C’est mieux tout de suite

Fanny Chlebowski et Delphine Pieru sont enseignantes à l’école maternelle de la cité des Provinces.
Fanny a grandi ici, elle a été élève dans l’école où elle enseigne aujourd’hui, chez les moyens grands.
Delphine a grandi pas loin, dans une autre cité minière. Elle a la classe des grands et le poste de directrice, depuis huit ans.
Dynamique elle-même, elle a pris la suite d’une autre directrice dynamique.
Toutes les deux apprécient le quartier, pour son histoire et pour son dynamisme, auquel elles contribuent fortement: elles impliquent les parents dans leur enseignement, les invitent à venir voir ce que font les enfants (c’est en ce moment même la semaine de l’école maternelle et ce matin, sept parents sont venus en classe avec leurs enfants), elles organisent des cafés pédagogiques pour parler tous ensemble de la parentalité: on est parents aussi, et ‘il y avait une éducation parfaite, ça se saurait et ça serait facile. Alors on se rencontre et on se raconte, on échange des idées, des conseils. Il s’agit bien là de partager et non pas d’enseigner en retrait de la vie, hors du monde. D’ailleurs, en hors-temps scolaire et avec un groupe de parents motivés, elles ont créé Cartoons. L’association s’inspire des activités de l’amicale, qui proposait une foule d’activité sur le quartier. Pour le moment, ils accueillent les enfants chaque premier mercredi du mois, mais ils comptent sur la fin des travaux pour que les effectifs grossissent à l’école (parce que pour le moment, en vidant les maisons, on a aussi vidé l’école et ce sont plusieurs classes qui ont fermé, depuis trois ans).
Fanny et Delphine, comme tout le monde ici, sont fières de leur passé minier. Elles regrettent que cette histoire ne soit pas plus transmise aux enfants et tentent de pallier à cela dans leur enseignement.

Écouter, parler, rénover

On a rendu visite aux peintres de Récup’Tri.
C’est Didier qui nous guide. Il nous emmène de maison en maison à la rencontre de ceux qui travaillent avec lui. L’entrepreneur principal, qui gère les travaux à la cité des Provinces sous-traite certaines étapes de la rénovation. Ceux de Récup’tri s’occupent des murs: ils ratissent (c’est le mot que Didier emploie pour dire « enduire », parfois jusqu’à quatre couches pour avoir une finition parfaite), ils peignent les portes en bleu et les cloisons en blanc (une autre société s’occupe des murs donnant sur l’extérieur et des plafonds). Didier est à la fois chef de chantier et travailleur social. Ceux qu’il emploie sont là en réinsertion professionnelle, après une longue période de chômage ou après avoir connu la rue. Didier s’occupe d’eux. Il les écoute et il leur parle, il nous dit qu’il faut prendre le temps de ça, leur apporte le café le matin, valorise la qualité du travail plus que la quantité.
On a la chance de voir les maisons à plusieurs stades de la rénovation: le premier nettoyage des murs (ils ont même découvert, sous les couches de tapisseries, une première strate qui date des mines, couverte du papier journal d’époque – une vraie archéologie), le ratissage (après avoir comblé les trous dans les murs, on enduit jusqu’à obtenir le lisse à la perfection), la peinture. Didier explique: pas une maison n’a les mêmes dimensions. Pour eux, ça ne change pas le travail. Par contre, pour ceux qui posent le placo ou les fenêtres, il faut à chaque fois prendre de nouvelles cotes, s’adapter en permanence – un vrai travail d’architectes.
Didier prend visiblement un grand plaisir à son travail. La dame et les messieurs que nous rencontrons sont tout à leur tâche, mais ils prennent aussi le temps de nous parler et de répondre aux questions qu’on leur pose, même les plus farfelues.

Danser à Intermarché

On a fini par Intermarché. Hier soir, on voulait aller à la sortie du lycée distribuer quelques flyers-invitations et faire les portraits-citations (on demande aux gens de poser quelques secondes devant la caméra avec une citation sur une feuille A4), mais ça n’a pas été possible à cause d’un coup de feu intempestif dans le quartier qui a semé la panique et la peur. On a cherché un autre endroit, Marie S., Damien et Lucien sont allés au centre commercial Intermarché sur la route de Béthune, à la sortie de la Cité des Provinces, demander l’autorisation de filmer et danser dans la galerie marchande du supermarché. On y est tous arrivé quarante minutes plus tard. On a trouvé une place entre deux magasins (pour ne pas gêner le commerce) et on a étalé nos citations comme un stand de petites phrases poétiques. Marie L. et Mourad ont dansé. Et tout le monde a distribué des prospectus en invitant les clients à s’emparer d’une citation, pour participer au film-spectacle. Camille, qui réalise un doctorat sur la culture et le territoire à l’université d’Arras, nous a accompagnés durant tout l’après-midi. Elle a fait du porte à porte avec Marie S. et Lucien et participé à notre action à Intermarché.

Recup Tri, leçon de vie

Tous à la tâche. Partout dans la cité des Provinces. Danses à la sortie des écoles et dans les cours de récréation. Rencontres et conversations filmées avec les ouvrier-e-s de Recup Tri sur les chantiers des maisons en rénovation de la cité des Provinces. On regrette le temps des mines. Pour quelques un-e-s, la fin de l’industrie minière correspond à une transformation radicale du territoire et la perte de valeurs sociales, de convivialité et de camaraderie. On leur a demandé si ils auraient accepté d’être mineur de fond. Tous nous ont répondu par l’affirmative. Certains nous font bien comprendre que si pour eux la vie n’a pas toujours été facile, parce qu’ils ont eu beaucoup de mal a trouvé un travail stable, une vie stable, tout aurait été différent s’ils avaient été mineurs. La fermeture des mines est une catastrophe économique et sociale dont le territoire et les hommes et les femmes du bassin minier du Pas de Calais ne se sont pas remis. Didier C. d’Hvdz dit que nous sommes l’avant-garde de ce que deviendra le pays dans les décennies à venir si on ne change pas de société, de système. Quitte à transvaluer nos manières de vivre ; nos vies valent mieux que les profits des capitalistes. Passer du pouvoir de l’argent et de la consommation à la recherche de formes de vies plus justes et égalitaires, basées sur l’épanouissement et la qualité de vie de chacun. Une vie fondée par l’échange, la générosité et le partage.