Rapetissement du temps et de l’espace

Ici, dans la Cité des Provinces, il existe des failles spatio-temporelles.

Hier, nous avons vécu trois saison en une journée : matin hiver, midi automne, soir printemps. Ce matin, on pourrait croire que l’été sera là cet après-midi.
D’une porte à une autre, on a parfois l’impression d’avoir radicalement changé de lieu : quand un habitant nous affirme que son quartier est laid, bruyant et déplaisant, sa voisine nous vante les mérites de ce très beau quartier, paisible et joyeux.
Hier aussi, nous proposons à une habitante de revenir la voir dans une demie-heure pour une petite interview. A notre retour elle dit : « Il y a parfois des minutes qui paraissent des secondes ! »
Au QG, le planning qui affiche un premier rendez-vous cet après-midi à 13h50 indique juste après une intervention à 13h20. Il faudra songer à remonter le temps.

Ici comme ailleurs, on prend conscience que décidément, l’espace et le temps ne sont pas des sciences exactes, ni des phénomènes objectifs.

Inventaire

Je suis partie marcher seule pour comprendre ce qui nous entoure, scruter les détails, tenter l’impossible inventaire des formes de maisons.
Il y a des rues larges au milieu desquelles on peut marcher sans croiser trop de voitures et des petits chemins herbeux entre deux lots de maisons. ça vaut la peine de les traverser pour voir l’arrière des maisons et les formes innombrables d’extensions que les gens se sont faites construire.
J’ai vu des fenêtres murées et des façades fleuries.
J’ai vu au moins deux façades décorées avec des papillons.
J’ai vu des jardins touffus, des presque forêts, des gazons précisément tondus, des pelouses constellées de paquerettes.
J’ai trouvé des endroits où on pouvait entrer, d’autres où je suis restée dehors.
J’ai vu des travaux, souvent.
J’ai vu trois désespoirs du singe.
J’ai vu toutes sortes d’arbres, taillés ou non taillés.
J’ai vu des cuves pour récupérer les eaux de la pluie.
J’ai vu des fleurs, des arbres en fleur, deux personnes qui s’enlaçaient, au loin, au sommet du terril.
J’ai vu des mousses jaunes sur le ciment de l’école et des restes de neige non fondue sur l’herbe.
J’ai vu le ciel du mois de mars.
J’ai entendu des chiens japper dans les maisons, aboyer derrière les haies. J’en ai même entendu un laper bruyamment dans une bassine d’eau.
J’ai vu les trois premiers enfants de l’école sortir en récréation.

Recup TRi (seul on va vite, ensemble on va plus loin)

L’association Recup Tri est née le 1er janvier1993. Tous les ans soixante dix personnes entrent et sortent de l’association. Il s’agit de redonner aux gens qui ne travaillent plus depuis longtemps goût à l’action. De les motiver. La plupart des gens qui viennent à l’association est au RSA et à la CMU. Didier et Alain que nous avons rencontrés ce matin sont respectivement directeur et encadrant à Récup Tri. Il s’agit de permettre aux gens de remettre le pied à l’étrier. Plus de 50% des gens qui sortent de Recup Tri ont retrouvé du travail en CDI ou en interim ou alors partent en formation. Le maître mot de l’association, c’est la confiance : Faire confiance, donner confiance, avoir confiance en soi.

Didier suit les gens sur les chantiers qui apprennent au jour le jour les différents aspects du métier du bâtiment. Au début de chaque embauche à l’association, les personnes (hommes et femmes) sont initiées à la polyvalence. Les ouvrier-e-s sont formé-e-s dans différents domaines. On peut être à la fois plaquiste et soudeur…

Sur la cité des Provinces, le partenaire de Recup Tri est l’entreprise Bouygues qui rénove toutes les maisons du quartier. C’est le PLI (pôle local à l’insertion) qui mis en relation Bouygues et Recup Tri sur ce chantier, après un appel à candidatures. Pour Alain et Didier, il est essentiel que les ouvrier-e-s de l’association soient directement en contact avec des ouvriers qualifiés qui travaillent dans une grosse entreprise. Pédagogiquement cela a un effet déterminant. Les gens réapprennent au contact des autres les réflexes et le rythme du travail. En général, précise Alain, c’est une découverte pour les uns comme pour les autres. Les gens apprennent à se connaître par le travail et cela est bénéfique pour tout le monde. Les un-e-s sont fiers de faire passer leur savoir faire et les autres sont fiers de la confiance qu’on leur accorde et retrouvent les joies du collectif, et l’estime de soi.

Recup Tri 2

C’est un retour progressif dans la vie active. Certaines personnes n’ont jamais travaillé de leur vie. Les gens qui viennent à Récup Tri restent entre 7 mois et 24 mois. En moyenne, il sortent au bout de 9 mois car ils ont retrouvé un travail qui leur plaît. Les gens sont guidés dans leur recherche de travail par des conseillers en orientation qui travaillent pour Récup Tri et aident les personnes en fonction de leur désir et du marché du travail. Il faut savoir, nous dit Alain, que certains ont connu des chutes vertigineuses (socialement, individuellement) et qu’ils supporteraient difficilement que ça recommence une deuxième fois. Il faut que l’association soit à l’écoute de ses travailleur-e-s, pour ne pas commettre d’erreur d’aiguillage. La suractivité, la polyvalence des gens dans l’association permet à chacun de découvrir des métiers et de choisir à bon escient. Pendant le temps de leur présence à Récup Tri, les gens se retrouvent dans beaucoup de corps de métier différent. Quand les gens arrivent à Récup Tri ils font des semaines de 26h, et puis de semaine en semaine, cela va évoluer pour arriver à 35 heures. Chacun-e- retrouve au fur et à mesure un rythme de vie normale. Alain et Didier nous disent qu’il est faux de penser qu’il faut être qualifié pour trouver du travail, tous les deux nous disent que ce qui compte le plus, c’est la confiance et être motivé.

L’association dispose d’un encadrant pour cinq personnes. L’association est à but non-lucratif donc l’argent est systématiquement réinvesti dans l’achat de matériel et l’embauche de nouveaux encadrants.

Pour Alain et Didier, l’insertion est une vocation. On devient militant de  l’insertion vers 40 ans quand veut changer de métier, bifurquer. Les gens travaillent en moyenne sept ans à Récup Tri ou dans l’insertion en général. Alain et Didier voulait travailler dans le social après avoir passé des années dans l’industrie.