Dominique, Bernard, Marie, Polimeri…

Hier après-midi on sonne aux portes pour proposer une lecture de quelques extraits du blog. On va un peu partout, à la piscine, à la mairie..à la mairie travaille Dominique, la fille d’Octave, on lui lit le texte sur son père, elle acquiesce à chaque phrase. « Ah oui, c’est tout lui ça, je valide! »  On sonne chez Bernard et Marie, que nous n’avions pas encore rencontré, ils connaissent également Octave: »un homme délicieux, qui a toute notre confiance. » Bernard et Marie sont ici depuis sept ans, veufs tout deux, ils recherchaient une grande maison pour pouvoir accueillir leurs quatre enfants respectifs et leurs 18 petits enfants. L’agence immobilière leur a fait visiter la maison de nuit, en se gardant bien de leur décrire l’environnement, mais la maison leur a plu, et ils se plaisent à Mardyck, Marie fait maintenant partie du comité consultatif, et ils participent tous deux au club des anciens. Ils nous promettent de venir samedi, mais c’est compliqué pour eux, car ils doivent être à Dunkerque à 16h pile. Bernard et Marie font partie d’une église évangélique et participent à de nombreuses actions caritatives. Didier leur demande en quoi consiste une église évangélique et Bernard explique que c’est une différence de doctrine, une branche du protestantisme. « Par exemple, on ne croit pas aux saints, tous le monde est saint, vous, moi, il n’y a pas besoin d’attendre d’être mort pour ça ». Didier est ravi, il dit qu’il a bien fait de venir. Avec Saint-Didier cousin, on se dirige chez Anita, on y rencontre des employés de Polimeri, chargés de la maintenance. Ils nous racontent l’histoire du site, fondé en 1977 et appartenant à 51% aux charbonnages de France et à 49% à l’émir du Qatar. Depuis l’entreprise à changé plusieurs fois d’actionnaires et donc de nom, et depuis quelques années elles est une filiale d’ AGIP, un groupe pétrolier italien. À Polimeri on produit de l’éthylène et du propylène à l’aide d’un vapocraqueur, puis on transforme ces gaz nobles en billes de plastique, qui seront ensuite revendues et qui servent à fabriquer un peu tout nous dit un ouvrier. Au pub, il y a également Alain Fatis, on lui lit les textes, puis on parle art contemporain avec Jean-Claude. Alain et lui sont allés plusieurs fois au musée mais nous disent n’y avoir rien compris: « faut être artiste pour comprendre », nous dit Jean-Claude. Alain renchérit: » Alors, ils te montrent un tableau, et ils blablatent sur plein de trucs que toi t’as pas vu, alors tu te dis, bah merde, soit chuis con, soit chuis aveugle! »

Tous les jours dimanche

Anita et Jean-Claude tiennent le pub Mardyckois depuis 1995, avant l’établissement s’appelait le café de l’avenir. « Mais l’avenir à Mardyck hein… » Anita est arrivé il y a 30 ans à Mardyck, en caravane, elle passait tous les jours devant ce café et se disait : « un jour, il sera à moi ! » Anita, de son nom de jeune fille Anita Liber, est une brune au fort caractère, on lui demande si elle a des origines espagnoles, Anita l’Ibère… « Ah oui c’est marrant ça tiens, j’y avais pas fait attention, mais non pas du tout, je suis de Saint-Omer moi ! » Au pub Mardyckois, on ne passe que RDL, la radio de Saint-Omer : « C’est la radio de chez moi, ça me relie à mes racines ! » Anita nous parle de Saint-Omer avec nostalgie, comme d’un pays lointain. « Là-bas, t’avais le choix entre faire de la couture ou travailler à la cristallerie d’Arques, mais moi je voulais pas, je voulais être caissière, j’ai passé un entretien à la cristallerie pour faire plaisir à ma mère, mais je leur ai dit non, je veux pas travailler chez vous ! en sortant je suis allé au supermarché, j’ai été prise tout de suite, 10 ans je suis resté ! Les gens venaient juste pour m’entendre dire : Bonjour, Au revoir et tout le reste au milieu… » Anita aime beaucoup, beaucoup parler, elle nous parle de son métier qu’elle adore, de la vie à Mardyck :  « Oui, un village planté là c’est pas très logique, mais la peur n’évite pas le danger, regardez nous, on aime faire des croisières, une fois par an on s’offre des vacances, et bah un mois avant qu’il coule on étaient sur le Concordia, on a même une photo avec le capitaine, le même hein ! Tu vois, ça peut arriver n’importe où les drames ! » Jean-Claude acquiesce , généralement quand Anita parle, Jean-claude acquiesce. Un habitué nous dit :  «  Jean-Claude c’est le souffre-douleur de Mardyck ! » Jean-Claude nous dit :  « Oui, c’est vrai ! » Mais Jean-Claude a plein de choses à raconter lui aussi, avant il était tuyauteur, beaucoup d’amis à lui sont malades de l’amiante :  « On meurt d’avoir travailler, c’est triste quand même , moi ça va j’ai donné, 51 ans de travail, maintenant c’est la retraite », nous dit-il derrière son bar. Anita et Jean-Claude sont ouverts six jours sur sept, toute la journée. Mais quand ils sont fermés, nous dit un autre habitué, c’est tous les jours dimanche.

Petit à petit, l’oiseau

Il y a ceux qui sont nés à Mardyck et il y a ceux que la vie a amené là. Il y a Nicole qui était prête à suivre son époux au bout du monde et qui s’est retrouvée dans un début de commencement de menuiserie, dans un ancien corps de ferme, à 20 ans, prête à tout sans pour autant maîtriser ce tout, « comme un oiseau sur une branche ». Depuis, l’attachement au village se resserrant chaque jour qui passe, elle s’y est enracinée pour de bon. Il y a aussi Thierry qui a immédiatement acheté une maison qui se libérait, pour habiter le monde de sa belle Béatrice et pouvoir la séduire, et la marier. Il y a Ludivine qui a marié Fabrice (dans la famille Pynthe j’ai nommé le cousin) dont l’anniversaire se fêtait en surprise samedi à notre arrivée. Même que Ségolène, la soeur de Ludivine, s’est depuis lors installée sur Mardyck. Même que Evelyne, la mère, depuis trois ans déjà, s’est également laissée tentée, à la fois par le calme du village et par la perspective de vivre près de ses filles et petits enfants. Même que le frère qui n’est pas encore à Mardyck, commence à y réfléchir ferme. Il y a ceux qui ne font que passer mais qui chaque jour s’arrête ici. Tel Gilbert qu’on retrouve régulièrement au pub, accompagné du souvenir de sa femme qui adorait Anita. Des histoires d’amour, de famille et d’amitié. Des liens qui tissent et retissent une maille invisible, à la fois fragile et plus solide que tout.

Martine

Cette après midi, atelier création artisanale à la maison du village. Avant que le groupe de femmes ne s’affaire à la finition des objets qu’elles vendront samedi sur le marché, on leur propose de dire une citation à la caméra. Puis on prolonge la discussion avec Martine Lonnis. Quand les gros chantiers de Loon-Plage ont abouti à l’inondation de ses terres,  Martine, comme beaucoup d’autres, est arrivée à Mardyck. En plus d’être maraîchers, son époux et elle ont alors repris le Café de la mairie de 1976 à 1985. Ce n’était pas un simple bistrot, il y avait aussi une épicerie, des bombonnes de gaz et même une station essence. Martine s’est lancée tout de go dans le métier et elle a adoré. Le contact, le commerce. A cette époque, elle n’arrêtait pas. Quand ce n’était pas le café, c’était la maison, les enfants, et même la lessive mensuelle des maillots de l’US Mardyck. Puis la vie a éloigné Martine du village, mais à peine trois ans. Elle est vite revenue. A la demande expresse du maire qui ne jurait que par son sérieux et son énergie, elle s’est reconvertie au pied levé dans l’entretien de la mairie. C’était il y a 20 ans et elle est toujours là. Martine et le travail, c’est un mode de vie transmis de génération en génération, un art de savoir tout faire. « Si tu veux du pain, tu fais du pain ! Si tu veux de la confiture, tu fais de la confiture ! » Une vie où les tracteurs remplacent la voiture quand on n’a pas le permis – Martine allait ainsi, en tracteur, de porte en porte, vendre ses légumes dans le secteur. L’engin servait aussi à dépanner par temps de neige les automobiles mardyckoises en rade dans les fossés. Martine ne se voit pas quitter Mardyck, et sait déjà qu’à la retraite, elle profitera des activités proposées par le village en premier lieu, entre autre couture et club des anciens. Pour sûr, l’inaction et le retrait ne sont pas pour elle.

Et bien, valsez maintenant…

Chez Anita , on propose trois pas de côtés. Trois pas de valse, une valse à 3 temps, comme au bon vieux temps.
Maurice, avec ses yeux pétillants qui ont déjà vu éclore 85 printemps dont 30 à Paris, avant de revenir à Loon-Plage. Maurice répond avec bonheur à l’invitation de Louise. Valse à 3 temps, temps de la rencontre, mouvement de la rencontre, conversations dansées, envolées joyeuses. Pendant que certains osent l’aventure d’une invitation dansée, les autres continuent leurs conversations sur leurs tabourets de bar, les yeux rivés sur ces tourbillons de pas. Les regards se mettent a valser aussi. Puis on installe la sono sur la place du village, sous le ciel enguirlandé de Mardyck, sous la pluie étoilée de Noël. Cela résonne comme un bal de 14 juillet, le petit bal perdu, impromptu, du 13 décembre à Mardyck. À moins 2 degrés , on vous offre une danse, juste pour se réchauffer le cœur en dansant. Encore une danse, deux danses, avec les quelques passants qui prennent le temps. Une valse à trois temps… Trois minutes de parenthèse, de détournement, de tourbillonnement, avant de reprendre son chemin.