Antigone, c’est celle qui se révolte contre son clan. Antigone, c’est celle qui préfère suivre son éthique intime plutôt que la morale que lui impose l’extérieur. Antigone, c’est celle qui demeure moderne à travers le temps, pour ce qu’elle représente d’absolu dans la lutte et la non-capitulation. Antigone existe parce qu’il y a Créon, parce qu’il y a la cité et la loi injuste. Aujourd’hui, tous les Créon, toutes les cités, toutes les lois injustes peuvent donner naissance à toutes les Antigone. C’est vers 16 ans qu’on est Antigone, ou Antigon, et qu’on est prêt à porter l’absolu de la lutte et de la révolte.
Mais comment faire venir à la surface de soi, face à la caméra, face au groupe et dans le jeu, cette révolte absolue ? Les élèves de la classe d’exploration des arts du spectacle du lycée Jamot rougissent et rient et recommencent mais à mesure que le temps passe et que les improvisations se succèdent, on sent venir du fond du fond la saveur de cette révolte, un ton, un geste que l’on aurait envie de protéger encore pour qu’il puisse grandir. Mais le temps presse, la cloche sonne, il est midi.
Aubusson
Rencontre à l’indispensable association Parenthèse
discussion citoyenne avec l’association parenthèse
Parenthèse est une association de quartier de Chabassière qui s’occupe des enfants. Créée en 1988. Elle est composée d’une animatrice, d’un jeune en service civique (Axel) et de bénévoles. L’association répond à un réel besoin sur le quartier. L’association a aussi pour but d’intégrer les familles. Elle est d’une certaine façon ouverte à toutes les générations. Elle organise des sorties, du soutien scolaire, et elle donne la possibilité aux femmes du quartier de se réunir pour des activités. Chavassière est un petit univers sur la ville. Ici Parenthèse c’est notre famille, disent les ados. Elle ne doit pas disparaître. Les enfants vont bientôt avec l’aide de Axel dessiner un manga sur un mur d’immeuble. Il y a quelques temps, Indra, l’animatrice employée par l’association a fait dessiner par les jeunes du quartier, un graf qui signale la présence de Parenthèse au coeur des immeubles de Chabassière. L’association n’est pas riche.
Les gens du quartier ne se sentent pas autorisés à aller au théâtre. Pourtant, il y a trois ans un groupe femme est venu au théâtre. Indra raconte qu’ un groupe de femmes d’origine turque suivait un cours de français à l’asso. Virginie (relation publique et médiatrice au théâtre Jean Lurçat) est venue leur présenter plusieurs pièces. Elles ont choisi l’expression corporelle et la danse. Elles sont allées au théâtre pour la première fois. Elles portaient le foulard. A l’entrée elles ont eu un moment de panique. Après qu’on les ait rassurées, elles ont vu et adoré la pièce. Lors d’ une autre pièce, à la fin du spectacle les danseurs invitaient les spectateurs à danser. Les dames du quartier ont été les premières à descendre sur scène.
Il y a ceux d’en bas et ceux d’en haut. Ceux d’en haut vont plus souvent en bas que les gens d’en bas ne vont en haut. Les femmes turques ont beaucoup de choses à nous apporter. Les rires, ça se partage. Que Parenthèse ne soit pas cataloguée comme l’univers du haut. La ville est plus pour ceux d’en bas que ceux d’en haut. Il y a une diminution de moyens pour l’association Parenthèse. Il ne faut pas que Parenthèse ferme. Les femmes venaient l’après midi et on buvait un thé. On faisait un atelier d’alphabétisation. Aujourd’hui, ça n’est plus possible. Les pouvoirs publics n’écoutent pas l’ association. Deux fois par semaine il y avait la couture. C’est bien agréable de se retrouver. Tout cela ne peut pas disparaître. Sinon les femmes se retrouvent chez elles et ne sortent plus de la journée. Elles n’iront jamais en bas pour faire des activités.
Florian, Anthony, Goksel, Gaëtan, Aurélie
Le foyer des jeunes travailleurs
Au foyer des jeunes travailleurs, au début, on dirait que personne ne va venir nous voir. Alors en rigolant, Aurélie, l’animatrice, dit à Anthony, Florian, Goksel et Gaëtan qu’elle va les enfermer avec nous dans la salle informatique. Les murs sont tendus de rose légèrement saumon et on sent que les grandes tables protègent un peu de la rencontre. On explique ce qu’on fait là, et de silencieux qu’ils étaient au début, les quatre jeunes gens se mettent à hocher la tête, à tendre l’oreille. Leurs joues se colorent. Quelques rires fusent. C’est comme un atterrissage en douceur, sans à-coups, sur le sol de leur foyer. Didier commence assis, finit debout, en faisant de grands gestes pour accompagner ses phrases. Quand on leur propose de raconter à la caméra leurs premières impressions sur Aubusson, alors qu’ils arrivaient de Limoges, de Bordeaux, de Guéret, de Vierzon, on comprend qu’ils ont trouvé ici une chaleur, des racines, un chez-soi, un endroit où on est soudés. Quand on leur propose de dire une citation, on sent que les grands mots des grands auteurs se mettent à parler leur langue à eux. Simon, qui est rentré dans la pièce pendant qu’on discutait avec les quatre autres, délivre, sans autre commentaire, sa phrase à la caméra, d’une traite. On ne doit prendre conseil que de celui qui n’en donne aucun. Quand on leur propose le portrait chinois, on commence à avoir envie de faire plein de choses avec eux, jusque tard dans la nuit. En savoir un peu plus long. Sous leur réserve commencent à émerger des mondes dont ils parlent à demi-mot. Pour finir, on leur propose de faire Godot. Alors devant les portes vertes du hall, ils n’hésitent pas à jouer la colère, à taper du poing sur la table, à hausser la voix, avec un sérieux digne de Gogo lui-même.
Le ciel au-dessus d’Aubusson

Les images non capturées
Pour trouver la rue de Monsieur et Madame F, il faut penser à cette qualité de la ville d’Aubusson : tout y est en hauteurs, en terrasses, en recoins, en chemins qui montent ou qui descendent, en toits qui se regardent les uns par dessus les autres, à flanc de colline. Pour trouver la maison de Monsieur et Madame F, il faut prendre une volée de marches, qui est indiquée comme rue, sur le plan, mais qui ne ressemble pas à une rue, dans la réalité. Monsieur et Madame F, comme Monsieur P, comme Monsieur et Madame C ou encore Madame A, ne veulent pas être filmés. Ils acceptent de parler, et de raconter des histoires que nous, nous trouvons intéressantes, ils nous conseillent même d’autres personnes, qui « passeraient mieux à l’écran », ou qui ont « des choses plus intéressantes à dire ». De cette longue après-midi où la caméra est restée dans sa sacoche, il reste dans nos têtes les images non capturées.
Le salon ensoleillé, entre deux averses, rempli de plantes vertes, de dessins de fleurs, de photos de famille, de tapisseries que les parents lissiers ont réalisées, de tapis et de rideaux et de verres colorés.
Le café sombre au comptoir duquel un homme nous raconte, l’oeil silencieusement rieur et le goût de vivre visiblement intact, comment il était bûcheron, avant, et comment c’était bien, cette forêt, cette manière d’être seul avec soi et avec les arbres, et le mystère de ce métier que personne, hors de la forêt, ne connaissait vraiment. Ils nous voyaient arriver au café à quatre heure de l’après-midi et ils se disaient, Mais ils sortent du lit, alors que non, nous on avait déjà travaillé toute la journée depuis très tôt, à couper des troncs et débiter du bois.
Et puis ces quatre personnes, de part et d’autre du comptoir, dans un autre café, plus lumineux, en bord de rivière, qui racontent comment la crise touche la ville avec du retard, mais de plein fouet, comment les commerces ferment, et comment ils partent tous, s’ils veulent travailler. Derrière nous, une voix s’élève, Ben dis-donc t’es drôlement optimiste, toi. Y’a des gens qui viennent, comme ça, et tu dis, Non, tout va mal, mais moi je trouve que c’est drôlement bien ici !
Aubusson Fitness
On rentre dans la nuit

un art outsider
La réalité est un foutoir, et c’est ça qui est excitant. Il faut se demander jusqu’à quel point on a peur du chaos et jusqu’à quel point l’ordre nous rend heureux.



