Perception

Liste « atmosphère »:
I) devant le centre de quartier à 15h02:

– toux grasse d’une vieille dame aux cheveux longs et gris qui promène son chien.
– deux pré-ados se promènent en VTT.
– deux autres pré- ados jettent des objets à la poubelle.
« Oh! Si on f´sait une pêche aux canards? »
Ils trouvent une table cassée. « Oh mais cette table elle est vraiment niquée ». Ils retournent à l’intérieur du centre.
– Des petits, 4 garçons (3 vélos et 1 trottinette). L’un s’est arrêté pour caresser le shi-tzu (petit chien) d’une voisine.
– un garçon en vélo attend ses deux petites sœurs et son père. Le garçon et la plus grande des deux sœurs sont noirs, le père est blanc, la petite est métisse.
Cri de la petite qui court après son grand frère qui roule à vélo.
– le soleil sort, il y a quelques minutes il pleuvait. Chant d’oiseaux.
– un jeune couple marche main dans la main.
– deux autres pré-ados qui font du rodéo avec leurs vélos. Ils appellent Kenan qui sort du centre pour jeter un truc à la poubelle, il les regarde et re-rentre dans le centre.
– les 3 vélos et la trottinette sont à nouveau là, discutent un moment puis partent plus loin.
– un temps où on entend des enfants jouer et crier plus loin, personne en vue. Les oiseaux sont aussi excités que les enfants.
– une dame rentre de Denner avec son cadis et un homme traverse le parc à jeu pour rentrer chez lui.
– bruit d’une bouteille en plastique qui s’est regonflée dans une poubelle.
– les rodéos repassent dans l’autre sens.
– une femme ouvre la fenêtre de son balcon, aspirateur en marche, et se met à passer l’aspirateur sur sa terrasse.
– la bande à Kenan accompagnée de Bernard continue à jeter des trucs dans les grosses poubelles du centre.
– le jeune couple de tout à l’heure passe devant le centre et se dirige vers la rue où il y a le bus 21.
– corbeau qui croisse. 15h18
– une vieille dame habillée tout en jean, un parapluie suspendu à son bras gauche et un Yorkshire ( autre petit chien) en laisse dans sa main droite.
– deux oiseaux surexcités, partent déclarer leur joie plus loin.
-deux petites et un petit gars passent, sont rejoint par le groupe vélos+trottinette. Deux autres petites les rejoignent en courant. Puis disparaissent derrière les bâtiments , sauf une des dernières gamines qui va s’installer à la balançoire.
– un papy avec un béret et une veste de costume marche, les mains dans le dos. Il jette un regard vers Cécile et moi.
15h18

II) à côté de la prison: 15h55

– bruit d’un moteur, engin genre pelleteuse avec bruit de ferraille déplacée. Ça vient de la prison?
-chant d’oiseaux venant de la forêt derrière moi.
– on entend, de manière très lointaine des mecs se parler (pas loin du moteur sans doute).
– pigeon qui roucoule.
– la prison est à l’ancienne avec un mur de pierres et des barbelés tournicotés au sommet du mur.
– son d’une cloche (il est 16h)
– une camionnette se poste devant nous et une dame en bleu de travail en sort.
 » 13?! »
« Non, non je pense pas. » Une voix d’homme lui répond.
– il fait gris et il pleuvine, j’ai l’impression d’être dans « Shutter Island » ou « Le Papillon » avec Steve Mc Queen.
– l’homme et la femme sortent des panneaux:

Panneau de stationnement

J’ai l’impression que sous les panneaux il y a marqué « police ». Ils les chargent dans le camion.
– à côté de nous, la seule cabane non habitée en bois a un tag : « pute » dessus.
– les travaux avec la pelleteuse sont dans la cour de la prison. On voit le reflet par les vitres de la prison. Dont un homme qui fait les travaux avec un gilet orange fluo dans la cour. 16h10

– sur le mur de la prison : » c’est aujourd’hui qu’il faut cueillir ce que demain viendra flétrir…  »

– en rentrant, un papa avec son gamin qui est dans une voiture électrique (avec des phares qui s’allument). Ma voiture c’est une Audi R8 spyder.

Pas de porte

On allait offrir notre première chanson. Femme des années 80. Ca devait être un signe. On était 4. Accompagnés de Jean-Baptiste, la caméra encore dans le sac. Votre maman est là ? Elle est malade ? Une chanson, ça vous dit ? On a changé de chanson. Un chant africain, c’était quand même plus adéquat pour deux gosses de 8 ans. Elles ont écouté, comme ça, simplement. Elles ne nous ont pas lâché des yeux. On s’est étonné de la belle résonance de la cage d’escalier. La chanson s’est terminée, plus qu’on a terminé la chanson. Un quart de seconde, ça a duré. On était soulagé parce que c’était la première et que ça s’était bien passé. Elles avaient l’air contentes. Franchement. Sans plus. Mais pas moins. On les aurait bien filmé, comme ça, devant leur porte d’entrée. Jibé a dit qu’elles étaient pile dans le cadre. L’espace d’un quart de seconde, on avait tous été pile dans le cadre. Pas de trace de ça. Tant pis. Tant mieux. Une rencontre qui n’a pas cherché à être autre chose que ce qu’elle était exactement.

Inventaire (2)

Entre la prison et le bois Mermet, 16 Avril de 15h55 à 16h12
15h55
Des petites maisonnettes en bois coloré, des jardins plein de primevères qui jouxtent les murs surmontés de barbelés. Sur la prison trois fenêtres teintées qui reflètent des bribes de ce qui se passe dans la cour du bâtiment.
Bruits d’oiseaux, de coucous, de moteurs.
Le reflet d’une pelleteuse traverse les vitres teintées.
La cheminée de la prison qui fume. Un avion qui passe au dessus. Ciel gris.
Des voix d’hommes.
Un coucou.
Devant nous des moteurs et des hommes qui crient, derrière les cloches sonnent seize heures et les oiseaux gazouillent.
Un avion.
Bruits de déchargement d’un camion.
Voix d’hommes.
Coucous.
Dans un périmètre grillagé au pied du mur de la prison, une femme, sourcils froncés, ouvre un local en taule bleue et crie : « Treize! ». Bruits de déchargement. Elle sort un panneau indiquant :  » interdiction d’entrer, police. »
Les cloches re-sonnent.
Bruits de moteur.
La femme revient, farfouille dans le local. Bruits de tôle. Elle sort deux panneaux « interdiction d’entrer, police ».
Un homme en tenue de chantier jaune flash passe sur la petite route venant des maisons en bois. Il passe derrière nous et continue la route qui descend vers le bois.
Bruits d’oiseaux et de moteurs.
La femme aux sourcils charge des panneaux et des barrières dans un camion blanc.
Petite pluie.
16h07
Un homme, immobile depuis 15h55 à la fenêtre centrale de la prison part, puis revient, se pose quelques secondes devant les grillages, repart, puis revient, puis repart.
Reflet de pelleteuse et d’hommes en tenues oranges dans les vitres teintées.
16h12

Rencontre avec Alsina Reis et Andrea Maul du quartier des Bossons

Cette après-midi,rencontre avec Alsina Reis et Andrea Maul. L’une concierge aux Bossons, et l’autre infirmière à la retraite. L’une originaire du Nord du Portugal et l’autre de Constantine. L’une qui hésite à accepter la caméra à cause de son accent, l’autre qui nous raconte le temps ou elle chantait de la variété française dans les bals à Paris et n’hésite pas à déclarer à ses voisins que « si sa mère lui a fait une langue c’est bien pour qu’elle s’en serve ».

Autour du thé et des petits gâteaux elles nous racontent d’abord l’arrivée en Suisse, la froideur apparente des gens, le calme déconcertant, le besoin de retourner régulièrement voir des orientaux pour Andrea, comment elles se sont habituées à la Suisse et ne se considèrent ni réellement Suisse ni réellement Portugaise et Algérienne, comme il est encore plus difficile aujourd’hui pour les jeunes d’obtenir un permis et un travail, comment être concierge permet de rencontrer des gens et d’apprendre la langue.

Puis commence un récit haut en couleur sur la vie quartier. Tour à tour riant et s’indignant elles nous racontent la vie en communauté : les suisses mais surtout les algériens, marocains, tunisiens, albanais, portugais, éthiopiens,espagnols… qui partagent des grillades sur le terrain de foot en musique , la police qui intervient pour arrêter la musique, les menaces entre les voisins, les procès, les ateliers gym et cuisine à la cabane qui réconcilient, celui qui lave son fusil sur le balcon pour faire peur aux jeunes, celle qui prêche pour Jéhovah, celui qui prend tous les voisins en photo, la ribambelle d’enfants qui grandissent toujours plus vite, les très importantes promenades de chiens. Selon Andrea quand on est jeune on se rencontre dehors parce qu’on y emmène les enfants et et quand on est vieux parce qu’on promène son chien.

Inventaire

Devant la cabane, 16 Avril de 15h02 à 15h27
15h02
Le chant des oiseaux toujours à rythme régulier
Une femme qui promène son chien en fumant sa clope et en ramenant ses courses
Deux jeunes qui jettent des cartons dans les poubelles qui longent la cabane : « Oh mais cette table elle est vraiment niquée ? »
Les oiseaux
Une troupe de gamins à bicyclettes et trottinette. Un petit blond pose son vélo : « Attends j’arrive, je reviens les gars « . Il court vers le chien de la dame et crie « Speedy ! « , s’assoit par terre et joue avec lui pendant que la maîtresse finit tranquillement sa clope. Il se relève, tape dans ses mains, se tape sur les cuisses, rejoint ses potes à vélo.
Les oiseaux
Un papa avec un bob blanc passe , sa fille court en gazouillant pendant qu’une autre petite fille en caleçon rose fait des roues sur le chemin.
Un couple (blonde à baskets roses, brun à blouson de cuir noir) passe. le brun crache par terre.
Deux mômes à vélos, un peu plus âgés que la première bande, passent en levant la roue avant. Les quatre plus petits repassent en sens inverse. Les grands appellent : « Jamel! »
Un avion passe. Les oiseaux chantent plus fort et plus aigu.
Les petits à vélo semblent avoir un problème de crevaison. Ah non c’est bon ils repartent.
Concert d’oiseaux avec des rythmes de plus en plus rapides.
Un avion encore.
On entend la route en fond sonore.
Discussion animée sur les balcons des immeubles de derrière. Bruit de store.
15h12
La route
Les oiseaux
La route
Les oiseaux la route
15h14
Les jeunes repassent en levant la roue,deux fois.
La porte de la cabane s’ouvre, Bernard et trois jeunes jettent des planches.
On entend un rire aigu à l’intérieur.
Une petite fille en rose passe en se tenant le ventre dans l’embrasure de la porte.
Le couple de la blonde et du brun est revenu et zigzague entre les tables de pique-nique.
Une femme en pantoufles roses passe avec son chien.
Petits gazouillements et croassements de corbeau.
Le couvercle des poubelles qui claque.
Une vieille femme en rose passe l’aspirateur sur son balcon au milieu des chaises en plastique vert-kaki.
Des mésanges sautent et sortent à toute berzingue des buissons.
15h21
Deux petites filles et un petit garçon passent sagement en ligne sur le chemin. La bande des petits à bicyclettes/ trottinettes débarque et les suivent en levant les roues.
Un avion au loin.
Un vieil homme, les mains croisées derrière le dos, veste de costume, béret noir, moustaches blanches avance lentement sur le chemin, yeux baissés.
Bernard et les trois garçons discutent autour d’un verre dans la cabane.
Bruit d’aspirateur qui sort de l’immeuble.
15h25
La route
Un moineau sautille sur les escaliers
Bruits d’aspirateur
Trois oiseaux s’envolent d’un grand arbre sans feuilles.
15h27

en 2 CV et en bus

(On nous dit : « Ecrivez ! ». Et me voilà à penser que je n’ai rien à dire, comme certains des habitants que l’on va rencontrer. « Ce sera sur le blog ! » Et me voilà à avoir peur comme si j’avais une caméra devant le nez.)

Le matin : porte-à-porte à Bois-Gentil. Des fleurs partout ; des portails-qui-font-iiiii ; des écriteaux « Attention au chien et au patron » ; et souvent des gens très accueillants qui jouent le jeu malgré l’incongruité de nos demandes. (Je n’ose pas parler de cette femme qui dit être trop triste pour aimer les chansons.)

L’après-midi : balade vers Gratapaille et la Brasserie des Sauges, la caméra à la main, pour des rencontres au hasard. Beaucoup ont vu le quartier pousser au milieu de la campagne : aujourd’hui, d’ici, on ne voit plus le jet d’eau de Genève. Quand on mentionne le futur éco-quartier, c’est d’abord les sourcils qui disent « eh ben ! ». (J’ose à peine parler de cette femme qui déteste l’endroit où elle vit. Mais tant qu’elle reste là, les loyers n’augmentent pas. Bouger de là est au-dessus de ses moyens, bien qu’elle n’y soit pas bien.)

Enfin : rencontre avec M. Stramke. Avant l’entrevue, il avait un peu peur de la caméra et de ce qu’il pourrait bien raconter. Il est parti en Inde en 2CV (!), mais a gardé l’humilité d’avoir peur d’en parler devant une caméra. (Moi, je vais aux Bossons en bus et prétends l’écrire dans un blog.)