Les images non capturées

Pour trouver la rue de Monsieur et Madame F, il faut penser à cette qualité de la ville d’Aubusson : tout y est en hauteurs, en terrasses, en recoins, en chemins qui montent ou qui descendent, en toits qui se regardent les uns par dessus les autres, à flanc de colline. Pour trouver la maison de Monsieur et Madame F, il faut prendre une volée de marches, qui est indiquée comme rue, sur le plan, mais qui ne ressemble pas à une rue, dans la réalité. Monsieur et Madame F, comme Monsieur P, comme Monsieur et Madame C ou encore Madame A, ne veulent pas être filmés. Ils acceptent de parler, et de raconter des histoires que nous, nous trouvons intéressantes, ils nous conseillent même d’autres personnes, qui « passeraient mieux à l’écran », ou qui ont « des choses plus intéressantes à dire ». De cette longue après-midi où la caméra est restée dans sa sacoche, il reste dans nos têtes les images non capturées.
Le salon ensoleillé, entre deux averses, rempli de plantes vertes, de dessins de fleurs, de photos de famille, de tapisseries que les parents lissiers ont réalisées, de tapis et de rideaux et de verres colorés.
Le café sombre au comptoir duquel un homme nous raconte, l’oeil silencieusement rieur et le goût de vivre visiblement intact, comment il était bûcheron, avant, et comment c’était bien, cette forêt, cette manière d’être seul avec soi et avec les arbres, et le mystère de ce métier que personne, hors de la forêt, ne connaissait vraiment. Ils nous voyaient arriver au café à quatre heure de l’après-midi et ils se disaient, Mais ils sortent du lit, alors que non, nous on avait déjà travaillé toute la journée depuis très tôt, à couper des troncs et débiter du bois.
Et puis ces quatre personnes, de part et d’autre du comptoir, dans un autre café, plus lumineux, en bord de rivière, qui racontent comment la crise touche la ville avec du retard, mais de plein fouet, comment les commerces ferment, et comment ils partent tous, s’ils veulent travailler. Derrière nous, une voix s’élève, Ben dis-donc t’es drôlement optimiste, toi. Y’a des gens qui viennent, comme ça, et tu dis, Non, tout va mal, mais moi je trouve que c’est drôlement bien ici !

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