des chips dans la voiture-carnets de route-

Hier on est allé à Dunkerque où on va beaucoup travailler dans les deux prochaines saisons. Veillées, Portraits, Instantanés.  Atomics. Avec les habitants de Dunkerque et des villes alentour, la scène nationale, le Bateau Feu. On a rencontré la directrice et le directeur-adjoint de la scène nationale. Le théâtre de Dunkerque sera refait dans les deux années à venir. C’est un bâtiment des années soixante dont les architectes veulent préserver l’originalité mais  la reconstruction va nécessiter beaucoup de travail. La scène nationale  a décidé durant ces deux prochaines saisons de travaux d’aller à la rencontre des habitants, des populations de toute l’agglomération dunkerquoise. Profiter du chantier pour partager le plaisir de la reconstruction-construction d’un théâtre avec les habitants à travers des initiatives artistiques qui mettent les gens au coeur des créations… On est resté des heures à parler, imaginer cela. On s’est passionné. On ne voudrait rien rater, ni personne…

On a rencontré Olivier Menu dans le hall du théâtre qui intervient dans les écoles de la ville avec un spectacle de quinze minutes. Un impromptu qui vient s’immiscer dans une classe. Une poésie-discussion pour décaler, disturber une heure de cours. Habiter poétiquement l’école. On a travaillé avec Olivier sur un spectacle du Ballatum qui s’appelait Si tu me quittes est ce que je peux venir aussi?  On chantait derrière un bar à la claire fontaine… en prenant des babas au rhum dans la figure… Olivier disait i want to make with you a little promenade. On baissait nos pantalons et on courrait, le pantalon sur les chevilles, dans tous les sens en prenant des positions d’ hommes musclés. En grimpant comme on le pouvait sur des chaises.

On est sorti du théâtre, il faisait nuit et il neigeait. Sandrine a raté son train. On a mangé des chips dans la voiture.

la lawe-carnets de route-

On est revenu sur le pourquoi, sur le comment on fait les choses etc. On a envoyé un courrier à tous les participants aux Atomics. On a revu Olivier avec qui on avait travaillé d’abord avec Anomalie, puis sur les Sublimes et puis Base 11/19. Il est en ce moment avec Mahmoud en répétition à la Base 11/19. On appris que les Désaccordés avec qui on a fait C’est pour toi que je fais ça revendaient leur chapiteau. Quand on s’est remis à imaginer  ce qui aurait pu se passer à d’autres époques de la vie si on avait fait ceci plutôt que cela, on s’est dit qu’il fallait aller prendre l’air. Pour le coup le long de la Lawe. Qui a beaucoup baissé de niveau parce que deux semaines plutôt elle allait déborder s’il continuait à beaucoup pleuvoir. Depuis de longs mois il y a une petite maison à vendre près de la rivière à côté le centrale électrique. Entre Gosnay et Bruay. Il y a une chèvre et un cheval dans la petite pâture. Hier soir on a vu beaucoup de monde à la première représentation du spectacle de la compagnie Ta Zoa. Le gradin de la Fabrique était plein. Le spectacle a du succès. C’est la fin d’Eva Peron revu par Copi. C’est caustique et très drôle. On ne voit pas le temps passer. On a vu Christophe Moyer qui revenait d’une représentation donnée de Naz, spectacle sur des jeunes du Pas de Calais et du nord qui dans la désespérance trouvent refuge dans les idées haineuses et identitaires de l’extrême droite nazie. Et puis on a ramené Sandrine à Aix Noulette. Aujourd’hui on va à Dunkerque. Pour parler des Veillées et des Atomics. Il y a un an à cette même époque, on faisait la Veillée d’Hazebrouck. A l’ espace Flandres. Avec le centre Malraux.

Quoi de neuf -carnets de route-

Les flashes lumineux au dessus des éoliennes passent du blanc au rouge pour la nuit. Quoi de neuf? C’est ce qu’on se dit, chaque jour. On a évoqué le livre de Houellebecq qu’on s’était promis de ne plus jamais lire. Mais c’est comme une pulsion on ne peut pas s’empêcher  d’y jeter un oeil. Il y est question d’art contemporain de Hirst, Kunst, Nitsch… On a lu un article dans Tout est à nous sur Armand qui parlait du plaisir morbide de la bourgeoisie à l’exposition de la misère et du pourrissement. On a parlé du prix des places pour les Atomics. Et de la compagnie idéale encore. On a tellement changé d’avis au sujet des Atomics. C’est un laboratoire. C’est un spectacle. C’est une étape. Une première phase. Atomics, Phase 1. Qu’est ce qu’on fait là? On a terminé la carte comm. Cette semaine faut finir les dossiers de subventions. Et puis cette semaine, c’est aussi la première représentation publique d’Eva Peron, par la compagnie Ta Zoa à la Fabrique. Copi.  Ce soir Bernard Stiegler donne une conférence à Valenciennes. Au Phoenix. Bernard Stiegler est venu l’an passé à Culture Commune pour parler avec nous du Louvre et des relations de l’art avec les populations. Il disait Culture Commune doit être un lieu privilégié de fabrication d’utopies ouvert aux artistes, aux écoles et aux universitaires. Qui travailleraient sur Le Louvre. Pour que le Louvre réussisse son entrée dans le bassin minier.

tomates -carnets de route-

On prend nos marques pour les Atomics. On a lu Tomates de Nathalie Quintane. On a eu pas mal de commentaires des lycéens de Béhal. Le prochain lycée c’est Van der Mersch à Roubaix avec le Grand Bleu et la Condition Publique. Et Culture Commune. L’année dernière, on a travaillé à Tourcoing sur la quartier de l’Epidème avec Pascale Debrock. Elle a fondé la Condition Publique. Quand on a connu la Condition Publique à Roubaix, on y allait un peu comme on allait aux débuts de l’Aéronef à Lille. Tout était jeune et nouveau sous le soleil. On se souvient d’un groupe de musique City and the Crimes Solutions. A l’Aéronef. Nina Hagen revisitée. Avec Nicolas Robichez et Jean Pascal Reux. C’était quelques années après la création de Kontakthof de Pina Bausch. On a vu Rêves Dansants dans un cinéma à Nantes. Le film de la reprise de Kontakthof par des adolescents de la banlieue de Wuppertal en Allemagne. Avec les lycéens à Behal, on a refait un peu des Rêves Dansants.

montréal-carnets de route-

On a fait une petite réunion vendredi après midi pour avancer sur les projets comme on dit. On s’est penché sur la réalisation des cartes de communication des Atomics. Choisir une photo. Revoir le texte qui accompagne la photo. On travaille par Skype. On pratique le télétravail. On devait terminer ce travail absolument ce vendredi. On a envoyé nos dernières modifications à Culture Commune qui édite la carte de communication vers 19h. Les semaines qui viennent sont chargées.  Il va falloir doser son énergie. Pour éviter la trop grosse fatigue. Pour ne pas se disputer. Parce que nerveusement faut tenir la route. Parfois quand on n’en peut plus à cause de la fatigue, les broutilles-brindilles prennent feu. Une semaine au lycée Béhal c’est formidable. C’est très fort humainement parlant. Mais ça représente des doses intenses d’adrénaline. On voudrait que ça dure toujours et en même temps on n’en peut plus. Quelle chance de jouer de 10h à 17h. Sept fois de suite devant huit cents personnes. On a à peine passé la grille de Behal qu’il faut faire la carte de communication des Atomics et organiser les arrivées, les départs, les logements pour les Atomics et les gens du Pavé. Et le voyage à Stavanger pour les veillées. Et l’île de la Réunion. Parce que mine de charbon (et terrils) de rien on continue à penser à la compagnie idéale et du coup pour limiter la séparation entre les gens qui travaillent au bureau et les gens sur le terrain, on instaure de plus en plus de polyvalence. Tous artistes… Mine de rien comme on dit au Québec, c’est très demandant. D’ailleurs Howard Richard, avec qui on travaille depuis dix ans bientôt, arrive la semaine prochaine… de Montréal. Faut bien penser à bien l’accueillir. C’est du boulot.

fin d'instantané béhal -carnets de route-

On a pris beaucoup de plaisir à faire notre travail au lycée Béhal. Faut dire qu’on y a été bien reçu. Que Nathalie Baraka et ses collègues professeurs ainsi que nos camarades de la compagnie et de Culture Commune ont  préparé et organisé notre venue avec beaucoup d’intérêt, d’envie et d’engagement. On a eu un article dans la Voix du Nord et un autre dans Nord Eclair. On a eu un monde fou aux différentes représentations. Près de huit cents élèves. C’est des magnifiques rencontres. Des rencontres entre des mondes, l’art et l’école qui mettent les élèves et les étudiants au coeur de la création et qui sont rares. Rares parce que d’une émotion rare. Après des années de théâtre, de cirque, de danse… on se dit qu’on a trouvé son travail. Parce que qu’on y trouve du sens. Et de la passion. Et si on pense à la compagnie idéale, à ce moment là, on la touche du doigt. Peut être. C’est ce qu’on fait, qu’on est en mesure de donner et par ce qui nous est rendu, renvoyé qu’on sent si on s’en rapproche ou pas. On se sent un coeur à aimer toute la terre. Quand on sort du lycée Béhal le dernier soir de notre résidence après avoir quitté le lycée après la dernière représentation de l’Instantané Béhal…

frédéric lordon (2) -carnets de route-

… Je crois que je suis venu à « l’idée communiste » par inadvertance, en fait, comme si j’avais été victime de mon propre jeu de mots sur la récommune. Récommune est le nom qu’on devrait donner à toute ollectivité productive : car de même que la république est la res publica – la chose publique, c’est-à-dire la chose qui appartient à tout le monde parce qu’elle concerne tout le monde –, une collectivité productive est une enclave de vie partagée et qui, comme telle, appartient à tous ceux qui la partagent – elle est donc une res communa, une récommune. Je voulais ainsi rendre plus facilement audible l’idée que, si nous reconnaissons sans difficulté la démocratie comme forme de la république, il devrait « logiquement » en aller de même pour la récommune productive. Je pense que j’ai toujours été sidéré par le fait que, dans une époque qui se gargarise d’individualisme et de démocratie, nous acceptions si facilement l’idée que l’entreprise demeure régie par des rapports médiévaux : quelques-uns commandent et les autres doivent obéir. Comment une telle incohérence, une telle injustifiable dépossession est-elle à ce point soustraite à la critique ordinaire ? C’est contre cela que l’idée de récommune est construite. Alors, après, il y a comme une irrésistible logique des mots : récommune, ça donne récommunalisme… ou récommunisme. Et c’est là que je me suis aperçu de où j’étais arrivé. Comme par ailleurs ce qu’il y a de plus intéressant dans le débat intellectuel d’aujourd’hui tient aux diverses revitalisations de « l’idée communiste », je me retrouve, de fait, peu ou prou inséré dans ce mouvement mais presque sans l’avoir cherché… Que les forces anticapitalistes aient si peu de réussite politique en une époque où la délégitimation du capitalisme est évidente à un si grand nombre est un paradoxe qui ne laisse pas de m’interroger. Pour dire le moins…

frédéric lordon -carnets de route-

On ne peut pas ne pas voir qu’il y a une fraction de salariat content et que ceci pose un problème au schéma bipolaire capital / travail. On ne peut donc pas simplement écarter ce problème en invoquant des effets d’idéologie. En fait, depuis la montée de ces salariés bizarres que sont les cadres – ces archétypes du salariat content et mobilisé matériellement du côté du travail mais symboliquement du côté du capital –, le schéma antagonique pur est à la peine. Je pense que le nouveau régime de mobilisation appelle davantage encore à penser plutôt en termes de continuum, et plus précisément d’un continuum d’affects : depuis les plus tristes, pour qui le travail n’est pas autre chose que le moyen de la survie, jusqu’aux plus joyeux pour qui il recèle d’intenses satisfactions. Toute la question étant celle de l’immense effort par lequel le néolibéralisme entreprend de refaçonner le désir des individus comme désir de réalisation de soi par le travail… que les entreprises se proposent précisément de combler. Et pour certains, ça marche ! Au lieu du clivage massif capital / travail, il y a donc toute la variété des situations affectives des salariés, dont certains marchent allègrement pour le capital, et d’autres pas. La situation se complique du fait que, contradictoirement, le néolibéralisme maltraite les salariés comme jamais, au moment même où, par ailleurs, il entreprend de les réjouir. Je me demande d’ailleurs si ça ne simplifie pas la situation plutôt que ça ne la complique car, en dépit de tous ses efforts, le néolibéralisme répand partout de la violence et du mécontentement. Le mécontentement devient trans-groupes sociaux et tend à recréer une configuration de polarisation. La force motrice de l’histoire du capitalisme, ça n’est donc pas le salariat tout court : c’est le salariat mécontent. Et quand le mécontentement salarial atteint un point critique, il n’est pas exclu que l’histoire se remette en marche…

l'année dernière -carnets de route-

L’année dernière pour la pause de la première pierre du Louvre Lens (dire le Louvre Lens et pas une antenne du Louvre à Lens) le Ministre de la culture, le Préfet de région, la Directrice des affaires culturelles sont passés par la Fabrique où on leur a proposé d’assister à la représentation d’un Instantané réalisé avec les élèves et les professeurs du lycée Picasso d’Avion. Tout s’est très bien passé puisque le Ministre s’est fait l’écho de notre travail très longtemps après être venu nous voir, une association et des animateurs qui font un un travail formidable avec des jeunes lycéens. Mais un jour le Préfet nous a demandé de reprendre une partie du spectacle pour le diffuser lors d’un débat organisé à Arras sur l’identité française. Il s’agissait de reprendre quelques images des vidéos du spectacle pour introduire le débat. Qu’allions nous faire dans cette galère? On a tenu bon. On ne voulait pas s’engager dans pareille aventure qui signifiait notre adhésion  à la politique xénophobe du ministère de l’immigration et de l’identité nationale. On a tenu… Enfin on a été sauvé par le gong. C’est le Recteur  de l’académie qui s’est opposé à ce qu’on participe de cette manière à ce débat. Parce que qu’il savait que les personnels  du Lycée d’Avion allaient mal le prendre. Et qu’ils réagiraient. Pour finir on pense que le débat a été annulé.