Changer le regard

Bouchra, Aurore, Michel et Isabelle partent à la Guinette, avec une caméra. Maintenant, ce sont plutôt les « veilleurs de BD » qui fabriquent ce portrait, plus vraiment les « veilleurs hvdz ». Michel photographie. Bouchra et Aurore posent les questions.
L’idée de ce portrait c’est aussi d’interroger les personnes que nous rencontrons sur leur rapport à BD. Interroger sur les tabous, les fantasmes, les a priori par rapport à la psychiatrie.
Interviews successives, filmées. D’abord David, directeur du centre social, puis Muriel, responsable de l’espace lecture, et Ouiza, responsable d’actions culturelles, et puis Franck, directeur du SAM, le service d’animation et de médiation.
Ils se présentent, parlent de leur travail où chacun est régulièrement amené à rencontrer des résidents de BD. Ils racontent. Quand on a été enfant à Étampes, on a parfois entendu beaucoup de choses négatives sur BD, c’était chez les fous, le danger, la peur. Mais aussi, on a parfois été sensibilisé sur ces personnes fragiles, à protéger, et dans ce cas, dès l’enfance, on a pu apprendre à accepter l’autre.
S’ils avaient une baguette magique, s’ils pouvaient changer quelque chose, presque tous nous disent : « faire appliquer la loi de 2005, oui, mais surtout changer le regard (le regard, il n’y a rien de pire) que les gens portent sur ces personnes en difficultés, changer les mentalités. Mais il faut faire beaucoup pour que les gens s’habituent à côtoyer le handicap. Pourtant, une fois passée la barrière, les rencontres avec ces personnes fragiles sont d’une richesse tellement grande. »

Illustration sonore de la première journée by François!

C’est beau, le Nigéria.

C’est beau le Nigéria, le lundi à 15 heures !

D’abord se retrouver ce matin à 10 h au QG. C’était la consigne de Marie
dans un sms qui donnait envie de se retrouver ce lundi matin.

Il manque Didier et Lucien. C’était prévu mais, à moi, ils me manquent.
Ils jouent et ils répètent oui, je sais ! N’empêche ! Ils me manquent !

Damien nous rejoindra demain, j’ai hâte et je me demande de quelle
couleur sera son bonnet. Je parie pour le blanc. Qui dit mieux ? Je fais
la connaissance d’Isabelle et de Christophe dit  » Bifu ». Isabelle
ressemble un peu à Marie, elle parle de danse, elle écrit tout ce
qu’elle voit et tout ce qu’elle entend sur un petit carnet. Avec Bifu,
on commence à se parler. Tout doucement.

On retrouve Guy devant la gare d’Etampes. De loin, il ne reconnait pas
le gros véhicule de Bédé ni le groupe de veilleurs qui est là et qui
l’attend. Guy a une valise violette à roulettes, un sac, un manteau et
plusieurs épaisseurs de vêtements sur le dos et je me dis qu’il doit
faire rudement froid dans le nord ! On fait des blagues dans le camion
et Guy se demande où il est et qui sont ces gens bizarres… euh pardon
Guy !

On va dans le quartier de la Croix de Vernailles à Etampes et Marie
accroche sur le mot « Vernailles » comme elle le faisait avec le mot
« Magnan » à BD Nord : elle disait  » MaGnan » avec un G comme « gâteau ». Là,
elle dit « Versailles » ou « Cornouailles » à la place de « Vernailles » ! Va
comprendre, Charles ! Moi, ça me fait rire, c’est déjà ça !

On est dans la Cité. Les immeubles se succèdent en face à face et en dos
à dos. On croise une dame très souriante qui fait la circulation à la
sortie d’une école. Elle parle de la psychiatrie sans tabou et avec
joie. Elle est, à elle seule, une belle rencontre. On marche dans la
douceur printanière à la recherche d’autres gens. Un couple attend
devant une école. Le Monsieur parle volontiers devant la caméra, il
sourit et son regard est bienveillant. Sa femme est préoccupée par son
rendez-vous pour des cours de français. Elle sourit aussi. Il y a de la
gentillesse dans ce sourire là. 5 femmes discutent sur les marches, au
pied de leur immeuble. Elles partagent un café, des verres d’eau et des
biscuits qui sont posés sur un plateau près de l’escalier. Une petite
fille joue autour d’elles, elle s’appelle Ela. On entame une discussion
sur le thème de la psychiatrie, de BD, de leur avis et une dame accepte
d’être filmée, très tranquillement. On prend des rendez-vous pour demain
et on sonne pour rencontrer des gens chez eux et là… Un couple nous
reçoit avec toute la générosité du monde, je sens que le moment va me
bouleverser. Avec Guy, nous enlevons nos chaussures parce que tout est
si propre, le tapis est épais et très coloré. La télé, le mobilier et ce
couple nous emmènent au Nigéria ! C’est beau le Nigéria, le lundi à 15
heures avec ces gens ! Le Monsieur aimerait ouvrir les portes qui le
séparent de BD pour rencontrer les personnes qui sont à l’intérieur,
pour faire des jeux de société, discuter, partager un repas et faire
connaissance. Quelle est belle la parole du Monsieur qui parle aussi des
six pigeons qui ont choisi son balcon pour vivre et se sentir en
sécurité ! je savais bien que je serai bouleversée ! Et c’est de manière
que j’ai fait connaissance avec Guy.

Souvenir du vintué

« Raté mon entrée » m’a t-il dit.

« Réussis ta sortie » m’a t-il dit.

Et d’errance solitude, accompagné par la folie destructrice qui était en moi,

combat contre moi-même,

Trop fort au fur et à mesure, je prenais la démesure, et puis, m’y complaisait, juste l’alcool, bien suffisant.

J’ai eu le droit à B.D., Sainte-Anne (Paris), et ce CAT et Atelier Protégé, voilà les institutions qui m’ont accueillies et m’ont élevé vers ce mont, ce col inaccessible, je ré-entends sa phrase à mon voisin qui me disait: » Réussis ta sortie », je lui dis: « Je suis sur cette voie ». et….

VOULOIR MOURIR OU PAS

Quand j’avais 16 ans, j’ai rencontré un psychiatre pour la première fois parce que je voulais mourir. J’utilisais mon argent de poche pour ces rendez-vous. Je travaillais en dehors du lycée parce que les séances allaient durer longtemps. C’était évident.

Plus tard, quand la terre s’est écroulée sous mes pieds, j’ai revu un psychiatre pour ne pas mourir encore une fois.

Longtemps après, quand la terre s’est arrêtée de tourner, j’ai repris le chemin des consultations pour ne pas mourir encore. A chaque fois, j’ai rencontré des gens qui m’ont tendu la main et qui, aujourd’hui, encore ne me lâchent pas.

Danser dans des chaines…

J’ai démarré en psychiatrie en 2011 et je n’étais ni prêt ni mature à cette époque. J’étais trop sensible et je n’arrivais pas à mettre des barrières de protection et la psychiatrie me faisait peur parce que personne n ‘est à l’abri. Le bruit, les cris, les visages marqués par la vie me mettaient mal à l’aise.

J’ai donc laissé tomber et j’y suis revenu en 2014 avec une maturité plus importante. Des amis, dans ce milieu-là, m’ont aidé à avoir des explications qui ‘ont fait grandir. L’important pour moi, aujourd’hui, est de pouvoir aider l’autre, de lui apporter du bien et une liberté d’esprit, une liberté corporelle d’où l’envie désormais d’avoir des projets culturels auprès des patients et de découvrir une richesse dans chaque individu. L’important pour moi est, maintenant, de communiquer et de partager, ce que m’apporte mon métier en psychiatrie.

J’ai envie de dire ceci : ce n’est pas parce que c’est de la psychiatrie qu’il faut en avoir peur. Je remarque, depuis 3 ans, que, par rapport à un travail dans un hôpital général. L’ouverture d’esprit y est, il me semble plus grande, plus adaptée aux genres de projets artistiques et culturels tel que nous sommes en train de faire.

Barthémémy Durand – Troisième – Ça commence

L’arrivée au QG, ce matin, ce n’est pas comme d’habitude, ce n’est pas dans un endroit inconnu. L’arrivée au QG, ce matin, c’est des retrouvailles. C’est retrouver un endroit qu’on a déjà partagé, retrouver le bâtiment de l’Ex-Primevères, à Barthélémy Durand (dit BD), c’est retrouver toute l’équipe de BD. Il y a de l’historique dans l’air, des choses en commun. Il y a déjà eu deux « portraits-instantanés » à l’EPS Barthélémy Durand : un dans BD Sud, un dans BD Nord. Là, ce sera « BD 3ème ».
Dès que tout le monde est là, on se regroupe autour du plan d’Étampes : Serge, Véronique, Bérangère, Sylvie, François, Christophe-le-danseur, Bouchra, Aurore, Michel, John et Marie, Martine, Jérémie, Christophe-dit-Bifu, Isabelle. (Guy arrive à 14h, Damien et Jean-Michel reviennent demain.) Tous autour du plan d’Étampes, car, pour ce troisième portrait, on ne reste pas dans BD, on va aller dans Etampes, à la rencontre des habitants. Tous autour du plan. On cherche, on ne trouve pas l’échelle, mais ça a l’air grand et on ne pourra pas aller partout. Alors les « veilleurs  étampois » nous présentent les différents quartiers. Guinette : c’est un grand quartier populaire. Le centre-ville : c’est commerçant, historique, bourgeois. La Croix de Vernailles : un petit quartier, une cité très populaire collée à BD. Et puis, la gare centrale, pas la gare de Saint-Martin. La place Saint-Gilles avec la cabine téléphonique anglaise.
Bouchra parle de la maison de quartier à Guinette, de la piscine municipale, de la Base de Loisirs avec ses pédalos. François parle des « jolis-coins d’Étampes », parce qu’ « on croit que c’est impersonnel mais ce n’est pas que ça, Étampes, il y a aussi des ruelles, des cours, des coins très jolis qu’on ne voit pas si on ne connaît pas ». On propose à François un temps pour qu’il montre ces endroits à Jérémie qui y fera des images pour le film-spectacle qui sera présenté vendredi à 17h.
On regarde le planning, on ira au marché, dans des lieux où il y a du monde, pour aller à la rencontre des gens, danser dans l’espace public, faire du porte-à-porte, faire des micro-interviews. On constitue des équipes pour le matin, des équipes pour l’après-midi. Hé hop. Ça y est. Ça commence. C’est commencé.

Retour dans les hauts de France

Tout le monde est rentré à ch’baraque encore plein de souvenirs en tête. Il faut préparer de suite le prochain rendez-vous avec tout le groupe, fin avril. On se retrouve tou-te-s à Etampes pour aller, cette fois, questionner les habitants d’Etampes sur leur vision de la psychiatrie et de la présence de l’EPSM sur un tiers de la ville. On a hâte. En attendant, on va bosser au bureau sur ce projet et les futurs projets à venir avant août. Guy est parti en Corrèze avec Pierre et Christophe pour une tournée de La Brique. Ils reviennent fin de semaine. Les membres de la compagnie sont éparpillés dans le temps et l’espace mais ça veut que ça vit, qu’on a des projets et qu’on en redemande.