Il règne un silence inhabituel sur le QG, tout le monde s’attèle à la création du film spectacle de la veillée. Casque sur les oreilles, chacun est dans sa bulle. Jérémie travaille sur les pas-de-couloirs lycéens, Martine sur les interviews des participantes aux chantiers théâtraux. Guy fait la conduite du spectacle, pour se faire il revoie tous les entretiens, il essaie de créer un fil conducteur, de relier les témoignages qui peuvent se croiser, se répondre. Chose étonnante sur cette veillée, il n’y a pratiquement que des femmes, c’est très rare dit-il. Didier, lui, se débat avec le montage de « Godot » et des « rêves dansants ». Marie B dessine, elle essaie elle aussi de trouver un lien entre toutes les histoires entendues et de créer comme une maquette du quartier en assemblant tous ses dessins. Demain, certains repartiront sur le terrain: diffuser un film à l’école Jolliot Curie, continuer à rencontrer les gens dans la rue, faire en sorte ne pas quitter le terrain. Le soir, les danseurs et acrobates arriveront et seront sur le pont pour les répétitions de la veillée et des interventions sur le marché, dans la rue…Pour l’heure, chacun écrit, dessine, coupe, découpe et recoupe en repensant à Dora, Jeanine, Salima, Sekoura, Mohamed, Nadia, Maria… et toutes ces rencontres qui feront la veillée, en espérant tous les y retrouver.
Veillée # Sartrouville
au carrefour de la danse
Ce n’est pas parce que
Ce n’est pas parce qu’on vit à Sartrouville qu’on aime le théâtre
Ce n’est pas parce qu’on vient du quartier des Indes qu’on n’aime pas le théâtre
Ce n’est pas parce qu’on est des Indes qu’on est asiatique
Ce n’est pas parce qu’on habite rue Martin Luther King qu’on fait des rêves
Ce n’est pas parce qu’on habite avenue de l’Europe qu’on a voté oui
Ce n’est pas parce qu’on est timide qu’on n’est pas bavard
Ce n’est pas parce qu’on habite en haut d’une tour qu’on est une princesse
Ce n’est pas parce qu’on tient les murs qu’ils ne vont pas s’écrouler
Ce n’est pas parce qu’on ne veut pas partir qu’on veut que rien ne change
Ce n’est pas parce qu’on aime son appartement qu’on aime son quartier
Ce n’est pas parce qu’on voit Paris qu’on y va
Ce n’est pas parce qu’on a la foi qu’on aide les gens
Ce n’est parce qu’on aide les gens qu’on a la foi
Ce n’est pas parce qu’on est voilée qu’on est soumise
Ce n’est pas parce qu’on est portugais qu’on vit en communauté
Ce n’est pas parce qu’on est retraité qu’on n’est pas actif
Ce n’est pas parce qu’on est bénévole qu’on ne travaille pas
Ce n’est pas parce qu’on ne parle pas bien qu’on a rien à dire
Ce n’est pas parce qu’on vit sur le plateau qu’on est bien servis
Ce n’est pas parce qu’on est en face d’Argenteuil qu’on est Val d’Oisien
Ce n’est pas parce qu’on est immatriculé 78 qu’on n’a pas le droit d’être perdu
Ce n’est pas parce qu’on est de Maisons-Laffitte qu’on ne peut pas aller faire son marché aux Indes
Ce n’est pas parce qu’on habite une ville dortoir qu’on est reposé
Ce n’est pas parce qu’on joue aux échecs qu’on réussit
Ce n’est pas parce qu’on vit dans une cité qu’on est malheureux
Ce n’est pas parce qu’on regrette le passé qu’on ne vit pas dans le présent
Ce n’est pas parce que c’était mieux avant qu’il ne faut pas faire en sorte que ce soit mieux demain
Sartoris Sartorum
Ce matin, toujours sous la pluie, on continue les recherches historiques: et Sartrouville alors, ça vient d’où? Les origines latines de son nom : Sartoris villa « maison du défricheur » ou Sartorum villa « village des vignerons », remontent à la conquête des Gaules par Jules César. Au Moyen âge, les templiers possèdent des maisons autour de l’église Saint-Martin. Ils sont remplacés par les bénédictins d’Argenteuil. Pendant plusieurs siècles, la commune est divisée en deux fiefs: celui du village sous l’autorité des Bénédictins de l’abbaye d’Argenteuil, et celui de La Vaudoire, sous celle des seigneurs de Maisons, de Poissy et du roi de France. Pendant la Révolution, les deux fiefs sont réunis et constituent le territoire actuel de la cité. Sartrouville a longtemps été un lieu de culture de la vigne. On y cultivait notamment du Gamay. La culture de la vigne disparut au début du siècle sous l’effet conjoint de deux facteurs : d’une part, le développement du chemin de fer fit entrer en concurrence la production locale avec les vins du midi, d’autre part le phylloxéra détruisit une grande partie des cépages en 1902. Il reste aujourd’hui quelques plans aux abords de l’église.
L’histoire de Sartrouville est également liée à l’aviation. Dans les années 1920, les Chantiers maritimes de la seine y installèrent leurs productions d’hydravions.
C’est à Sartrouville que Guy de Maupassant écrivit le roman « une vie ». C’est à Sartrouville que vécut Louis Paulhan l’aviateur, que grandit Youssoupha le rappeur, que travailla le frère de Martine, qu’alla à l’école la maman de Marie L…
custumisation du compteur électrique
Mousson
On de retour ce matin quartier des Indes, c’est la mousson, il pleut à verse sans discontinuer. On prend un café avec Jeanine, Martine a pratiquement terminé le montage des interviews, on visionne tous ensemble des extraits, on se questionne sur quelques plans. Didier et Hervé se disputent dans une des salles de lecture de la bib de rue, ça parle de Vaucluse et d’un nommé Bonelli: tout va bien c’est un « Godot. » Ce matin, cité des Indes, on se demande d’où vient le nom de ce quartier. On demande à Jeanine, elle est là depuis la construction, elle ne sait pas, elle nous dit que ça vient sûrement de la rue des Indes à Argenteuil et que ça aurait peut-être quelque chose à voir avec la route de la soie…On aime bien cette hypothèse mais en allant regarder sur le site du logement francilien, on découvre une autre explication: la mention »les Indes » figure déjà sur une carte de la paroisse de Sartrouville de 1789, puis sur la carte du cadastre napoléonien de 1820. L’hypothèse du bailleur est la suivante: Au XVIIème siècle, la « compagnie des Indes Orientales » connut un essor considérable. On peut imaginer que des récits de ce pays lointain soient parvenus jusqu’aux maisons blotties au pied de l’église Saint-Martin. Les Indes semblaient très lointaines aux vignerons de Sartrouville, et, lorsqu’ils partaient prendre soin de leurs vignes sur le plateau éloigné du village, à la limite d’Argenteuil, peut-être s’exclamaient-ils: « J’m’en vais aux Indes! »
au carrefour du dessin
Tu sais
Tu sais j’ai emprunté ces grands escaliers qui s’enroulent vers le ciel. Il y en a quatre, j’ai pas pris l’ascenseur. Sur les murs sombres et sur les plafonds sombres, visiblement inscrits avec des outils de fortune, clefs, cutters, ciseaux, briquets, marqueurs, il y avait vos phrases d’amour, il y avait vos phrases de colère. Un entrelacs, une fine dentelle. Tout une histoire inscrite sur le ciment, que j’ai lue, attentivement. Vos prénoms, vos équipes de foot, vos paysages dessinés, vos proverbes, votre tristesse et votre rage, vos injures, votre humour.
Tu sais j’ai emprunté ces grands escaliers qui montent. Ici Sartrouville comme partout ailleurs c’est ton ciel que je regarde. Les jours derniers c’était la lune pleine, les nuages duveteux qui courent sur le gris.
Laisse passer la lumière, laisse passer l’averse.
Quand je marche, il pleut sur moi, il fait soleil sur moi. Je frappe à des portes, elles s’ouvrent, s’entrebâillent, ou bien restent fermées. Il pleut sur moi, il fait soleil sur moi, et je continue de marcher.
J’ai vu le vent se lever, j’ai entendu le rire des femmes et des hommes, j’ai été en contact avec leur impuissance. Ce vent est aussi mon vent, est aussi mon rire, mon impuissance. Il n’y a qu’un seul monde.
danse sur le marché
Au Carrefour des rencontres
À Carrefour, on a lu, on a dansé entre les casseroles et les géraniums, on a échangé, on a invité, on n’avait rien à vendre. On a croisé Anne-Marie du café rencontre, Jocelyne des chantiers du théâtre, Jeanine de Bib de rue et Almamy. On a lu un texte sur Almamy, devant Almamy, et Almamy a rougit mais nous a dit merci. Ce vendredi, après deux semaines de présence, on avait l’impression de se sentir un peu chez nous dans ce quartier des Indes, Sartrouville. Hâte d’être à Lundi pour continuer à arpenter les rues, à danser, à créer la veillée, à rencontrer et raconter.