Dans un drap blanc non cousu

On discute encore longtemps avec Samia et Salima. Elles ont une autre activité bénévole, elles réalisent des lavages mortuaires selon le rituel musulman. Quand une personne décède, à la demande des familles, elles font la toilette de la défunte. La défunte, car les femmes ne peuvent laver que des femmes ou des enfants jusqu’à 7 ans. Salima nous explique : « On fait la toilette comme pour un bébé, en faisant très attention au corps, on demande pardon dès qu’on le bouge, la personne doit être propre, on la parfume avec de la fleur de rose, du musc et puis on la drape dans un tissu blanc non cousu de la tête au pied.  »
La famille de Salima est à Sartrouville depuis quatre générations, son grand-père effectuait déjà les lavages mortuaires, puis ses parents et maintenant elle. Elle espère que ses enfants continueront. Elle est déjà très fière d’eux, elle essaie de leur transmettre le sens du partage et ils y sont réceptifs, elle leur apprend qu’il ne faut pas croire tout ce qu’on dit à la télé, qu’il faut chercher et non subir l’information, elle les pousse à s’intéresser à tout et à tout le monde. Son aîné est dans une école de commerce, les frais de scolarité sont élevés, il travaille tous les week-ends pour les payer. Quand on lui demande s’il ne préfèrerait pas profiter de sa jeunesse, il dit qu’il le fera après. Salima espère que sa fille l’accompagnera pour les lavages :  » Ce n’est pas triste, ça peut paraître bizarre, mais c’est une belle façon de rendre hommage aux défunts, et puis il faut transmettre, parce que moi, quand je serai morte, qui va me laver ? « 

Chabab

Ce matin petit café avec Jeanine à la bib de rue avant de commencer le travail. On est arrivé tôt. Il fallait donner des images à Jérémie pour monter un petit film (sur le quartier) qu’on va projeter, ce soir sur la façade du théâtre (CDN). Chez Chabab nous avons été reçus par Danièle et Soraya présidente et salariée de l’association. Elles proposent des cours d’informatique pour adultes . Soraya tient une permanence administrative. Elle est aussi interprète et accompagne les gens dans les administrations Dans l’asso elle proposent aussi du soutien scolaire avec des étudiants qui sont passés par Chabab. Danièle est aussi au secours populaire. Donc les adhérents à Chabab peuvent profiter des sorties du Secours Populaire. Musée Guimet Palais de la découverte, Institut du monde arabe… Ils partent à la Rochelle en stage sport… Ils vont au salon de l’agriculture. Chabab voudrait faire un jardin solidaire avec des légumes. Elles connaissent déjà trois ou quatre personnes prêts à s’investir. Depuis cinq ans Ils attendent le terrain,. Soraya est la seule salariée, tous les autres sont bénévoles. Les gens viennent de partout… Chabab accueille 900 adultes dans leur permanence et organisent pour les enfants des centres de loisirs et du soutien scolaire. Ce qui les anime, c’est partager le savoir, transmettre pour la transformation sociale. Eviter la ghettoïsation. Elles disent, quand on a appris quelque chose, quand on était petit, ça reste.

Réseau SMS

Hier matin, Marie B et Marie L ont rendez-vous avec Salima et Samia qu’elles ont rencontré la semaine dernière au marché.  C’est Salima qui pose la première question de l’entretien: « Alors, comment trouvez-vous notre quartier? » On lui répond qu’on y fait beaucoup de belles rencontres, que les gens sont pour la plupart réceptifs à notre démarche, que nous échangeons avec des personnes pleines d’énergies, des personnes qui se battent et donnent énormément, tout comme elle. Salima et Samia nous avait brièvement expliqué leur volonté de créer une association pour aider les personnes en fin de vie. Elles ne savent pas encore par quel biais mais leurs actions seraient: la visite aux personnes à domicile et à l’hôpital et l’accompagnement des familles dans les tâches quotidiennes. La création d’une association ne serait en fait que l’aboutissement de quelque chose qu’elle réalisent déjà au quotidien. Salima et Samia aident, accompagnent et soulagent déjà plusieurs amis ou voisins touchés par la maladie. Elle nous donnent l’exemple d’une femme, dont le mari est atteint d’un cancer, pour qu’elle puisse se concentrer sur lui, une trentaine de personnes du voisinage se relaient pour lui apporter quotidiennement les repas du midi et du soir. Ce n’est pas grand-chose dit Salima, on est beaucoup, ça ne représente que deux ou trois repas par  mois pour chacun, mais pour elle, c’est un soulagement. Samia et Salima ont crée un véritable réseau de solidarité par le biais de l’envoi de SMS. Quand elles apprennent que quelqu’un est dans la difficulté, morale, matérielle  ou financière, elles envoient à leurs contacts un SMS expliquant la situation et demandant une participation. Elles insistent sur le fait qu’elles se renseignent tout d’abord sur la véracité de la situation de la personne demandant de l’aide. Après « enquête » disent-elle, elles envoient le SMS sans nommer la personne, par respect de la dignité. La chaîne de solidarité est lancée, les gens donnent sans hésiter, ils ont confiance en Samia et Salima. L’aide demandée est variée: » Par exemple, l’appartement d’une dame a entièrement brûlé il y a peu, il a été  rééquipé grâce au réseau, mais attention si on demande une table, une chaise, ce n’est pas des objets qu’on jetterait: ce qu’on aime pour soi, on l’aime pour les autres »nous explique Salima, Samia renchérit: » On récolte beaucoup pour les obsèques aussi, le rapatriement d’un corps en Algérie c’est 3000 euros, on arrive toujours à les réunir. »
On avoue être impressionnées par leur engagement, on leur demande s’il est lié à leur foi. Non, nous répond Samia: »Il y a des gens de partout et de toutes les confessions qui nous aident, c’est une question d’état d’esprit, moi par exemple j’ai été très malade, j’ai passé des mois à l’hôpital mais j’ai un souvenir très fort et heureux de ce que j’ai vécu là-bas, on tricotait, on cuisinait, on faisait même des manifestations devant le ministère de la santé, je m’en suis sortie mais pas tous mes camarades, aujourd’hui mes enfants sont grands, je ne peux plus travailler, ma famille est en Algérie, il faut bien que j’occupe mon temps, il faut bien que j’aide comme on m’a aidé. » Elle regarde Salima qui l’a toujours soutenue, Salima nous sourit: »Vous savez, on n’attend pas de salaire d’ici-bas pour ce qu’on fait, mais quand on y réfléchit, tout le monde devrait agir ainsi, on ne devrait même pas se poser la question. »

Pas de portes

« Bonjour, nous sommes une compagnie de théâtre, nous réalisons un film-spectacle sur le quartier, pour et avec les habitants,  les 11 et 12 octobre au théâtre de Sartrouville, vous êtes cordialement invités, tenez, voici l’invitation…et dans le cadre de ce spectacle nous réalisons une galerie de portraits où nous demandons aux gens de poser devant leurs pas de portes, voudriez-vous poser pour nous? ça prend 30 secondes… »
Marie B, Marie L et Jérémie ont passé la journée du 1er au 16ème étage dans un bâtiment, puis du 15ème au 1er dans un autre afin de récolter des images d’habitants posant devant leurs portes. Sur une centaine d’appartements, une dizaine ont accepté et trois personnes nous ont fait entrer. Il y a eu Nordine tout d’abord, Nordine parle fort et vite, Nordine nous dit que lui aussi, il est comédien. Nordine n’a pas envie de poser, il se prépare pour prendre son service. Nordine est conducteur de bus, sur la ligne 358, il nous propose quand même un café, nous fait entrer, nous parle de Jeanine, il était à l’école avec sa fille, il faut qu’on lui passes le bonjour. « Et les jeunes? vous avez parlé aux jeunes? Si vous voulez leur parler, dites que c’est de la part de Nordine! »
Ensuite, il y a une dame qui nous fait entrer elle aussi, pour nous montrer à quel point les appartements sont grands ici, et puis la vue sur Paris, magnifique. »Regardez, je vois le mont Valérien, la tour Eiffel, je suis ici depuis 40 ans, c’est pour l’appartement que je reste mais le quartier je n’en peux plus. » Cette dame nous explique qu’elle ne supporte plus son voisinage, qu’elle ne se sent pas chez elle. On lui demande si elle se sentait mieux avant, elle nous répond qu’elle n’a jamais crée de liens dans le quartier, qu’elle préfère le silence, la discrétion, les voisins sont déjà trop proches, on entend tout, on n’a pas envie d’en savoir plus dit-elle. On l’encourage vivement à venir le 11 ou le 12, peut-être verra-t-elle ses voisins différemment…On discute longuement, on n’est pas d’accord sur tout,elle n’est pas convaincue mais nous assure qu’elle viendra.
Et puis on entre également, chez Nassima, elle vient d’Oran et s’ennuie beaucoup à Sartrouville qui est pour elle une ville-dortoir. Elle aime le théâtre, les sorties, musulmane pratiquante depuis toujours, elle porte le foulard depuis peu. Elle n’est pas mariée nous dit-elle, personne ne la force précise-t-elle encore, opticienne de profession, et donc en contact permanent avec beaucoup d’hommes, le voile la protège. » Je me sens apaisée depuis que je le porte, ça enlève tout le jeu de drague, qui me fatigue et m’oppresse parfois, le rapport humain est plus simple. » Nassima se remaquille avant de poser et nous remercie mille fois d’être venus: « ça fait du bien des belles rencontres. »