Celui qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la revivre

Plusieurs habitants de tout âge nous ont raconté les cartes postales de la commune de Croisilles détruite pendant la guerre. Souvent ce récit s’invite dans la discussion lorsqu’ils nous parlent des migrants Soudanais, de leur exode pour fuir la guerre qui ravage leur pays.
Les habitants de Croisilles ont eux aussi été des réfugiés. Eux aussi ont été accueillis dans d’autres régions. C’est l’histoire qui se répète, celle qui inlassablement impose à des individus de tout quitter, leur maison, leur famille, leur vie pour ne pas mourir prématurément.
Pour ces habitants de Croisilles, cette histoire, c’est celle que leur racontait leurs parents, leurs grand-parents… C’est la même !

C’est quoi le secret ?

Zelda et Marie rendent visite à Caroline et Rémi pour une interview sur la maison des habitants.
Au départ, c’était un service jeunesse qui finalement touchait aussi les familles et les personnes âgées. Alors, c’est devenu un centre social culturel qui accompagne les habitants de tout âge à monter leur projet. Il y a aussi la maison des jeunes habitants. « Les jeunes, il faut aussi les laisser faire et être juste là quand ils en ont besoin ».
Les projets d’habitants sont nombreux dans le village. C’est quoi le secret ? : « Quoiqu’il arrive à Croisilles, la maison des habitants n’a pas le souhait de prendre position. Elle crée les conditions pour que les gens se rencontrent et échangent ». Concrètement, comment on fait ça ? : « La Convivialité ! On se rencontre autour d’un café et on discute de sujets importants pour les habitants ».  Parfois, des experts ou des associations sont conviés, comme UFC que Choisir, ou d’autres pour que chacun trouve des réponses à leurs questions ou des solutions à leurs problèmes. A l’arrivée des migrants, ils ont organisé un moment pour que ces nouveaux arrivants aient l’occasion de raconter leur vie, des récits retranscrits dans un livre vendu à 1300 exemplaires, des ateliers cuisines ou un concert avec l’orchestre d’Harmonie de Croisilles… Comme la pierre philosophale, chaque fois un événement se transforme en une aventure belle humaine !

Ghislaine & Nicole – Poutrain & Desailly

Ce matin, nous avons rencontré Ghislaine et Nicole. Sœurs – des vraies jumelles précisent-elles – elles vivent à Croisilles depuis 82 ans. Elles y sont arrivées à l’âge de deux ans, parce que leur papa travaillait à Arras. L’une habite rue de Fontaine, l’autre rue du 24 septembre. Dès le début de l’interview, on ressent leur amour pour Croisilles, et très vite, on s’aperçoit de leur implication dans ce village, de leur ouverture et de leur plaisir à accueillir, notamment depuis 2016, avec l’ouverture de CAES installé dans l’ancienne maison de retraite. L’interview est riche, elle nous parle aussi du V1 tombé en 1941, alors qu’elles étaient aux vêpres dans l’église de Croisilles.  Beaucoup de choses seront dans le film-spectacle de dimanche prochain.

Une fois que la caméra est éteinte, on reste avec elles, Ghislaine fait du café, il y a du jus de fruits et des chocolats. Et on continue à parler.
Ghislaine et Nicole, étaient seules, c’est-à-dire qu’elle n’ont pas eu d’autres frères et sœurs, et leur deux parents étaient des enfants uniques. Mais chacune d’elle a épousé l’ainé d’une fratrie de 10 enfants ! Joseph  et Albert aussi avait 9 frères et sœurs. Nicole a épousé Albert Desailly (qui donc avait 9 frères et sœurs) qui sera maire de Croisilles. Ghislaine a épousé Joseph (qui aussi avait 9 frères et sœurs), le petit-fils d’Alexandre Poutrain qui a aussi été un maire de Croisilles.
Poutrain, c’est un nom qu’on a entendu plusieurs fois. (D’ailleurs cette après-midi, on va faire deux interviews rue Pierre Poutrain.) Ghislaine et Nicole nous explique : Joseph, le mari de Ghislaine, était le fils de Joseph (père), et le petit-fils d’Alexandre. (Alexandre, lui, faisait partie d’une fratrie de 9.)
Il y avait dans la fratrie de Joseph (Joseph père, c’est-à-dire le beau-père de Ghislaine) Louis et Pierre. Louis (un des oncles du mari de Ghislaine donc) était abbé, il a été déporté à Auschwitz. À son retour, Louis écrit « La déportation au cœur d’une vie ».  Pierre, résistant aussi, a été fusillé dans le Vercors en 1944.
La rue qui relie la rue de Fontaine et la rue du Pont s’appelle Pierre Poutrain.
La veille, nous avions rencontré Peter et Brenda Cook (rue du Pont), des Croisilliens d’Angleterre. À leur arrivée à Croisilles, Ghislaine et Nicole – si accueillantes – ont été dans leurs premières amies. (Brenda nous a avoué qu’elle n’avait pas compris tout de suite qu’elles étaient « deux » tant qu’elle n’avait pas vu les deux ensemble.) Ghislaine et Nicole seront là dimanche à la salle des fêtes. Peter et Brenda aussi. On a hâte de les recroiser !

Apparition d’une biche, à Croisilles

Une après-midi entière de fabrication d’images avec : trois jeunes du « comité des jeunes habitants de Croisilles », trois danseurs de la « compagnie Hendrick Van Der Zee ». (+ une vidéaste bien sûr !)

Nous avons quitté le Q.G en début d’après-midi escortés de Jordan, Enzo, Mateo, du « comité des jeunes habitants de Croisilles ». Ils connaissent très bien leur village, et nous ont guidés jusqu’au Domaine du Moulin. Lucille a dansé à travers la structure rigide, fixe et haute en couleur du toboggan, son corps comme « disloqué », créant d’improbables images, filmées par Bénédicte.
Puis sur une table de pique-nique, alors que Mourad, Lucille, Dorothée improvisent autour d’eux, Jordan, Enzo et Mateo se prêtent au jeu de la scène, imperturbables, tout en continuant leur conversation d’adolescents.
Arrivés bien en avance au stade de foot, ce laps de temps nous a permis de découvrir un cadre bucolique idéal pour filmer une séquence tous ensemble : les trois garçons dansant au ralenti avec nous, sous l’œil poétique de Bénédicte qui capte la beauté du lieu. L’apparition impromptue d’une biche clôt la séquence.
Nous repartons alors au stade pour des portraits-citations, lors de la mi-temps du match, qualifiée « d’entracte » par Bénédicte ! Zelda et Isabelle nous ont rejoint pour faire participer les supporters à ces portraits d’habitants, avec l’aide de nos trois guides.
Engourdis par le froid, Bénédicte, Lucille et Dorothée rentrent au Q.G, et profitent du trajet pour tracter et glaner quelques pas-de-porte pour le film-spectacle. Enzo, Jordan et Mateo partent en porte-à-porte, débordants d’énergie, avec Mourad et Marie pour la séquence dite « des objets ».
Quel plaisir de partager cette journée avec eux. C’est le soir qui arrive, il faut se quitter, mais ils n’ont plus du tout envie de partir.

OBJETS # 2

Groupe Material est un collectif d’artistes travaillant sur des questions tels que qui fait la culture et pourquoi. Quelle est le pouvoir de l’image, de la représentation. Comme eux, nous avons demandé aux habitants de Croisilles de nous montrer un objet qu’il trouvait beau, important, qui représentait leur culture, leur histoire.

On nous a montré :

• Le journal de Mr Darcy de Amanda Grange : Je suis une grande passionnée de lecture. Vraiment, c’est une grande passion. Et celui`-là, c’est un des classiques de la littérature anglaise que j’aime le plus, de Jane Austen. J’aime l’histoire, les personnages : là Amanda Grange donne la parole à un personnage très célèbre de Jane Austen. Est-ce que j’écris ? Oui, moi j’écris quelques nouvelles, mais c’est plus pour moi, je ne publie pas.

• Une paire de chaussures : ça a un rapport au vélo parce que je fais souvent du vélo. Ça fait quelques années maintenant, je me vide la tête, c’est un hobby. Après une semaine de boulot, on se vide la tête en faisant un tour en vélo, une sortie à vélo. Soit à plusieurs, soit je vais tout seul sur le route. Ça peut arriver que je fasse 100 km sur un weekend.

• Un éléphant : Alors, il faut que ce soir un éléphant qui ait la trompe en l’air. Et si on dirige la trompe vers la porte on ne manque pas d’argent dans sa vie. Ça ne veut pas dire qu’on sera riche, mais on n’en manquera pas. Moi je le mets sur un étagère, et il est direction de la porte, et attention, on ne le bouge pas. Ah ouais, faut qu’il soit vers la porte. Je ne sais pas ce que c’est comme croyance, mais j’ai entendu ça une fois à la télé et j’ai dit allez, je le fais. Et je l’avais déjà, mais il était pas bien dirigé.

• La photo d’un soldat anglais : C’est la photo de mon grand-père, qui était soldat, et qui est venu dans ce village à Croisilles, pendant la guerre, la guerre 1914-1918. Nous sommes anglais, nous avons récupéré cette photo dans la maison de mon père. Nous avons retrouvé le journal de mon grand-père : il était à Wancourt et à Bapaume. Et nous pensons qu’il a passé devant cette maison quand il a marché entre Cherlsy et Bapaume. Et ça c’est la raison pour laquelle nous sommes contents d’être ici. Nous sommes anglais, nous sommes venus vivre ici avant de savoir que mon grand-père était exactement passé là. Mais maintenant on sait que cette photo est à la bonne place ici, dans ce village. Cette photo devait revenir ici.

L’évolution, c’est les autres – L. Caroll

Les madeleines de Thibault, le boulanger de Croisilles, et un bon café sont les ingrédients d’un accueil chaleureux chez Caroline bénévole du comité des habitants. Christelle, la vice-présidente, nous y rejoint. Toutes deux habitent Croisilles depuis une dizaine d’années. Ce qui les a marqué : « Quand on croise les enfants, ils nous disent « bonjour ». Et puis, « On peut y naître, y vivre et mourir, parce qu’il y a le nécessaire et le superflu ».
Elles sont, avec 5 autres personnes, à l’initiative de l’écriture d’un livre mémoire de la guerre 14 – 18, sorti ce 11 novembre. C’est quoi l’histoire de ces mémoires ? Voilà comment tout a commencé :
D’abord, il y a eu l’organisation de cafés citoyens pour se retrouver et créer du lien entre les habitants, entre les générations et entre les différents quartiers. Faire que ces moments leur appartiennent. Lors des premières rencontres un flow incroyable de témoignages de la vie pendant la guerre sont remontés à la surface de la mémoire des anciens. Il était incontournable de mettre en valeur ces récits, « Sinon, ça va se perdre. En plus, ils sont une source rare de la vie des civils pendant la guerre. ». L’écriture de ce livre a pris deux ans ! Deux ans d’une aventure humaine et de belles rencontres qui se sont officialisés par la création de l’association « Croisilles, mémoire et nature ». Nature ! Caroline nous explique : « Le paysage n’est pas séparé de l’histoire, Croisilles a été rasée pendant la guerre, de la topographie… ». D’ailleurs, la commune s’inscrit dans une démarche environnementale. La préservation d’une zone humide par exemple… d’où le chantier mares. C’est génial que des habitants s’approprient les enjeux de préservation de ce précieux milieu naturel. « Être bien ensemble dans un environnement sain », en plus chaque action est propice à créer des liens. Les échanges facilitent les échanges… C’est enrichissant ! La diversité des personnes qu’on rencontre est aussi une richesse, l’accueil des migrants en fait partie. Christelle et Caroline nous racontent, si je ne m’ouvre pas à d’autres horizons, je ne connais qu’une sorte de plats, qu’une sorte de conte… La diversité culturelle m’a permis de découvrir des plats délicieux, de découvrir des contes formidables comme Kirikou, apprendre le djembé, des proverbes de sagesse…
À l’image de ce livre qu’ils ont écrit pour graver dans un livre la mémoire des anciens, « Quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle » – Proverbe africain d’Amadou Hamapâté Bâ.

En passant rue de la Fesse

Ce matin, Martine et Marie avaient rendez-vous avec Caroline et Christelle de l’association Histoire & Nature. Juste avant de commencer l’interview, Caroline devait nous présenter Jean-Maurice Opigey, son voisin de 85 ans qui connait bien l’histoire de Croisilles. Jean-Maurice est aussi le propriétaire de la forêt au bout de la rue Jean Soille : c’était un ancien pâturage, et lorsqu’il est parti à la retraite en 2005, il a commencé à planter des arbres. Plus de 600 arbres ! Des frênes, des chênes, des merisiers, des tilleuls, des hêtres, des noyers et bien d’autres. Lors de notre balade d’hier, Bénédicte, Mourad, Dorothée et Lucille ont repéré le tapis de feuilles rouges et or : parfait pour tourner de belles images.

Alors on est allé toquer chez Jean-Maurice et Mado pour leur demander l’autorisation d’aller filmer, « oh oui, bien entendu! ». Ils sont dans leur cuisine, entourés de deux chats lovés sur le canapé, et de 79 autres chats, en bois, en porcelaine ou autre, une vraie collection ! On en profite pour papoter un peu.

Jean-Maurice est né à Croisilles en 1936, où ses parents se sont mariés un an plus tôt. Il a ensuite vécu une dizaine d’année à Avion, pendant la guerre, chez ses grands-parents, avant de revenir dans la ferme familiale, rue Jean Soille, anciennement rue de la fesse, lorsque son père, prisonnier de guerre, revient en France. Le mystère demeure entier concernant les origines du premier nom de la rue… ! Mado est arrivée en 1960 à Croisilles depuis Boisleux-Saint-Marc, elle aussi rue Jean Soille, la maison à côté de celle de Jean-Maurice. Ils étaient voisins, puis ils se sont mariés il y a 5 ans. A la ferme, lorsque Jean-Maurice était agriculteur, il y avait des champs mais aussi des vaches, des moutons, quelques grands chevaux de trait noirs pour labourer, et aussi des pigeons.

Ils ont retrouvés beaucoup de documents à la ferme de l’époque de la guerre, qui ont servi pour le livre de l’association Histoire & Nature. Il en profite pour nous parler de Monsieur Arbeltier, plumassier de métier, et ancien maire de Croisilles entre les deux guerres : il faisait des javelots et des arcs. On jouait beaucoup au javelot dans le nord de la France, Mr Arberltier construisait ces javelots, avec des plumes d’oies. Mado en avait un, mais il s’est perdu entre deux déménagements.

Jean-Maurice nous a ensuite montré un vieux mur, qui date d’avant la guerre, qui reste de ce qui n’a pas été détruit. On le voit de l’intérieur, dans une vieille parcelle de la ferme où il reste encore une ancienne cheminée qui n’est plus utilisé puis on passe par une petite porte qui rejoint le jardin de Caroline (« elle a pas voulu qu’on la rebouche quand elle a acheté la maison »). C’est un mur qui date de bien avant la guerre de 14, qui mélange de la brique, de la pierre branche mais aussi des silex, la pierre est noire et luisante, on y voit même des éclats d’obus. « La façade de la maison était très belle, mais derrière c’était un peu n’importe quoi, pour pas utiliser des beaux matériaux ».

Avant de partir, il me montre la plaque « ancienne rue de la Fesse », c’est lui qui l’a fait poser, pour le souvenir !

Transmissions (Sublimes)

Dorothée a repris le rôle de Camille dans Les Sublimes, la création de la compagnie HVDZ en 2003.
Lucille a joué le même rôle dans la reprise des Sublimes, avec sa promotion au CNAC (Centre Nationale des Arts du Cirques) en 2017. Parce que Les Sublimes est entrée au répertoire du Cirque.
Pour Lucille, c’est une première avec HVDZ.
Pour Dorothée, c’est le retour d’une pionnière des veillées.
Lucille et Dorothée ne se connaissaient pas avant d’arriver à Croisilles. En quelques minutes, elles s’aperçoivent qu’elles ont joué le même rôle dans Les Sublimes.
Histoires de temps qui passe. Histoires de transmissions en cascade.
Dorothée et Lucille répètent au QG  de Croisilles cette chorégraphie qui leur a été transmise à chacune dans des circonstances et des temps différents.
Elles iront la danser dans la forêt de Jean-Maurice. Sous l’oeil de la caméra de Bénédicte. Et ce sera une séquence du film-spectacle de dimanche 21 novembre à la salle des fêtes.

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