Dormir dans la hêtraie. À l’automne, les feuilles commencent à tomber. Les arbres changent de visage. On voit mieux le ciel et les étoiles la nuit.
Portrait # Chalmazel-Jeansagnière
Rocher ou Écorce ?
Un amour de Ferme aux Brebis
Ce matin, ce lundi matin, aussitôt levé-e-s, déjà sur les routes du massif des forêts. Demain c’est la journée de relâche. Didier, Mourad et Jérémie sont à l’école du Bourg pour faire du théâtre, de la danse et du vidéo-art. À dix huit heures, on espère bien avoir une conversation filmée avec Violaine Méchin dont nous avons rencontré les parents ce matin. Violaine est chercheuse en comportement animal. Cet après midi elle fait du cheval dans la vaste montagne.
Pierre Yves et Eliane Méchin nous ont accueillis avec beaucoup de sympathie. Nous étions au hameau Diminasse. Pierre Yves et Eliane possèdent un troupeau de 400 brebis. L’été, deux cent d’entre elles partent en transhumance en haut dans la montagne, tandis que les deux cent autres paissent dans les prairies tout autour de la ferme.
Pierre Yves est né en 1962, ses parents étaient agriculteurs. Quand il a fallu trouver du travail, il est allé à Roanne chez Michelin. Ensuite il a suivi une formation agricole et fait des stages dans diverses exploitations. En août 88, il a repris la ferme avec Éliane. Au début ils ont élevé des vaches puis comme les quotas laitiers ( en ce qui concerne les vaches) étaient définitivement bloqués, Pierre-Yves et Éliane ont reconverti leur élevage. La ferme est devenue la ferme aux moutons, aux brebis plus précisément. Pierre-Yves et Éliane ont trois enfants. Aucun d’entre eux n’est dans l’agricole même si Violaine est très proche des animaux.
Éliane a travaillé comme cuisinière à la station de ski et puis elle est restée à la ferme parce que les enfants sont nés. Tous les ans elle recevait des enfants de toute la France en tant que hôte de gîtes d’enfants. Aujourd’hui ils ont un gîte dans un hameau voisin, pour diversifier les revenus. Éliane dit, il faut faire vivre les maisons des montagnes. À ses clients, elle fait visiter la ferme.
Pierre-Yves a travaillé à la station de ski jusqu’en 2004. Il y faisait de la maintenance et damait les pistes avant que les premiers skieurs pointent le bout de leur nez à la station. Puis il revenait travailler à la ferme vers 12h, pour s’occuper des brebis. Il dit qu’il faut savoir descendre de son tracteur et observer ses animaux. Les brebis sont des bêtes fragiles et ils faut avoir l’oeil sur elles en permanence pour se rendre compte de ce qui ne va pas au plus vite. Eliane et Pierre-Yves soignent les brebis avec des plantes médicinales et des huiles essentielles. Il dit que « les labos mettent une pression de dingues pour vendre leurs produits chimiques. Ces produits diminuent l’immunité des bêtes et dans ces cas-là, on a recours à toujours plus de médicaments. Ça coûte très cher et c’est un circuit infernal. Mais si l’une ou l’autre des brebis est atteinte de mammite, on n’échappe pas cependant pas aux antibiotiques. »
« Depuis qu’on répand sur nos prairies du compost de fumier de mouton ; on a vu réapparaître des fleurs qu’on n’avait plus vues depuis longtemps. On réfléchit à améliorer la prairie en permanence. Ça bouge dans les communes, avant on ne pensait plus qu’à la productivité, aujourd’hui nos valeurs ont changées. Faut être rebelle. La mondialisation commerciale et ultralibérale est toxique ; il faut qu’on réussisse à contrer l’exportation des moutons neozélandais.
Le moment de nous séparer s’en vient. On a du mal à décoller tellement on est bien chez Eliane et Pierre Yves. Tout comme on serait resté des semaines chez Séverine et Cyril… « Pour redynamiser le centre bourg, il faudrait des hébergements pour la nuit, des hôtels, plus de gîtes, des chambres d’hôtes. Pour que les gens restent plusieurs jours et visitent notre magnifique centre bourg. »
« À Chalmazel, on prend mieux son temps. »
« À Chalmazel, on prend mieux son temps. » ou « La belle histoire du garage de Chalmazel. »
Sylvain et Mylène sont arrivés en 2011.
Avant de venir vivre à Chalmazel, Sylvain et Mylène ne connaissaient pas le bourg, ils ne connaissaient que la station : ils venaient y skier quand ils étaient enfants. À l’époque, Sylvain traversait par le bourg pour aller à la station, Mylène, qui habitait de l’autre côté de Montbrison, ne passait même pas par le bourg.
Et puis, ils ont vu l’annonce de la mairie sur ‘le bon coin’ et c’est comme ça qu’ils sont devenus propriétaires du garage. Et voilà des nouveaux habitants à Chalmazel et un commerce qui ré-ouvre. Ils se sont mariés à Chalmazel en 2015, ils ont trois garçons, l’aîné est à l’école de Chalmazel (on le rencontrera cet après-midi quand on ira voir la classe d’Emmanuelle Dupuy). Au garage, il y a aussi Valentin, il est arrivé en 2012, il avait 16 ans, il faisait ses études en alternance dans leur garage, et depuis il travaille ici. Et maintenant, Valentin a acheté une maison à Chalmazel, il s’est installé à Chalmazel. « Un de plus. » « Un jeune de plus. » Depuis quelques années, il y a un « paquet de jeunes » de restent. (Un paquet, façon de parler précise Sylvain, mais quand même.)
À Chalmazel, on prend mieux son temps. C’est ça qui change avec la plaine. On est tranquille, les gens sont sympas, tu peux aller te promener n’importe où. Ça va bien. On n’a pas le stress de la plaine. Il y a quand même le stress du boulot, faut tomber les heures, faut quand même que ça marche. Mais ça va bien, on prend mieux son temps. Quand un client arrive, ce n’est pas juste qu’est-ce qu’elle a, votre voiture, puis la facture et au revoir. On prend le temps de discuter avec les clients, de prendre le café avec eux. La vie passe trop vite, alors ici, c’est pas mal, on ne fait pas que courir, on prend mieux son temps. « Il faut venir à Chalmazel ».
Ranger les arbres – Act 3
Ranger les arbres – Act 2
Ranger les arbres – Act 1
l’amour de la sagesse
La compagnie HVDZ et Superstrat naviguent au quatre coins du village. Qui dans les hameaux, qui dans le centre ou chez les gens à la recherche des perles de sagesse. C’est ce que nous avons trouvé chez Pierre Rizan, un ancien instituteur de Chalmazel. Nous l’avons filmé devant un mur de livres. Il était inquiet de ne pas nous voir arriver.
Dans notre grand camion blanc, nous avions des difficultés à rouler sur les petites routes de montagne. Il faut sans cesse changer de vitesse et manoeuvrer pour tourner aux carrefours. Plus on roulait plus le camion semblait souffrir. Il n’était pas question de rater notre rendez vous alors Martine nous pressait d’accélérer. Nous avons frôlé les toits à cause de la hauteur du camion. Nous avons dérapé dans des virages. Les graviers sur les bords des routes se retrouvaient projetés sur les murs des maisons. La bête s’accrochait à la route du mieux qu’elle pouvait. Nous avons plus d ‘une fois fait marche arrière parce que notre envergure nous interdisait d’aller au delà. Martine guidait les marches arrière d’un côté et de l’autre des rétroviseurs. La bête rugissait et de la fumée très noire surgissait du tuyau d’échappement au dessus de la cabine.
Nous somme arrivés à bon port avec une demie heure de retard.
Nous n’avons pas trouvé assez d’excuses pour effacer notre culpabilité d’avoir fait attendre M. Rizan.
En écoutant parler M. Rizan, c’est comme si nous écoutions Sénèque. Il nous dit, moi je crois aux rêves alors j’aime rêver. C’est vrai, on prend le même plaisir à entendre M. Rizan qu’à lire Sénèque, par exemple : L’éloge de l’oisiveté.
« J’ai fait une étude statistique sur le collège quand j’ai pris ma retraite, sur ce que sont devenus les élèves. Je voulais montrer que l’enseignement à la campagne valait celui des villes alors que c’est toujours pas évident dans les mentalités. Les gens à la campagne sont plein d’avenir. J’aimais ce métier et j’aime ce pays. Le pays est très beau. Mais il a aujourd’hui beaucoup changé, en l’espace de soixante ans. Il s’est boisé à foison. Du bois qui s’est imposé parce que les terrains qui étaient entretenus à la main, sont abandonnés… Ce qui est rassurant, je suis un incorrigible optimiste, c’est que les gens qui restent ici comme agriculteur-trices sont des gens qui y croient. Ils et elles vont rester. Ils et elles nourrissent ce qu’il y a de plus extraordinaire, l’utopie… On pratiquait une agriculture archaïque il y a soixante ans et après on s’est mis à produire à outrance. Cette course à la productivité s’est faite au détriment de la qualité des produits. Aujourd’hui on s’aperçoit qu’on va dans le mur, alors il y en a quelques uns qui freinent et réinventent quelque chose de plus naturel. Mais c’est difficile à mettre en place parce qu’il y a des contraintes et qu’il faut vivre de son travail. Alors parfois on abandonne. Ceux qui persistent il leur faut être tenaces. Il ne faut pas être trop préoccupés par l’argent. Surtout que des services publics ont disparu. Ici on pouvait scolariser les enfants jusqu’en cinquième, maintenant c’est tout au plus jusqu’à la fin de l’école primaire. Moi je crois aux rêves alors ça ne me déplaît pas de rêver. J’aime mieux rêver l’avenir que de le craindre. »