Si ton œil était plus aigu, tu verrais tout en mouvement 

Les élèves de deuxième année de l’ÉSAC, l’école supérieure des arts du cirque à Bruxelles, sont argentins, allemands, mexicains, suisses, suédois, australiens, italiens, américains, chiliens, marocains, anglais, réunis autour du cirque. Première journée. On raconte comment va se co-construire le spectacle, en rencontrant ceux qui font du cirque à Cirqu’Conflex (cirque social et urbain), en rencontrant les gens du quartier de Cirqu’Conflex, à Anderlecht. « Si ton œil était plus aigu, tu verrais tout en mouvement ». On se présente. Cirque ? Comment je suis arrivée au cirque ? Comment je suis arrivé au cirque ?

C’est pas parce que…

C’est pas parce qu’ on habite Fives qu’on a envie d’aller manger à Fives cail
C’est pas parce qu’ on habite à Fives qu’on est ouvrier
C’est pas parce qu’on habite a Fives qu’on fait des fêtes
C’est pas parce qu’on fait des fêtes qu’on habite à Fives
C’est pas parce qu’on est une camanette qu’on a envie de parler aux caméras
C’est pas parce qu’on habite rue Pierre Legrand qu’on est obligé d’ouvrir un kebab
C’est pas parce qu’on fait du foot qu’on s’intéresse pas à la culture
C’est pas parce qu’on s’intéresse à la culture qu’on fait du footing
C’est pas parce qu’on est bio que ce qu’on mange est bon
C’est pas parce qu’on connaît Fives qu’on connaît Les Peupliers
C’est pas parce qu’on joue Godot qu’on connaît le Vaucluse
C’est pas parce qu’on connait la rue Pierre Legrand qu’on connait la rue de Lannoy
C’est pas parce qu’on s’appelle Delplace qu’on habite dans le centre
C’est pas parce que l’on fait du foot qu’on n’a pas envie d’aller voir du théâtre
C’est pas parce qu’on a traversé des étapes difficiles dans sa vie qu’on n’est plus joyeux
C’est pas parce qu’on aime les bêtes qu’on aime les gens
C’est pas parce qu’on aime les gens qu’on aime les bêtes
C’est pas parce qu’on est à côté de la route qu’on ne peut pas développer une forêt-jardin

 

 

 

Le saviez-vous?

  • Fives Cail s’appelait à l’origine l’usine de Fives
  • C’est un ancien général belge accompagné d’un français qui a acheté le terrain pour construire l’usine
  • Il y avait des fortifications à Fives avant son développement industriel
  • le nom « Mont de Terre » est lié à la construction de ligne de train Lille-Paris et surtout de la gare de Fives. Les travaux ont fait qu’il y avait un mont de terre à cet endroit…
  • banlieue, ça veut dire « soumise au banc »
  • En 1800, Fives comptait 800 habitants, 100 ans après 19000…
  • Il y a une carte du monde sous le pied de la statue de la demoiselle de Fives place Degeyter.

Monsieur Duhermel

 

Duhermel, en breton ça veut dire « fils d’Armel ». Mais le Monsieur Duhermel que nous avons rencontré n’est pas breton pour un sou. Il est descendant de flamand, à l’époque où des bretons se sont installés aux Pays-Bas pour l’expansion de leur commerce. Monsieur Duhermel est né dans le Vieux-Lille, a habité à Villeneuve d’Ascq avant de finalement arriver à Fives à la mort de sa femme. Et il a beaucoup de choses à nous raconter.

Il nous reçoit dans un appartement de la rue de la Gaité. Le couloir de l’entrée est recouvert d’assiettes décoratives en porcelaine, souvenir de divers évènements et villes françaises. Des tableaux d’Alexandre Desrousseaux (« Le p’tit quinquin », « L’canchon Dormoire »), des vieux gramophones et autres phonographes, des tableaux. Et surtout, il est « amoureux de sa ville ». Alors, quand il est arrivé à Fives, il est allé à la mairie pour demander ce qu’il pouvait faire, lui qui savait seulement lire et écrire (les activités manuelles, c’est pas trop son truc). On lui a dit que s’il le souhaitait, il pouvait s’intéresser à l’histoire de Fives. C’est comme ça qu’il a commencé sa longue immersion dans les entrailles de la mémoire fivoise. Aujourd’hui, 21 classeurs trônent dans une armoire vitrée. 21 classeurs qui retracent l’histoire de Fives de 1100 à aujourd’hui. 1104, c’est le moment de la construction du prieuré, autour duquel va se construire les premières habitations. Fives a la réputation d’avoir « une eau qui combattait les fièvres ». Pour ce qui est de l’origine du nom du quartier, apparemment les avis divergent. « Fives ça vient de l’anglais… Non mais… ça c’est une idée de maboule ». Pour Monsieur Duhermel, Fives ça vient de « fief », la donation qui appartient au seigneur.

(ça c’est une gravure de Fives y’a bien longtemps, dans les années 1100 et quelques)

Parmi les grands évènements qui ont marqué le quartier, il nous cite le grand développement industriel. Une catastrophe selon lui, « je maintiens ». En 1803, il y avait 956 habitants à Fives. 100 ans plus tard, il y en avait 35 000. Fives n’était plus l’endroit de verdure où il faisait bon venir se promener le dimanche après-midi 2/3 siècles auparavant. Beaucoup d’entreprises textiles avant que l’usine de Fives n’ouvre ses portes. A ce moment, Fives est redevenu un quartier annexé  à Lille, alors que quelques années plus tôt, après la révolution française, c’était devenu une ville à part entière. Et puis la première guerre mondiale, qui touche beaucoup d’usines et encore plus d’ouvriers. L’industrie fivoise a du mal à s’en remettre, elle se relève dans l’entre deux guerres et avant de prendre la seconde guerre mondiale de plein fouet.

Monsieur Duhermel nous dit que tout le monde n’est pas d’accord sur l’histoire de Fives, lui a sa propre version. Tout est recensé dans des classeurs qui condensent ces écrits, des archives, des photos d’époques et autres gravures. Il a même prévu de tout donner à la mairie de quartier à sa mort.

Papillons et poésie

 

9h tapantes, Marie, Lucien et Zelda arrivent à la médiathèque de Fives, rue Bourjembois en même temps que les participants de « Poésie Locale ».

Mathieu Boudeulle est éducateur spécialisé à l’ESAT de Fives, une structure qui fait partie des Papillons Blancs de Lille. Avec un groupe qui mêlent des personnes de l’ESAT et des habitants, il est à l’origine d’un projet autour de l’appropriation du quartier. Le groupe, constitué de 12 personnes, se réunit tous les jeudis matin à la médiathèque. Pour l’instant, ils écrivent avec Amandine Dhée des poèmes sur leur rapport à la ville. Ensuite ils travailleront avec un.e photographe puis un.e plasticien.ne. Tout ça donnera naissance à un petit livre qui reprendra tout ce qu’ils ont pu faire au cours de ces ateliers. Aujourd’hui, le groupe n’est pas au complet. En plus de Mathieu et Amandine, nous faisons la connaissance de Damien, Myriam, Mohammed, Laurent, Pascale, Christine et Evelyne. On s’installe, qui veut un thé? Un café? Un jus de pomme? Un bichoco? C’est presque la dernière séance d’écriture, la semaine prochaine, ils choisiront quels textes apparaitront dans le livre. Et puis ils iront manger ensemble au restaurant. Pas au restaurant d’application, ils s’y sont pris trop tard pour la réservation. Alors peut-être à La Galette de Moulins, vers la porte de Douai, ou peut-être au libanais rue de Lannoy à Fives. Pascale nous montre les tableaux qu’elle peint, elle les vend et a peut-être trouvé acheteur à la médiathèque. Evelyne nous conte une chanson, c’est un poème de Jacques Prévert qui parle d’escargots qui arrivent trop tard pour voir les feuilles mortes de l’automne. Puis Christine nous chante Göttingen de Barbara. C’est joli et mélancolique, ça va bien avec la pluie qui cogne sur les fenêtres. Damien nous dit qu’il peut conter Barry White, mais il ne connaît pas la chanson par coeur. Amandine annonce le déroule de la séance : ils vont d’abord écrire des textes individuellement, ils feront ensuite un temps d’écriture collective. Elle nous lit un extrait d’un livre de Véronique Joyaux, « Les âmes petites » pour amorcer le temps d’écriture : aujourd’hui, ils devront écrire sur quelqu’un d’autre, un.e ami.e, un.e inconnu.e, une personne qu’ils voient tous les jours ou qu’ils ont aperçu dans la rue. Tout le monde ne sait pas écrire mais Mathieu et Amandine sont là pour prendre le relais. Damien écrit sur la jolie fille avec une jupe et des bottes qu’il a croisé sur la place Degeyter. Christine écrit sur Christian, sur sa voisine, sur Damien, sur la demoiselle de Fives, sur « toi ».  Myriam se promène dans son quartier. Laurent nous parle des caissières du supermarché dont il ne connait pas la couleur des yeux, la couleur des cheveux, mais il sait qu’elles lui sourient.