente avec Ames, ça aurait peut-être perduré un peu plus longtemps. Mais on n’a pas réussi à mettre ça en place, une fusion avec les jeunes d’Ames. À Ferfay, ils ne voulaient pas. Même au sein de Ferfay, c’est compliqué entre le village et la cité numéro 3, alors se réunir avec Ames pour le foot, ça n’a pas marché.

Guy : Comme nous a dit Line, il a fallu deux salles des fêtes, une au village, une à numéro 3.

Régis : Oui, on est le seul village avec 900 habitants à avoir deux salles des fêtes !

 

POURQUOI FERFAY AUJOURD’HUI ?

Régis : Les gens qui viennent à Ferfay aujourd’hui, c’et pas pour le travail. Il n’y a pas de travail à Ferfay. Je pense qu’on vient pour la sécurité et le cadre de vie. Les personnes âgées se sentent tranquilles. J’aimerais bien qu’il y ait une sorte de garde champêtre, une police rurale, une police rurale groupée, en collaboration avec les villages autour. Et aussi, Ferfay, c’est la proximité des infrastructures, il y a l’autoroute, c’est quand même bien desservi. Un commerce fixe, c’est compliqué maintenant parce que les gens vont dans les grandes surfaces. Et les commerces qu’il y a, à Ferfay, aujourd’hui, c’est des ambulants. C’est normal, il fallait trouver d’autres solutions plutôt que de s’accrocher à quelque chose qui n’est plus viable. Trouver des solutions, c’est ça qui est intéressant.

PASCALE – UN RÉCIT DE FERFAY – Partie 1

LES SOUVENIRS RESSURGISSENT

On arrive chez Pascale. Émotions. Enfants, Pascale et Guy étaient amis, très proches, jusqu’à leurs 17 ans. Émotions. Saut direct dans le passé. Les souvenirs ressurgissent, dans le désordre, ça s’entremêle, ça se bouscule.

Pascale (en parlant de l’abbé Pierre Olive) : Tu vois où il est dans le cimetière ?

Guy : Oui, oui.

Pascale (à nous, pour nous inclure dans leur histoire à Guy et à Pascale) : Guy, il n’avait pas le droit d’y aller chez l’abbé Pierre Olive. Moi, c’était mon ami. Mais Guy, il n’avait pas le droit d’y aller.

Guy : Oui, parce que mes parents étaient communistes et mon père était anticléricale. Il n’entrait pas dans les églises. Quand il y avait une cérémonie, il restait dehors.

Pascale : Il n’y a que Guy qui n’était pas avec nous pour le cathé. Tu t’en rappelles ?

Guy : Ben oui, bien sûr.

Pascale, riant : Tu nous voyais partir et tu ne venais pas.

Guy parle de la réunion du 18 octobre à Ferfay, organisée par Culture Commune, pour rencontrer les habitants de Ferfay avant la représentation de « Courts-Circuits » du 12 novembre.

Guy : On a rencontré plein de gens à cette réunion, il y avait Rose-Marie Martel.

Pascale : Ah oui.

Guy : On est allés la voir ensuite, on a fait l’interview avec elle, elle parle tout le temps en patois.

Pascale : Ah oui, elle parle tout le temps en patois. À chaque fois que je la vois, on parle, elle est plaisante.

Guy : Elle est toujours dans les corons.

Pascale : Oui, elle a racheté derrière chez ma grand-mère Eugénie. Rose-Marie, elle est arrivée après dans les corons, elle n’a pas été à l’école primaire avec nous. On était ensemble au collège. Et je me souviens, après Rose-Marie a fait l’école ménagère à Auchel. À l’époque, faire l’école ménagère, c’était une façon d’apprendre, un apprentissage, après, on savait tout faire.

Guy : À l’époque, c’était rare de continuer les études. Je me souviens, arrivés en 3ème, il y avait beaucoup de gens de la cité qui partaient au CET (le collège d’enseignement technique). Beaucoup de gens ne se posaient pas de question, c’était : on ne continue pas, on ne fait pas d’études longues, on part apprendre un métier.

 

DES BILLES DE TERRE JUSQU’À L’ÉCOLE NORMALE

Justine demande de quelle année sont Guy et Pascale.

Pascale, rire : Moi, j’avais une année d’avance, et dans les corons, je fréquentais les mauvais garçons de 58. On était très peu de 59 dans les corons. Des garçons de 58, il y en avait plein. Guy, j’ai été avec lui de mes 2 ans à mes 17 ans. Donc, c’est un peu différent avec Guy. Quand j’avais 4 ans, Guy je ne sais pas si tu te souviens, on faisait cuire des billes. Moi je m’en souviens. Dans le four de ta mère. Y avait un four dans sa baraque, on faisait des billes avec de la terre, on allait dans le jardin et on les vendait 1 centime. Ça, je m’en souviens.

Guy : J’ai toujours eu le sens du commerce.

Justine : … pour un communiste.

Guy : Oui, et si jeune…

Pascale : Ton père c’était vraiment un communiste pur et dur. J’avais lu un truc sur toi, j’ai failli t’appeler. J’ai même été surprise. Tu disais que quand t’étais parti à Lille, franchement tu t’étais pas trouvé à ta place, par rapport à ton père qui t’avait inculqué que t’étais un enfant d’ouvrier. Et qu’en somme, après le bac, tu ne devais pas aller en fac. T’as écris ça quelque part. J’ai lu ça.

Moi aussi, je suis une enfant d’ouvriers. Mes grands-parents étaient des mineurs, j’ai bien connu la mine, mais mon père c’était pas un mineur. Bon, c’était quand même un ouvrier, c’était un maçon. Mais c’est vrai que mon père n’était pas communiste, et je n’ai pas ressenti du tout la même chose après le bac. Moi, au contraire, je ne voulais pas ressembler à ma mère, c’est-à-dire que je ne voulais pas rester à la maison. Je voulais à tout prix avoir une vie totalement différente de ma mère. Je voulais faire des études. Donc après le bac, pour moi, c’était normal que je parte. J’ai toujours voulu être institutrice, j’ai toujours voulu être maîtresse. Quand j’étais chez ma grand-mère paternelle, je passais mon temps à jouer – elle avait gardé les cahiers de mon père dans son sac en cuir – et je revois très bien ce sac en cuir – et je mettais ‘bien’, ‘très bien’, ‘abien’, ‘passable’, ‘vu’, comme monsieur Héroguelle. Et je faisais l’école à Mylène Patignies. Tu te souviens d’elle ? Elle était de 58. Elle habitait pas très loin de chez tes parents. Et sa grand-mère habitait à côté de chez ma grand-mère, donc on jouait ensemble, et bien-sûr j’étais la maîtresse et elle était l’élève, j’avais de quoi faire.

Bon après j’ai passé l’école normale et je l’ai eu en seconde, donc j’ai rien coûté à mes parents, j’avais une bourse. Mais, même avec ce concours passé en seconde, je suis allée au lycée à Auchel jusqu’au bac. Et comme je n’étais pas mauvaise, en math, physique, même en allemand, je m’en sortais bien un peu partout, les professeurs ils m’ont dit, mais pourquoi vous ne faîtes pas un dossier PEGC, à Lille, pour devenir professeur et là on étudiait deux matières. Donc, j’ai fait le dossier pour Lille. Mais là, pour vous dire quand même que j’étais une fille d’ouvriers, le dossier était rempli, pour ma mère oh là là, c’était tout une histoire que j’aille à Lille, elle disait que Arras c’était plus près, et il y avait l’internat, donc, c’était la sécurité quand même pour mes parents, moi je n’avais que 17 ans. À l’époque, quand on n’avait que 17 ans, qu’on arrivait du village, c’était pas comme maintenant. On n’allait nulle part, on allait au village, puis au lycée, et c’est tout, c’était une petite communauté. Et donc, de ce fait, je n’ai pas rendu le dossier. Je suis partie à Arras. Finalement ça m’a plu, et donc je ne suis pas allée à Lille après. Et j’ai adoré mon boulot. Je ne gagnais pas beaucoup, on ne gagne pas trop quand on est institutrice, mais j’ai vraiment adoré mon boulot.

J’ai commencé à Violaines, puis Béthune, Beuvry, Bas-Rieu, Lières, Norrent-Fontes, Burbure, Lillers, Cauchy. J’ai toujours été dans le secteur. Quand j’ai terminé, j’étais au collège : moitié au collège, moitié dans ma classe. Je ne voulais pas quitter ma classe. On est comme ça, on est possessif, des locaux, des élèves. De fait, je ne voulais pas quitter ma classe. On m’a proposé d’aller au collège, pour mettre en place un projet pour des élèves en difficulté. J’ai réfléchi, puis j’ai accepté, et finalement, ça m’a plus aussi. Avec les collègues du collège, je m’entendais hyper bien. Et j’en ai de très bons souvenirs.

Je suis très vite revenue habiter dans le coin, j’ai habité Lillers, Ferfay, et après on acheté le terrain ici, c’est-à-dire que c’est Ferfay, c’est juste au bout de la rue. Mais ici (à Ames), j’aimais pas. Alors que Guy il trouve toujours que c’est très joli. Même le nom il est beau, il dit Guy. Mais moi je ne trouve pas ça joli. Moi quand je vais dans le centre, ça me mortifie, c’est un village – je vais dire le contraire de toi (Guy) – qui n’a pas de vie, qui n’a pas d’âme. Surprenant. Guy, il voit ça de l’extérieur. Peut-être qu’il a raison, je ne dis pas que j’ai raison. Je peux me tromper, mais… Je pense que c’est bien d’avoir un point de vue extérieur.

Guy : Ames, ça n’a rien à voir avec Ferfay. Ce qui change tout à Ferfay c’est les différents hameaux, n°2, n°3, le centre. On est dans les mines, ou dans ce qui reste des mines, mais qui est encore très prégnant. À Ames, il y a un terril, mais ça fait longtemps qu’il ne reste plus rien des mines.

Pascale : À Ames, y a pas beaucoup de mineurs.

Guy : Les gens d’Ames venaient à Ferfay. Mon père il était d’Ames. Ses parents étaient cultivateurs ici (à Ames), et ensuite tous les cultivateurs partaient pour travailler à la mine. Certains avaient même deux métiers : c’est-à-dire dans la journée ils allaient à la mine pour gagner un peu d’argent à la mine, et le soir, il travaillait à la ferme. Parce que dans les fermes, c’était la misère.

 

CORONS, GERMINAL, CAYENNE ET NOMS DE FLEURS

Guy : On a vu aussi Jean-Marc Blondel. Et Line.

Pascale : Jean-Marc c’est un cousin germain. Et nous on était voisins de Line. Line c’est comme ma grande sœur. Elle m’a appris tout ce qu’il ne fallait pas. C’était mon modèle. C’est ma grande sœur. J’ai habité avec elle parce que d’abord j’ai habité à côté du baraquement où elle habitait (mes parents ont habité là). Et après quand ma grand-mère est décédée, on est allés habiter dans les corons, chez mon oncle Maurice, à côté de chez tes parents. Et après, mes parents ils ont bâti au-dessus, et donc j’ai quitté les corons. Mais moi, je jouais toujours dans les corons. Donc, dans les corons, on habitait 14 rue de Baillancourt. Et toi ? 9 ? 9 rue de Baillancourt ! Non, on n’était pas loin ! Maintenant c’est la rue des Lilas.

Guy : Rue des Lilas. Ils ont donné des noms de fleurs à toutes les rues, pour adoucir certainement. Ça aseptise.

Pascale : Mon oncle Maurice (14 rue de Baillancourt) c’était la dernière maison de corons comme avant : c’était Germinal. Un ancien mineur. Le frère de ma mère. Pour mes enfants aujourd’hui, c’est insensée une maison comme ça. Mon oncle Maurice, il avait 80 ans. Pas de salle d’eau. Pas d’eau chaude, pas de chauffage. Les toilettes dehors, au milieu du jardin. Quand les pompiers sont venus, ils ont dit : c’est Germinal ici ! Je crois que c’était le dernier. Il y avait encore quelques maisons comme ça, mais il n’y avait personne dedans. Maurice c’était le dernier.

Moi je suis née dans les corons. Ma mère elle a accouché là. On est né tous les trois dans les corons. On a appris le français à l’école. On parlait patois. Je suis née à Ferfay. Je suis née à Cayenne. Tu te rends compte. C’était le ‘bagne’, les mineurs étaient considérés comme des bagnards. Je me suis demandé pourquoi Cayenne pour les corons de Ferfay, je pense qu’il y avait des corons qui étaient beaucoup plus jolis. À Ferfay, c’était le minimum, le minimum vital.

Guy : Je me demande s’ils ne mettaient pas les gens les plus durs à Ferfay.

Pascale : Je pense qu’il y avait quelque chose comme ça. J’ai déjà lu mais je ne me souviens plus.

PASCALE – UN RÉCIT DE FERFAY – Partie 2

LE FAMEUX INSTITUTEUR

(Chez Rose-Marie déjà, on avait entendu parlé de lui.)

Pascale : C’est vrai que nous on avait un instituteur très strict. Monsieur Héroguelle, il prenait les garçons sur ces genoux et pan pan pan (moi, ça ne m’est jamais arrivé). Il les prenait par les pieds et il les tenait comme ça.

Guy : Il nous faisait défilé dans la cour, les mains sur la tête, en plein hiver, en t-shirt. Je me souviens, il y avait de la neige, de la glace. Les mains sur la tête, on devait répéter : je suis bête. Je le détestais. Il disait à toute la classe : « vous allez voir, je vais lui demander de réciter sa poésie, et puis je vais l’interrompre et il saura pas reprendre. » Et je commençais ma poésie, il m’arrêtait et de fait je n’arrivais pas à reprendre.

Pascale : Moi, j’ai jamais connu ça. J’étais quand même, on va dire, une bonne élève, une très bonne élève.

Guy : Ben, mi aussi ! Mais il me tapait dessus.

Pascale : Tu te souviens de Joseph Libessard ? Bon, il est décédé. Une fois, on faisait une rédaction, on n’était pas les meilleurs en rédaction, forcément. À la maison, on n’avait pas de livre, on n’avait pas de vocabulaire.

Guy : On mettait des mots en patois.

Pascale : Un jour Joseph Libessard il avait écrit : « Je suis queu dans ch’l’a yure ». Ça veux dire : je suis tombé dans la haie. Ça je m’en rappelle. La yure, c’est la haie. Et l’instituteur, il l’avait ridiculisé devant tout le monde.

Quand je suis arrivée à l’École Normale… chez moi, on parlait patois et on parlait français au lycée… À l’école d’ailleurs on n’avait pas le droit de parler patois, ça je m’en rappelle, quand on traversait la grille, on n’avait plus le droit… Et quand je suis arrivée à la maison après une semaine d’École Normale, je parlais français, et min père il m’a dit : « Eh, m’fill, ichi, on est in mon d’ chez ouvriers. Té parles patois. Té parles pas français. » Alors je parlais patois. Mais au fur et à mesure des semaines, ça n’était plus systématique pour moi.

 

LES LIVRES DES PRIX D’EXCELLENCE, C’ETAIT LES SEULS LIVRES QU’ON AVAIT

Pascale : Nous on n’avait pas de livres. À Noël, il y avait le maire de la commune qui nous offrait des Pif. Et puis on avait nos livres de prix à la fin de l’année. (Je les ai tous encore en haut.) Moi je les lisais, les relisais, les relisais. Et puis je me faisais des histoires, j’imaginais des histoires. Les histoires de fées, les contes. Mais on n’avait que ça. Nos livres de prix. Et puis Guy m’avait offert des livres. Guy ne s’en souvient plus, mais ils sont encore en haut ces livres.

En fait, Guy s’en souvient très bien, mais chacun à sa version.

Guy : Oui, c’était « Croc Blanc ».

Pascale : Je l’ai ’core, il est en haut. Je vais le chercher.

Guy : Croc Blanc, c’était ma sœur qui te l’a offert.

Pascale : Non, Croc Blanc c’est toi. Ta sœur, elle m’a offert Sissi.

Guy : Ah ouais ? Croc Blanc, c’était London.

Pascale revient avec le livre. C’est effectivement le livre de Guy, son prix d’excellence. « Prix d’Excellence Alloucherie Guy »

Pascale, retrouvant une feuille dans le livre : Écoutez, là, je vais vous montrer quelque chose : « Prix d’excellence ! » C’est Guy qui me l’a offert, c’était son prix d’excellence.

On est tous émus. On s’imagine… quand on est enfant, offrir son prix d’excellence à son amie, c’est pas rien.

Nous : Eh ben ! Oh, là, là. Génial.

Guy : Croc Blanc.

Pascale : Voilà, ça c’était Guy. Tu vois, tu m’as offert ton prix d’excellence.

Guy : Tout ça pour devenir acteur, c’est vrai.

Pascale : Croc Blanc et Sissi, ce sont mes deux premiers vrais livres, tu te rends compte ? Moi je n’en avais pas d’autres. Croc Blanc, je l’ai lu, relu. Je n’avais pas d’autres livres, alors j’ai gardé tous mes livres de prix. Oui, là, c’est « Le Vrai Visage de Sissi » c’est Éliane, ta sœur qui me l’a donné.

Pascale : Moi, j’avais pas de livre, t’en avais toi ?

Guy : C’est Éliane qui m’en ramenait.

Pascale : Ah, tu vois, moi je n’en avais pas. Sinon, c’était les livres de la bibliothèque de l’école. Oh… Je vais être rouge écarlate là, je suis pas bien.

Guy : Jack London, c’est une belle histoire.

Pascale : Ah, je les ai lus, relus. Là haut, j’ai gardé tous mes livres de prix, tous mes livre de l’école.

Pascale (s’adressant à nous – Juliette et Isabelle – tandis que Guy écoute) : Guy, quand on était en 5ème, il s’est cassé le bras. Alors tous les jeudis, j’allais passé mon après-midi chez Juliette, parce que je recopiais tous ses cours à la main. Il n’y avait pas de photocopieuse à l’époque. Tu te rappelles ?

À Guy : Et Juliette, elle nous faisait quoi ?

À nous : Guy, il ne s’en rappelle plus.

À Guy : Attention Guy.

Guy : Des crêpes ?

Pascale : Non !

Guy : Des gaufres ?

Pascale : Des gaufres. Des gaufres Juliette. Tu peux regarder dans mon cahier de recettes, c’est écrit les gaufres Juliette.

Guy : Des fines ?

Pascale : Non, c’était des grosses. Ah, j’adorais les gaufres Juliette ? Rien que pour les gaufres Juliette, j’aurais recopié les cours.

Guy : C’est vrai que tu m’avais bien aidé.

Pascale : C’est pour ça que ta sœur elle m’avait remerciée. Elle m’affait offert Sissi. Ta sœur elle habitait Lille à l’époque. Pour nous Lille c’était la grande ville, le bout du monde, à l’époque.

Guy explique : Il y avait une grosse différence d’âge, alors m’a sœur elle était déjà partie de la maison. Y a 14 ans de différence d’âge avec Eliane, et 20 ans avec mon grand frère.

Pascale : Guy il se plaignait tout le temps qu’il était un enfant de vieux. Il se plaignait. Moi, j’étais une enfant de jeune, quand je suis née, mes parents ils avaient 18 ans.

Guy : Quand je suis né, mes parents, ils avaient 45 ans. Toi c’était l’inverse.

Guy redit : Tout ça pour devenir acteur, c’est vrai.

Pascale : Oh, arrête, tu te plais dans ton métier, en plus, tu l’adores.

Guy : Oui.