on a chanté

L’invitation incite à prendre le tract. On se dit qu’il faudrait aller jusqu’à la prison, pour voir le canapé en bois. Dans les pavillons, et les jardins potagers, il y a mille personnes à rencontrer. Il faut qu’on arpente le quartier en petit groupe, quitte à ne pas tout filmer. On doit se libérer de quelques codes de l’école. Vriller notre regard. On est tout autant sur le sensible que la performance. On a chanté à la brasserie, on a trouvé le bon mood. On était à fond et le public aussi. Si on forme des plus petits groupes, on va gagner en spontanéité. Cela va s’affirmer au et à mesure. On est là pour chercher, faire des essais. Prendre du plaisir. On se pose pour l’instant beaucoup la question de la présence de la caméra. On va tenter de faire sans de temps en temps puisque l’idée forte de la Veillée, c’est d’abord la rencontre. Le temps de rencontre avec les gens. A la fin de l’entretien avec Jacqueline, on a continué à discuter, c’est ça qui compte aussi, ce temps là de conversation, d’échanges, que ce soit filmé ou pas. On se dit qu’au fur et à mesure les habitants du quartier vont parler de notre présence, le bouche à oreille va se mettre à fonctionner et les gens sauront très vite qui on est.

La vie normale

Renato Cardone nous explique comment ça se passait ici, autrefois. Entre 72 – « septante-deux parce que soixante-douze, intellectuellement, ça demande trop d’efforts » – et 95. Comment une quinzaine de jeunes familles se sont regroupées, naturellement. « Il faut bien s’imaginer qu’ici, avant, il n’y avait rien. Même pas une cabine téléphonique. » Alors les soirées se sont improvisées dans le parc, devant les immeubles. A chaque fois un autre thème. Et on déguisait les enfants. Des italiens, des espagnols, des suisses, des canadiens et même des suisses-allemands… Ca a toujours été très mélangé ici.

L’œil qui brille de malice à l’évocation des souvenirs.

Parce qu’il faut se représenter. Imaginer. A l’époque, ces appartements, ces immeubles, c’était le rêve (« on est venu récupérer une cuisinière chez un ami et tous les deux, on a eu le coup de foudre »). Et les parties de foot. Les enfants qui jouent dans l’herbe. Le besoin d’un lieu pour partager parce que l’hiver venu, le parc ne suffit plus et les appartements sont trop petits pour recevoir tout le monde. L’idée d’un bistrot dont on dessine les plans à la craie, sur le sol. Finalement l’arrivée de la baraque de chantier ; le centre de loisir. C’était formidable. Une vie normale qu’on peut partager. Simplement.

Et maintenant ? Un coup d’oeil au centre de loisirs qui n’a plus rien d’une baraque de chantier; les enfants qui jouent toujours dans l’herbe… et nous observent.

première dérive dans le quartier des Bossons

Une dame étend son linge dans son jardin. On engage la discussion, elle nous dit à quel point elle est heureuse de vivre dans ce quartier, elle sourit. Le matin, ce sont les oiseaux qui la réveillent. Et les primevères poussent comme ça,  » paf !  » toutes seules, rien besoin de faire. Elle aimerait bien rester le plus longtemps possible, car c’est un quartier « d’exception », avec des « gens d’exception ». Les maisons sont transmises au sein des mêmes familles de génération en génération. Elle adore vivre ici. Mais le loyer est cher, elle devra peut-être s’en aller un jour. En tout cas son petit chien blanc est tout content de nous voir. Lui non plus ne semble pas avoir envie de quitter le quartier.

Après, on rencontre Jacqueline Audemars. Sa belle villa rose aux volets verts se remarque tout de suite. L’intérieur de la maison est aussi fleuri que son beau jardin. Il y a un coin avec une quinzaine d’orchidées qui prennent le soleil, Jacqueline a la main verte. Arrivée ici en 1955, Jacqueline a vu le quartier se transformer, les immeubles pousser tout autour de sa maison, bouchant peu à peu toute la vue qu’elle avait sur le Jura, les montagnes, le lac. Mais ça ne la dérange pas, et elle accepte très bien ces changements. Elle regrette seulement un peu que les gens ne se rencontrent pas autant qu’ils pourraient.

Jacqueline a été longtemps très active au sein du quartier, notamment à travers son engagement intense au sein de la Société de Développement du Nord. Aujourd’hui, elle fait beaucoup moins de choses, parce que « ce n’est plus de [son] âge », mais elle continue d’écrire la Gazette du quartier, qu’elle met elle-même en page avec son ordinateur. Elle nous montre les derniers numéros de la Gazette. Un des articles est signé « Jacqueline et Archibald ». Archibald c’est son chat, un chat aussi élégant que le prénom qu’il porte, et qui est venu se faire caresser sur nos genoux sans problème. « Il aime beaucoup les visites » nous confie sa maîtresse.

Jacqueline nous parle du quartier, qu’elle adore, des combats qu’elle a mené au sein de la Société de Développement du Nord, de la cantine qu’elle a mis en place pour les enfants du quartier, des spectacles de Maurice Béjart qu’elle aime beaucoup, des « repas-saucisse » qu’on organisait avant dans le quartier. Au-dessus d’elle, il y a des photos de ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants. Mais elles ne sont pas actualisées, « ils ont tous beaucoup changé » nous avoue-t-elle. Heureusement, elle s’est inscrite sur facebook, qui est d’après elle un excellent moyen d’obtenir de belles photos récentes !

On boit un jus que Jacqueline nous offre gentiment, et on re-décolle. Sur le chemin du retour, on rencontre trois ados: deux garçons qui se font « maltraiter » par une fille, qui se tient derrière une caméra. On n’est pas les seuls à faire un film ici !

Marianne

Marianne c’est notre rencontre de ce mardi 14 avril.
C’est une petite dame, qui du haut de ses 80 ans tassés nous aborde avec une énergie et une aisance débordantes.

Marianne c’est un tailleur bleu roi, des collants chair un peu rose, des boucles d’oreilles en or en forme de ce qui semble être des roseaux et une broche, en or elle aussi, attachée à droite de son veston.
Ce sont des cheveux bruns, courts et brushés, des lunettes de soleil beige et noires et des taches de rousseurs.

Marianne c’est de longues années au quartier Bossons, des descentes de luge dans les rues mais c’est aussi de nombreux voyages sur des pétroliers et bien d’autres lieux.

Marianne c’est notre rencontre de ce mardi, et c’en est une très belle.