L’ancien et le moderne

A 15h, on a rendez-vous au 82 rue des Martyrs de la Résistance (cette rue n’est pas qu’un nom de rue pour le devoir de mémoire, c’est un haut lieu du présent).

Le 82, c’est une maison de coron en rénovation.

On tape, la porte n’est pas fermée. C’est étrange de rentrer dans une maison en rénovation. On aperçoit des traces de vies passées bientôt recouverte par le futur (pour le bien des gens :mise aux normes, amélioration de l’isolement, du chauffage…).

On entend des bruits à l’étage, ils nous attendent autour d’une table et quelques chaises, bien utiles dans ces périodes de travaux.

On nous raconte…

Un groupe d’habitants de la rue des Martyrs se réunit avec le PACT (bâtisseurs de solidarité pour l’habitat) afin de se perfectionner et se donner des conseils de jardinage.

Les travaux se passent à l’intérieur mais à l’extérieur aussi.

Les jardins rétrécis par des chemins de béton retrouveront leur grandeur et on espère bien voir quelques beaux potagers naitre, ici.

En tout cas, on se retrousse les manches pour y parvenir.

En ce moment, ils établissent tous ensemble, une sorte de jardin prototype : « Un peu de tout en petite quantité et on voit ce qui prend le mieux ! »

La pluie nous arrête mais un nouveau rendez-vous est fixé mardi prochain, on sera là pour voir comment les tomates, les radis, les choux… ont poussé.

Un printemps français?

De l’autre côté du passage à niveau, l’ancienne Ferme Belle, les moutons et les tartines de beurre frais ont laissé place au Mille Club, un centre de prévention comme il en existait…mille en France.

C’est à l’issue des événements de mai 68 que le gouvernement décide d’ouvrir mille lieux sur le territoire que les jeunes pourraient habiter et décorer comme ils le souhaitent.

Entre les tables de ping-pong et le coin d’aide aux devoirs improvisé, on discute avec les jeunes et les plus grands. « Les grands frères », ceux du début, arrivent au compte-goutte et parlent du temps d’avant, quand la Ferme Belle était entourée de prés, où l’on rentrait dans chaque maison à l’heure du goûter, les portes n’étaient jamais vraiment fermées.

On parle du temps d’aujourd’hui, de l’attachement au quartier. Quelques uns sont partis et sont revenus le mot « racines » à la bouche, d’autres n’ont jamais quitté Dorignies. On filme les rares mamans qui fréquentent le Mille Club. Elles disent « Ici c’est plutôt masculin comme ambiance ». On discute avec quelques jeunes réticents à être filmés par manque de confiance, par peur que leurs propos soient détournés ou déformés. Comme beaucoup d’autres habitants, ils aiment leur quartier même s’ils déplorent le manque de travail. « Ici il y a une zone industrielle et pourtant il n’y a pas beaucoup d’habitants de Dorignies qui y travaillent ». L’un deux dit « Je suis intérimaire depuis des années, je fais de la mécanique. J’ai fait tous les Renault de France sauf celui de Douai ». La discussion est franche, directe. Quand on leur demande s’il sont déprimés ou en colère l’un d’eux répond « les deux ». La conversation s’emballe, on commence à refaire le monde, à évoquer un meilleur partage des richesses jusqu’au moment où l’un d’eux dit « ce qu’on devrait fait, c’est un printemps français ! ». On n’a rien filmé, mais c’est pas grave, on espère seulement qu’ils viendront aux représentations des 27 et 28 septembre à l’Hippodrome, et que l’on continuera alors la conversation.

Symphonie de paroles des dames

Après-midi sous la pluie mais après-midi riche.

Après un bœuf bourguignon-frites succulent, on a rendez-vous au Centre social, on accompagne Marie-Jo pour le premier rendez-vous de l’année avec des femmes du quartier.

On arrive dans le hall d’accueil, il y a du monde…

On grimpe vite chercher des feuilles de citations et la caméra.

Dans la salle, toutes les dames sont regroupées.

On aperçoit deux hommes ; ils accompagnent leurs femmes.

Un des couples était Batelier. Ils ont sillonné la France, la Belgique, la Hollande… pour se déposer, la retraite venue, dans le quartier d’enfance de Monsieur et Madame. Ils ne voudraient vivre nulle part ailleurs : Dorignies

L’ambiance est très agréable, ça rigole, certaines personnes se connaissent depuis longtemps et d’autres sont venues seules mais personne ne se sent à l’écart, la parole est très libre. Il y a plusieurs générations de femmes et quelques enfants. C’est beau à voir, à écouter…

Un quatuor de femmes a vécu dans la même rue (Rue des Martyrs de la Résistance) durant leur enfance et encore aujourd’hui. Elles sentent une vraie puissance à être ensemble et elles se soutiennent la vie. La mémoire des autres c’est beau comme un concerto.

Elles sont les plus grands remparts contre les points de vue négatifs et dégradants du quartier, un combat qu’elles mènent, ici.

Comme un arbre a ses racines, elles aussi et elles les revendiquent.

Un bout d’ici et d’Italie

Accueil ce matin dans l’annexe du centre social qui nous servira de cantine pendant deux semaines. Pascale, Cathy, Assunta, Micheline et Marie-Jo, responsable adultes/familles découpent, hachent, essorent et épluchent. « Ce midi ce sera frites et boeuf bourguignon, vous aimez ? »

Micheline est italienne et habite en France depuis 38 ans, Assunta est sarde, et ce n’est pas la même chose ! Cathy habite les environs, Pascale aussi. Le centre social l’a sorti de l’isolement. Aujourd’hui ses 4 enfants ont grandi et elle multiplie les actions proposées par le centre social dans le quartier. Depuis quelques années, elle est représentante au RSA lors des réunions de l’unité territoriale de prévention et d’action sociale (UTPAS) organisées par le conseil général du Nord. Elle y mêle sa parole à celle des assistants sociaux et des conseillers en économie sociale et familiale. Avant l’UTPAS étudiait les dossiers d’aide sans le regard de représentants aux RSA et aux allocations logement. Maintenant c’est différent et cela sert à quelque chose. Elle nous explique que les gens veulent faire évoluer les choses, mais qu’il manque parfois « une case », ou une étape, si bien qu’ils n’ouvrent même plus leur courrier. Pour Pascal il faut aller les voir, et imaginer tout simplement comment il peut être possible de monter des choses ensemble… « Il faut réfléchir pour se sortir du tourment, croire à l’entraide, aux actions de bénévolat dans le quartier, ne rien lâcher ».

De la fille au père

Arrivés au centre social de Dorignies, on entre et on passe devant « la cabine d’accueil ». Vous savez, les bureaux avec une sorte de plaque de plexiglas. Cette vitre n’existe pas ici, on rentre directement dans le bureau d’accueil et on papote quelques minutes. L’accueil est chaleureux, les gens du quartier rentrent avec le sourire.

Le père de Yasmina Bengriba (qui travaille au centre social) passe dire bonjour. Sa fille lui explique ce que l’on fait. Le QG est au première étage, ils montent en bavardant, on commence par entendre :

« c’est la première que tu montes à l’étage de mon lieu de travail. »

Yasmina nous présente son père. Il veut bien nous parler mais il est réticent à l’idée d’être filmé. Ses paroles nous transportent dans différentes époques et différents lieux forts du quartier. Arrivé dans le coin, il se rappelle les dires de ses parents sur la relation à accorder aux voisins, aux gens qui habitent pas loin, « il faut les rencontrer et bien s’entendre avec, c’est important » et c’est toujours ce qu’il s’est passé dans ses différents logements. Bonne nouvelle, lancé dans ses anecdotes, il accepte de venir jeudi 10h au Centre Social pour une conversation filmée, la journée commence bien.

Un nuage d’une mauvaise image traine autour du quartier, pourtant même s’il ne faut pas fermer les yeux devant des problèmes, rien ne peut stigmatiser ce lieu de vie où la culture venue du Nord de l’Afrique et celle de l’Est de l’Europe se mélangent  depuis des dizaines d’années.

Si certains problèmes existent, ils sont amplifiés par des regards venus de l’extérieur. Une dame explique que dans les années 70, elle n’osait pas dire à ses collègues le nom de son quartier. Heureusement, les personnes qui vivent à Dorignies depuis longtemps ou depuis peu, savent que cette image est fausse et qu’ensemble ils portent une vérité plus belle et plus douce et c’est cela qu’il faut faire jaillir et sortir du quartier.