Dimanche vacances

Le dimanche matin, ce n’est peut-être pas le meilleur moment pour faire du porte-à-porte. On décide de laisser les gens dormir (d’autant qu’hier soir c’était les 50 ans de l’Ikastola) et on part là où personne n’a dormi depuis 21 ans. Personne d’humain, ce sont la végétation et les poneys du centre équestre qui ont repeuplé l’ancien village-vacances.
Le dimanche matin, les poneys non plus n’ont pas envie de coopérer.

Dimanche, on va chez ma tante

On a vu Maïder et Maumau ce matin à l’auberge du Foirail. On s’est installé.e.s à l’étage et on a discuté de la vie à Saint-Palais. Maïder travaille depuis 14 ans à l’auberge après une formation en hostellerie à l’école qu’on appelle « La Citadelle » et des temps d’apprentissage à l’auberge du Foirail. Maïder a dès l’âge de quatre ans appris la langue basque (qu’elle comprend mais ne parle pas) jusqu’à l’âge de quatorze ans. Elle a appris aussi les danses basques qu’elle dit volontiers danser quand l’ambiance s’y prête et qu’elle s’est elle-même mise dans l’ambiance. Il en va de même pour les chants basques. Quand on a demandé à Maumau si Saint-Palais était une chanson ? Il nous a répondu que ce serait « emmenez-moi » de Charles Aznavour car venir à Saint-Palais c’est un beau voyage. On va d’ailleurs de ce pas à l’auberge du Foirail se sustenter. Les un.e.s mangent végétarien et d’autres de la viande. A tout de suite.

Dunkerque-Saint-Palais

Ça « drache »* ici comme à Dunkerque. Cette nuit, des trombes d’eau et l’orage ont plombé Saint Palais et tout le Pays Basque. Mourad va danser sous la pluie avec un parapluie et dans les flaques. Mourad c’est John Kelly à St Palais. Un moment inoubliable de cinéma. Mourad danse dans tous les interstices des territoires. La poésie se loge dans les interstices. Ce qui est à peine cela sans être encore ceci. Il faut creuser le sillon pour découvrir ce qui nous relie. C’est le danseur qui fait le lien de tout son corps. La poésie et le sens se rangent dans les interstices. Dans l’interstice comme on dirait dans l’intervalle, il s’est passé ceci ou cela ou quelque chose entre ceci et cela et qui a bouleversé le cours des choses. On ne tient pas suffisamment compte de ce qui se trame dans les interstices. Les interstices nous facilitent la tâche. On s’y agrippe pour s’élever et pour comprendre ou résister. C’est comme ça qu’on peut parler de la danse et de la poésie dans tous les cas. Une toute jeune danseuse qui parle à sa mère d’une blessure contractée pendant un cours de danse est l’interstice qui se glisse dans la réalisation du mouvement. C’est à cet endroit que la vie et l’art se racontent. Dans la blessure intersticielle. On souhaite à Camille et Greta un prompt rétablissement. L’interstice est la fissure du temps qui déchire la feuille de papier où Robert Desnos a écrit ses plus beaux moments. Où Nijinsky a donné sa plus folle représentation. Où Artaud a écrit le théâtre et son double. Où Amy Winehouse a donné son dernier concert dans son éternelle magnificence. Dans l’interstice qui peut être le temps d’un Portrait à Saint Palais, Mourad imagine des danses dans les flaques erratiques et éphémères de violentes averses.

*pluies abondantes en ch’ti

Avant la pluie, puis après la pluie : Saint-Palais sous le soleil.

Œufs et Ventrèche #2 la capacité de la voix

« Tout le monde est chanteur. Mais souvent, vous ne connaissez pas les possibilités de votre voix, la capacité qu’elle a à chanter. Vous ne le savez pas, mais vous avez la capacité. La difficulté c’est de trouver le ton : à quelle hauteur il faut chanter ? Parfois, les gens ne savent pas, ils commencent trop haut ou trop bas, et ensuite ils sont perdus dans les notes. Mais il faut juste les aider. Après vous découvrez vous-même la capacité que vous avez. Aider quelqu’un à chanter c’est lui donner le ton. Quand on a l’habitude, on peut aider à trouver le ton. Et ensuite tout le monde a la capacité. Ce n’est pas être artiste, c’est une culture. Et pour les harmonies ? Les harmonies, c’est naturel, on va trouver la deuxième voix tout de suite. Une deuxième voix pas forcément sophistiquée, mais une quarte en-dessous, une tierce en-dessous, cette voix-là, elle est presque naturelle à trouver. Des gens au bistrot, qui n’ont jamais chanté ensemble, vont trouver cette deuxième voix de manière naturelle. C’est de la culture, ce n’est pas un don, ce n’est pas non plus être artiste. Ça n’a rien à voir. Moi, ma jeunesse, on ne faisait que chanter. Dans les bistrots on ne faisait que chanter, il n’y avait pas de musique, on ne faisait que chanter. »

Œufs et Ventrèche #1 à la fourchette

C’est hier matin, vendredi, notre premier rendez-vous avec des Saint-Palaisins. Nous avons rejoint les chanteurs du marché,  de leur vrai nom « La confrérie des Œufs et de la Ventrèche » autour de leur table sur une terrasse, Place du Foirail. Ils déjeunent à la fourchette, un vendredi sur deux. Il n’est pas encore 10h du matin, ils sont déjà en train de terminer le plat : pieds de cochons pour la majorité d’entre eux, morue pour les autres.
On dira non merci pour goûter au pieds de cochon, certains nous regardent avec des gros yeux à la fois affolés et rieurs : Aïe, aïe, aïe, une vegan ?!
Et on se demande – mais on ne dira rien – pourquoi on dit « pieds de cochon » et pas « pieds de porc ». Peut-être pour ne pas confondre avec Saint-Jean ?

une réalisation digne du Palais de Tokyo ou du Guggenheim de Bilbao

Ça bosse sacrément ces jours-ci à la compagnie HVDZ. Au pays basque (en lien avec Gilbert à Loos en Gohelle). Quatre équipes sont dans la ville à la recherche de pépites d’humanité dont il est impossible de se rassasier. Comme c’est la fin de semaine, il y a des évènements sportifs et culturels  partout dans St Palais. On se régale. On a démarré très tôt avec Maïtena Etchebest et l’équipe féminine de pelote basque. On a filmé l’entraînement avec délice et on a écouté Maïtena Etchebest nous raconter l’histoire de la pelote basque féminine. Le rugby de St Palais n’a plus de secret pour nous depuis notre rencontre avec Daniel Garicoits, président du club. Isabelle a filmé les joueurs pendant plusieurs heures comme Gordon Douglas a filmé Zinedine Zidane tout au long d’un match avec sept ou huit caméras, le 23  avril 2005. Ce film a été vu au musée du jeu de paume à Paris, lors d’une rétrospective consacrée à Douglas Gordon. Le jeu de paume nous ramène à la pelote basque puisque la discipline noble de la pelote est le jeu avec la main. Il reste quelques clubs de pelote basque à Paris mais d’après les gens d’ici, les parisiens ne font pas le poids. Il faut rendre à César ce qui est à César et ça suffit, les parisiens ne font pas la loi au Pays Basque.

Mont-Bidouze ?

Mont-Bidouze ? Les révolutionnaires ont tenté de changer le nom de Saint-Palais. (Dans révolutionnaires, entendez, 1789. En l’occurrence, ça devait être en 1793.) Les révolutionnaires donc, ont tenté de changer le nom de Saint-Palais pour Mont-Bidouze. Parce qu’il y a la Bidouze, la rivière, qui passe dans le village. Mais ça n’a pas duré longtemps !
Mont-Bidouze ? Non ! Saint-Palais n’a pas été accaparée, ne l’est pas et ne le sera jamais !

La réflexion dérange nos pensées #2

Les Portraits-Citations. Pour une séquence du film-spectacle. Un protocole qu’on filme sur le marché de Saint-Palais, ce vendredi, premier jour de notre présence dans la Capitale de l’Amikuze, dans le Pays Basque (Nord), en Basse-Navarre.
Réfléchir, c’est déranger ses pensées.
Je suis prêt à tout lui sacrifier, tout, sauf mon indépendance.
Nous avons l’art pour ne pas mourir de la vérité.
Quand les mots manquent, le silence devient un cri au-delà des cris.
Pour vivre debout, notre mémoire doit rester vivante.
Si le monde social m’est supportable, c’est parce que je peux m’indigner.
L’amour est plus juste que la justice et plus vrai que la vérité.
On parle toujours de la clé du problème, on ne parle jamais de la serrure.
La grâce c’est savoir arrêter avant qu’il ne soit trop tard.
Ce qui n’est pas résolu par l’amour restera toujours en suspens.
La vérité est tellement aimée que ceux qui disent des mensonges veulent que ce soit la vérité.
En toi tout se résume, rien ne se réduit.
La lucidité, la blessure la plus proche du soleil.

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Les Portraits-Citations. Pour une séquence du film-spectacle.
Mais là, ce n’est pas comme d’habitude.
Dès que nous arrivons sur le marché de Donapaleu, on nous demande pourquoi nos citations sont en français, vous savez que vous êtes en Basse-Navarre ? On répond que oui…, oui, mais on est une compagnie de théâtre, on vient du Pas-de-Calais, on fait un film-spectacle, un « Portrait de Saint-Palais » à travers la rencontre avec les habitants et les gens qui font la vie de Saint-Palais. Mais on se rend compte qu’aller à la rencontre des habitants d’Amikuze, c’est aussi aller à la rencontre d’une langue. On promet de trouver des solutions, de ne pas esquiver la question. On en parle beaucoup au QG. Comment on fait ? Qu’est-ce qu’on dit aux personnes qu’on va interviewer ? Si c’est en Basque, on sous-titre ? On en parle beaucoup, parce que c’est un sujet ici, un sujet important. On (se) demande si c’est excluant de parler Basque pour ceux qui ne parlent pas cette langue si particulière, cette langue agglutinante, cette langue qu’on dit parfois finno-ougrienne ? Mais c’est vrai, ce n’est pas comme ça qu’on peut envisager les choses ! Parce que si on ne parle plus Basque sous le prétexte d’inclure les non-euskarophones, comment garder cette richesse, « comment voulez-vous que cette langue vive ? »
Pour cette séquence des portraits-citations, il y aura une traduction basque. Mais il s’agit parfois de traduire du René Char, du Nietzsche. Julie – qui nous accueille ici – a envoyé un message à une personne qui va pouvoir faire ça. Merci.
Mais on doit continuer à réfléchir sur la manière de fabriquer ce Portrait, comment rencontrer les gens qui font la vie de ce pays, comment s’y prendre pour toutes les autres séquences du film, on réfléchit, avec courts-circuits et nœuds dans le cerveau, avec des langues différentes qui creusent des chemins dans le sable, des chemins particuliers pour chaque langue, des chemins plus ou moins profonds, plus ou moins durables, des chemins qui deviennent parfois des routes quand on les fréquente souvent.