Quand on touche le fond, on n’a plus qu’à remonter…

On se dit au QG que le blog n’est pas très enjoué.

Mais comment être enjoué quand on nous raconte les réductions de personnel, l’exigence de rendement croissant et, la peur, la solidarité qui n’existe plus, l’isolement, la détresse, la victoire du capitalisme, la peur du chômage…

Heureusement que nous avons rencontré aussi des salariées heureuses d’avoir pu reprendre une formation, avoir un projet de reconversion, finalement qui nous disent que cela leur a permis de s’ouvrir à d’autres choses…

Comme m’a dit une dame hier : vous savez, Madame, quand on touche le fond, on n’a plus qu’à remonter…

Pour continuer à vivre, que faire, partir ou se battre ?

Les gens qui ont connu La Redoute d’avant, qui sont dans l’entreprise depuis des années et qui connaissent les plans sociaux d’aujourd’hui n’ont plus que deux possibilités : se battre pour tenter de conserver leur travail ou partir. La lutte est très rude et se décider à partir, c’est très rude aussi. Quand on se bat, on est avec ses collègues, on ne se bat pas seulement pour soi, mais le combat est dur, injuste même, on a l’intime conviction qu’il est déjà perdu. Quand on s’en va, on part seul, c’est une décision individuelle, on fait « son propre projet », il faut « couper le cordon », abandonner la lutte, quitter le navire. Beaucoup de ceux qui sont partis, nous racontent d’abord le choc de comprendre que leur travail n’est plus considéré comme utile, puis c’est le mal-être au travail, la dépression. Alors, pour continuer à vivre, certains ont décidé d’imaginer « une vie après La Redoute », d’autres continuent la lutte à l’intérieur. Pour continuer à vivre, partir ou se battre, il n’y a pas le choix, il faut choisir.

Plus rien ne poussera maintenant…

24h chrono ! Une journée pour être satisfait ou remboursé ! Partout en France i
24h chrono.
24h…………………
Pause.
Le temps d’une marche autour du quartier.
Pour voir, pour comprendre.
Voltaire, Lamartine, La Fontaine, Descartes, à travers ce dédale de rues teintées d’espoir, Nordine nous guide et nous raconte l’histoire du quartier et de ses habitants.
 » j’ai grandi ici, j’achetais mes bonbons là-bas, mes oeufs et mon poulet dans cette ancienne ferme ».
II y a du sourire dans ses souvenirs.
 » et juste là c’était un grand champ, maintenant c’est un énième parking de La Redoute. Je comprends pas. Plus rien ne poussera maintenant. » Nous y sommes. C’est là, devant nous. La Martinoire, terminus.

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Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés

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Cela fait deux jours que nous sommes arrivés quartier de la Martinoire à Wattrelos. Ce matin, nous avons fait le tour du quartier avec Nordine, le responsable de la MPT qui a travaillé à la Redoute quand il était étudiant. Il nous dit qu’avant c’était une tellement grosse machine, La Redoute.

Il nous dit cela alors que nous passons devant les quais où sont garès les camions de la Redoute. Il nous dit qu’il n’avait jamais vu ça avant autant de camions à l’arrêt. On le ressent physiquement ce temps de crise, ce temps suspendu , le quasi-arrêt.

A la fin, il ne restera plus, au mieux, que 500 salariés sur plus de 1200 salariés. Dont 20% de cadres.

Retour du premier jour

Cassandre (étudiante en L3 à l’université de Lille 3) fait partie de l’équipe qui réalise la Veillée de LaRedouteàRoubaixWattrelos. Elle nous fait part de ce qu’elle ressent après une journée passée avec nous :

La rencontre avec Mme Hespel et son témoignage sur sa situation m’a beaucoup touchée car elle m’a rappelé l’ancienne situation de mon père. Lorsque j’étais enfant, j’ai vu mon père frôler la dépression à cause d’un travail qu’il n’aimait pas. Ingénieur depuis 15 ans, il s’était retrouvé sous la pression de ses supérieurs dans l’objectif qu’il démissionne. C’était également une période où il y eu de nombreux suicides dans cette entreprise, il était donc difficile pour une petite fille de 10 ans de voir son père lui confier sa tristesse et son chagrin pour la perte de ses collègues.

Comme Mme Hespel, mon père a également effectué une reconversion : aujourd’hui, il s’épanouit pleinement dans un métier de marketing de réseau. Ce qui lui manquait dans son ancien métier c’est de la reconnaissance. D’ailleurs, il tient souvent à comparer les remerciements dont il a bénéficié. Pour le remercier de ses 15 ans de services, son ancienne entreprise lui avait offert un gobelet-thermos. Avec son nouveau métier et après 16 mois de travail, son entreprise n’a de cesse de valoriser son travail, autant que faire se peut. Il aime son métier et c’est un choix qu’il n’a jamais regretté.

octobre 2013 – mars 2014

On nous parle de la grève, des grèves, de celle de 95, de celle qui a duré d’octobre 2013 à mars 2014, où 2 jours sur 3, c’était la grève. Parce qu’il est interdit de bloquer tout 3 jours de suite, et pour ne pas que les huissiers s’en mêlent, il fallait qu’ils alternent 2 jours de grève et 1 jour travaillé, 2 jours de grève et 1 jour travaillé. D’octobre 2013 à mars 2014. Ça a été très dur, ça s’attend, ça se voit. On nous a parlé de la journée du 21 mars 2014, et de cette grève qui s’est arrêtée. Et là, depuis 10 jours, à La Redoute, c’est de nouveau ça l’actualité.

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Les citations, un plaisir pour tous les jours

On propose « le jeu des citations » aux personnes que nous rencontrons : On a un paquet de feuilles de « citations ». Le jeu est d’en choisir une, une qui vous plait, une qui vous parle, une qui vous touche. Ensuite, vous l’apprenez par cœur et vous la dîtes en regardant bien dans la caméra. Ce sera une séquence du film-spectacle.
Cette ancienne salariée de La Redoute, qui nous reçoit chez elle, est ravie de voir toutes ces pages remplies de citations. Elle adore ça, elle nous raconte que c’est même une passion : tous les soirs, avant de rendre la feuille de présence à son collègue, elle écrivait en haut de la page une citation. Une nouvelle citation chaque jour. Elle en cherchait toujours des nouvelles. Ça remet de la joie de vivre dans le quotidien. Son collègue lui dira un jour : « Ah là là, elles vont me manquer tes citations ».

« C’est pas la tête mais les bras »…

La soeur de N. dit: Tu vas voir, ma soeur, elle est remontée…

Il faut l’interviewer…Tu vas voir, elle est remontée…

Elle est remontée car il y a eu la journée du 21 mars 2014.

Elle me dit que la journée du 21 mars, tu verras, pas mal de monde va t’en parler…La journée de 21 mars, c’était l’horreur…L’humiliation et les insultes.

C’est pas parce qu’on a pas de bac + 5 qu’on n’est pas intelligent. C’est pas les cadres qui ont construit la Redoute. C’est pas la tête, tu vois, c’est pas la tête, ce sont les bras, les ouvriers qui ont fait la Redoute.

On interviewe N. jeudi, elle va certainement nous parler plus en détails de ce qui s’est passé cette journée du 21 mars 2014.