Veillée # Lausanne (école de la Manufacture)
dérive au quartier
Aujourd’hui, il pleut. Je marche dans le quartier, me perds un peu.
Le long de la route, un champ. Un couple y cueille des pissenlits pour faire des infusions, ils sont à porté de main et n’ont pas « le goût de la pharmacie ».
Un peu plus loin, une petite baraque en bois. Un jeune homme est assis devant, il mange. Je lui demande mon chemin, il m’invite à entrer.
A l’intérieur des femmes, elles ont cuisiné, et me servent un repas.
Elles me regarde manger, échange des mots dans une langue inconnue et rient entre elles.
Je reprends ma route, je rencontre un chat, il me grimpe dessus.
Je me dirige vers la prison, et découvre un magnifique quartier de maison en bois. De l’intérieur de la première se dégage une musique. Quelqu’un joue du piano, je m’arrête pour écouter.
Puis je vois un immeuble, j’ai envie de monter sur le toit pour voir le quartier d’en haut. Je m’approche, un homme sort et me tient la porte. « Bonjour ». Devant moi des escaliers, je les emprunte, longtemps, treize étages. J’aperçois une trappe, tire dessus, elle s’ouvre et une échelle en descend. Ça fait du bruit, je regarde autour de moi, je suis entouré de portes d’entrée et sur chacune d’elle, un judas. Je me sens observé.
En partant du quartier
Perception
Liste « atmosphère »:
I) devant le centre de quartier à 15h02:
– toux grasse d’une vieille dame aux cheveux longs et gris qui promène son chien.
– deux pré-ados se promènent en VTT.
– deux autres pré- ados jettent des objets à la poubelle.
« Oh! Si on f´sait une pêche aux canards? »
Ils trouvent une table cassée. « Oh mais cette table elle est vraiment niquée ». Ils retournent à l’intérieur du centre.
– Des petits, 4 garçons (3 vélos et 1 trottinette). L’un s’est arrêté pour caresser le shi-tzu (petit chien) d’une voisine.
– un garçon en vélo attend ses deux petites sœurs et son père. Le garçon et la plus grande des deux sœurs sont noirs, le père est blanc, la petite est métisse.
Cri de la petite qui court après son grand frère qui roule à vélo.
– le soleil sort, il y a quelques minutes il pleuvait. Chant d’oiseaux.
– un jeune couple marche main dans la main.
– deux autres pré-ados qui font du rodéo avec leurs vélos. Ils appellent Kenan qui sort du centre pour jeter un truc à la poubelle, il les regarde et re-rentre dans le centre.
– les 3 vélos et la trottinette sont à nouveau là, discutent un moment puis partent plus loin.
– un temps où on entend des enfants jouer et crier plus loin, personne en vue. Les oiseaux sont aussi excités que les enfants.
– une dame rentre de Denner avec son cadis et un homme traverse le parc à jeu pour rentrer chez lui.
– bruit d’une bouteille en plastique qui s’est regonflée dans une poubelle.
– les rodéos repassent dans l’autre sens.
– une femme ouvre la fenêtre de son balcon, aspirateur en marche, et se met à passer l’aspirateur sur sa terrasse.
– la bande à Kenan accompagnée de Bernard continue à jeter des trucs dans les grosses poubelles du centre.
– le jeune couple de tout à l’heure passe devant le centre et se dirige vers la rue où il y a le bus 21.
– corbeau qui croisse. 15h18
– une vieille dame habillée tout en jean, un parapluie suspendu à son bras gauche et un Yorkshire ( autre petit chien) en laisse dans sa main droite.
– deux oiseaux surexcités, partent déclarer leur joie plus loin.
-deux petites et un petit gars passent, sont rejoint par le groupe vélos+trottinette. Deux autres petites les rejoignent en courant. Puis disparaissent derrière les bâtiments , sauf une des dernières gamines qui va s’installer à la balançoire.
– un papy avec un béret et une veste de costume marche, les mains dans le dos. Il jette un regard vers Cécile et moi.
15h18
II) à côté de la prison: 15h55
– bruit d’un moteur, engin genre pelleteuse avec bruit de ferraille déplacée. Ça vient de la prison?
-chant d’oiseaux venant de la forêt derrière moi.
– on entend, de manière très lointaine des mecs se parler (pas loin du moteur sans doute).
– pigeon qui roucoule.
– la prison est à l’ancienne avec un mur de pierres et des barbelés tournicotés au sommet du mur.
– son d’une cloche (il est 16h)
– une camionnette se poste devant nous et une dame en bleu de travail en sort.
» 13?! »
« Non, non je pense pas. » Une voix d’homme lui répond.
– il fait gris et il pleuvine, j’ai l’impression d’être dans « Shutter Island » ou « Le Papillon » avec Steve Mc Queen.
– l’homme et la femme sortent des panneaux:
Panneau de stationnement
J’ai l’impression que sous les panneaux il y a marqué « police ». Ils les chargent dans le camion.
– à côté de nous, la seule cabane non habitée en bois a un tag : « pute » dessus.
– les travaux avec la pelleteuse sont dans la cour de la prison. On voit le reflet par les vitres de la prison. Dont un homme qui fait les travaux avec un gilet orange fluo dans la cour. 16h10
– sur le mur de la prison : » c’est aujourd’hui qu’il faut cueillir ce que demain viendra flétrir… »
– en rentrant, un papa avec son gamin qui est dans une voiture électrique (avec des phares qui s’allument). Ma voiture c’est une Audi R8 spyder.
avant d’offrir la chanson, dernière répétition
Pas de porte
On allait offrir notre première chanson. Femme des années 80. Ca devait être un signe. On était 4. Accompagnés de Jean-Baptiste, la caméra encore dans le sac. Votre maman est là ? Elle est malade ? Une chanson, ça vous dit ? On a changé de chanson. Un chant africain, c’était quand même plus adéquat pour deux gosses de 8 ans. Elles ont écouté, comme ça, simplement. Elles ne nous ont pas lâché des yeux. On s’est étonné de la belle résonance de la cage d’escalier. La chanson s’est terminée, plus qu’on a terminé la chanson. Un quart de seconde, ça a duré. On était soulagé parce que c’était la première et que ça s’était bien passé. Elles avaient l’air contentes. Franchement. Sans plus. Mais pas moins. On les aurait bien filmé, comme ça, devant leur porte d’entrée. Jibé a dit qu’elles étaient pile dans le cadre. L’espace d’un quart de seconde, on avait tous été pile dans le cadre. Pas de trace de ça. Tant pis. Tant mieux. Une rencontre qui n’a pas cherché à être autre chose que ce qu’elle était exactement.
on a trouvé la maison bleue accrochée à la colline
Inventaire (2)
Entre la prison et le bois Mermet, 16 Avril de 15h55 à 16h12
15h55
Des petites maisonnettes en bois coloré, des jardins plein de primevères qui jouxtent les murs surmontés de barbelés. Sur la prison trois fenêtres teintées qui reflètent des bribes de ce qui se passe dans la cour du bâtiment.
Bruits d’oiseaux, de coucous, de moteurs.
Le reflet d’une pelleteuse traverse les vitres teintées.
La cheminée de la prison qui fume. Un avion qui passe au dessus. Ciel gris.
Des voix d’hommes.
Un coucou.
Devant nous des moteurs et des hommes qui crient, derrière les cloches sonnent seize heures et les oiseaux gazouillent.
Un avion.
Bruits de déchargement d’un camion.
Voix d’hommes.
Coucous.
Dans un périmètre grillagé au pied du mur de la prison, une femme, sourcils froncés, ouvre un local en taule bleue et crie : « Treize! ». Bruits de déchargement. Elle sort un panneau indiquant : » interdiction d’entrer, police. »
Les cloches re-sonnent.
Bruits de moteur.
La femme revient, farfouille dans le local. Bruits de tôle. Elle sort deux panneaux « interdiction d’entrer, police ».
Un homme en tenue de chantier jaune flash passe sur la petite route venant des maisons en bois. Il passe derrière nous et continue la route qui descend vers le bois.
Bruits d’oiseaux et de moteurs.
La femme aux sourcils charge des panneaux et des barrières dans un camion blanc.
Petite pluie.
16h07
Un homme, immobile depuis 15h55 à la fenêtre centrale de la prison part, puis revient, se pose quelques secondes devant les grillages, repart, puis revient, puis repart.
Reflet de pelleteuse et d’hommes en tenues oranges dans les vitres teintées.
16h12
Alsina et Andréa
Rencontre avec Alsina Reis et Andrea Maul du quartier des Bossons
Cette après-midi,rencontre avec Alsina Reis et Andrea Maul. L’une concierge aux Bossons, et l’autre infirmière à la retraite. L’une originaire du Nord du Portugal et l’autre de Constantine. L’une qui hésite à accepter la caméra à cause de son accent, l’autre qui nous raconte le temps ou elle chantait de la variété française dans les bals à Paris et n’hésite pas à déclarer à ses voisins que « si sa mère lui a fait une langue c’est bien pour qu’elle s’en serve ».
Autour du thé et des petits gâteaux elles nous racontent d’abord l’arrivée en Suisse, la froideur apparente des gens, le calme déconcertant, le besoin de retourner régulièrement voir des orientaux pour Andrea, comment elles se sont habituées à la Suisse et ne se considèrent ni réellement Suisse ni réellement Portugaise et Algérienne, comme il est encore plus difficile aujourd’hui pour les jeunes d’obtenir un permis et un travail, comment être concierge permet de rencontrer des gens et d’apprendre la langue.
Puis commence un récit haut en couleur sur la vie quartier. Tour à tour riant et s’indignant elles nous racontent la vie en communauté : les suisses mais surtout les algériens, marocains, tunisiens, albanais, portugais, éthiopiens,espagnols… qui partagent des grillades sur le terrain de foot en musique , la police qui intervient pour arrêter la musique, les menaces entre les voisins, les procès, les ateliers gym et cuisine à la cabane qui réconcilient, celui qui lave son fusil sur le balcon pour faire peur aux jeunes, celle qui prêche pour Jéhovah, celui qui prend tous les voisins en photo, la ribambelle d’enfants qui grandissent toujours plus vite, les très importantes promenades de chiens. Selon Andrea quand on est jeune on se rencontre dehors parce qu’on y emmène les enfants et et quand on est vieux parce qu’on promène son chien.