Les Gohéliades

Faire une Veillée à Loos en Gohelle c’est quelque chose tout de même. On est artiste associé à Culture Commune depuis une dizaine d’années. Allez savoir sans Culture Commune où on se serait retrouvé et ce qu’on aurait fait. En cette année d’élections municipales, le maire de Loos en Gohelle nous a invités à présenter Les Veillées à l’occasion des voeux du maire à la population devant plus de six cents personnes.

Tout à l’heure en faisant du toutes boîtes, on est allé au café Les Gohéliades. On y retourne cet après midi. Le café est tenu par une ancienne salariée de Levis à La Bassée qui avait participé au travail de Bruno Lajara quand il a fait le spectacle 501 Blues. Le spectacle racontait la fermeture de l’usine et le licenciement des salariées qui du jour au lendemain se retrouvèrent à la rue. La patronne du bistrot a participé à l’écriture du spectacle mais entre-temps elle a acheté le café Les Gohéliades avec ses indemnités de licenciement. Elle n’a donc pas joué dans le spectacle qui a tourné dans toute la France mais elle se souvient bien de cette époque. Aujourd’hui elle va revendre son café pour en racheter un plus grand. On a parlé de Thérèse, de Brigitte, de Patricia, de Catherine, de Michelle qui étaient les comédiennes de 501 Blues.

On est tombé sur ce café ce matin par hasard. En distribuant nos tracts. La dame nous a dit qu’elle téléphonerait cet après-midi à quelques-unes de ses collègues pour qu’on discute de tout ça. Tout à l’heure.

Jusqu'où?

A Saint Nazaire, où nous étions pour notre précédente Veillée, à la suite de la grève de la faim des ouvriers grecs qui réclamaient d’être payés pour leur travail, l’un d’entre eux est mort en rentrant chez lui des suites de cette grève. Jusqu’où est ce qu’on peut supporter l’inacceptable. Jusqu’où?

Premier jour du deuxième temps de résidence

De retour à Loos-en-Gohelle. On est jamais parti bien loin, à vrai dire.

Flora L. a fait plein de réunions au Cheptel. Elle a fait les costumes et la scéno pour Nedjma. Elle est venue voir Base 11/19 à Tremblay et revu Jamel. Elle est entrée dans le conseil d’ administration de l’Echalier.

Jérémie B. a fait les ateliers de la Fabrique en février. Il a fait dix jours d’atelier avec le lycée Henri Darras . Ils ont fait cinq films. Des réunions avec HVDZ. Une semaine d’atelier à la Fabrique en avril. Montage d’un spectacle de Wild Works. Parti à Nice vider l’appartement de son grand père. Fait des photos.

Didier C. est allé à Tremblay au lycée Léonard de Vinci faire un atelier . Fait du marteau piqueur en Bourgogne. Fait une lecture sur la chasse au Snark. Il est allé à Blois, cette belle ville. Il est allé à New York voir les frères Cohen. Il a appris qu’on irait peut-être au Brésil.

Martine C. est allée à Cherbourg avec le cirque de Rosny. Elle est allée à Beaubourg voir l’expo de Louise Bourgeois. Elle a lu Atelier 62 de Martine Sonnet. Elle a retrouvé une amie d’enfance à Blois.

Guy A. est allé jouer à Blois, à Tremblay en France, à Poitiers, Mulhouse, Esch sur Alzette. Rencontré Farid Berki Fait des interventions en hip hop. Est allé à l’école de cirque de Châlons. A Paris, St Nazaire, Nantes. Revu la mer. Un atelier à Culture Commune avec les salariés. Vu le pommier de Kader en fleurs. Vu Jan Lauwers à la Rose des vents et Hamid à Tremblay. Participé à la réunion de la cité des cheminots à Avion.

On a fait des cartes de visite de Veilleur pour tous les Veilleurs et Veilleures. Bien contents d’être à Loos.

petit tour de patois

Un petit tour du centre ville en arrivant. Vers les castors, à la médiathèque.  On se remet dans le bain bien vite.  On re-connaît.  Il y a la découverte et puis le retour, la re-découverte.

On a envie de revoir Bertha. On passera sans doute à la maison de retraite, dire bonjour.

A la médiathèque, on a rencontré  M. Grard. Il collectionne les accents et les mots. Comme Pagnol et Pivot, il sort les mots du placard, parce que si on laisse trop longtemps les mots dans le placard, ils en meurent. Quand il glisse dans la conversation un mot disparu, du genre « morigéner », il fait une onomatopée qui le souligne. Et puis un petit rire. Il mélange avec un peu de patois, pour pas qu’on le mette dans un seul registre.

Il est 14 heures. On va de ce pas l’interviewer.

Dernier jour de la première semaine : Bertha pétille

Cet après-midi, on est allé au foyer des personnes agées. C’est chaleureux et convivial ici. On croise des gens qu’on avait vu au club de la bonne humeur. Ils n’ont pas de famille ici, ils viennent jouer aux cartes. On vient ici comme ailleurs, pour se retrouver et passer un moment ensemble. Le foyer mélange les générations, mélange les résidents et les habitants du village. Café et sucreries pour tout le monde, un goûter tous ensemble.

Les troubadours dansent et accrobatent dans un silence et une écoute rare. Et puis on goûte et on papote. Une dame nous a dit que son père, dans le temps, était champion de gymnastique. « Il faisait le grand soleil » dit-elle. Il a monté un club qui a carburé pendant de nombreuses années. Un club d’amateurs plein de médailles.

Hyacinthe est béate d’admiration, du début àla fin.

Comme ça fait plaisir tous ces sourires ! On se disperse et on discute.

Il y a Bertha qui nous raconte un peu sa vie. Elle a 92 ans. Née en 1915 dans un abri sous un terril à Auchel, un abri avec des anglais, parce qu’à ce moment là, sous les bombes, on pouvait pas naître dans le no man’s land de Loos. C’est pour ça qu’elle s’appelle Bertha. En vérité, elle s’appelle Marion, mais personne ne l’a jamais appelée autrement que Bertha.

Bertha pétille. Elle dit « faudra bien partir un jour, sûrement. Mais moi j’y vais à petits pas ». Bertha s’en va  à petits pas, avec son déambulateur et ses yeux qui pétillent.

Elle dit qu’elle est pas la plus vielle, mais presque. Que les gens de 1917, c’est des petites jeunettes. Elle rit. Elle dit qu’elle a passé sa vie à rire et que franchement, ça l’étonnerait que nous on se marre autant que elle, elle s’est marrée dans sa vie.

Pour finir cette première semaine de veillée à Loos, on part  avec le sourire de Bertha.

Fin de première partie de Veillée à Loos en Gohelle

De retour d’une manifestation de citations dans les rues de la cité 5. Manifestation de citations et adage sur passage pour piétons. Adage pour une spectatrice, Mme Marthe Varoquier qui nous regardait sur le pas de sa porte. Madame Varoquier nous a demandé la signification de la danse. L’adage est une danse lente et douce . On dit c’est une danse lente et  douce. Cela exprime comme de l’apaisement. Mme Varoquier nous dit pour moi c’est l’expression d’une souffrance et d’un manque.

On a fait des marches sur le passage clouté avec nos pancartes et nos slogans. Il y a en nous ce désir puissant de concilier le mot de Marx « changer le monde » et celui de Rimbaud « changer la vie ». Comme elle est belle la jeunesse- qui s’en va si vite! L’art, c’est ce qui rend la vie plus belle que l’art. Si le monde social m’est supportable, c’est que je peux m’indigner.

Des gens en voiture se sont arrêtés et sont descendus de leur voiture pour nous demander ce qu’on faisait au milieu des rues désertes à manifester comme on se promène. Comme on erre. Sous le soleil, à Loos en Gohelle. Dans la cité5. Comme on dérive. 

 Après on est rentré puisqu’on nous attendait au foyer des personnes âgées.

On se dit que ces dérives pourraient durer plus longtemps. Qu’on devrait prendre plusieurs jours pour une seule action comme celle-ci. Marcher à n’en plus finir. Marcher, c’est créer. Si on était allé un peu plus loin sûrement qu’on aurait rejoint Grenay et puis Bully les Mines et Mazingarbe. Impossible de se perdre puisque les terrils du 11/19 on les voit à des dizaines de kilomètres à la ronde. Pas la nuit. La nuit c’est le terril de Noeux les Mines qu’on voit. C’est la piste de ski du terril de Noeux les Mines qu’ils éclairent dans la nuit que l’on voit de loin.

Mais on s’est perdu en quittant la cité 5 l’autre soir après la journée de Veillée. Faut dire que ça ennivre  et on a tourné un peu avant de retrouver son chemin. C’est pas si mal parfois de se perdre. C’est pas la première fois. On est passé  devant la grande usine chimique de Mazingarbe avec ses centaines de lumières blanches.

Rien n’est si loin, au fond. Loos en Gohelle, St Nazaire, Wingles, Tremblay, Calais… Wingles, c’est plus proche tout de même. En terme de distance.  On est retourné plusieurs fois à Wingles sur les lieux de notre ancienne Veillée, Place Centrale, rue de Coupignies et cité des Provinces. Avec Didier on  avait voulu interwiever une dame qui tient un commerce de chocolat. La dame n’a pas voulu qu’on la filme mais elle nous a offert deux énormes gâteaux au chocolat. Elle avait fait du théâtre amateur avec Culture Commune. 

On se disait que ce serait bien de prolonger d’une manière ou d’une autre ce qu’on a démarré pendant une Veillée. On a imaginé qu’on serait en état de Veillée permanent. C’est peut-être ça que ça veut dire, être un artiste (J’ai bien du mal avec ce mot là). Un Veilleur, on va dire. Travailler sur le lien art, publics et populations. Faire de la poïélitique. 

On est installé depuis des années à Loos en Gohelle dont on parle tant sur nos tournées et on connaissait si peu la cité 5.   

Vendredi midi

C’est le dernier jour de présence à la salle Dubois. En mai on s’installera dans le centre ville ou Loos village, si t’aimes mieux. C’était une bonne idée de rester là sur la cité 5 pendant une semaine. Y a plein de gens qu’on aurait pas vus si on s’était installé tout de suite dans le centre. On y reviendra au 5 évidemment. Maintenant c’est obligé…