Feinter les murs, les faire bouger

 

« Je viens voir votre mur dont tout le monde parle ? »

Celui qu’on a fait disparaitre derrière les dessins, derrière les portraits ? Ou celui de tout à l’heure qu’on a scotché ? « Je ne tiens pas en place il faut tout le temps que je bouge et je me prends les murs. » Ce qui est  fascinant avec le dessin par terre et sur les murs c’est qu’on ouvre,  on casse les murs, on fait entrer l’extérieur à l’intérieur. On parlait des limites, le mur n’en ait pas une on peut le transformer en trois fois quatre minutes, il suffit d’être 10.

Pour faire l’histoire d’un mur on peut gratter, voir les couches de peinture, de ciment les faire apparaître mais on peut aussi le feinter ce mur qui tient si bien. Ce mur qui bouche la vue, on peut en faire un support, juste ça une feuille pour une nouvelle couche qui le fait disparaître.

On ouvre un mur, je ne pensais pas que c’était si vivant, faire bouger les murs, les déplacer c’est possible. Je crois que si on me demandait ce j’ai appris je dirais ça : je sais que faire bouger les murs c’est possible.

« Je ne tiens pas en place il faut tout le temps que je bouge et je traverse les murs ».

En attendant que ça commence

Dans la salle du haut, celle du quatrième dite la salle des pédagogies il y a deux portants. Deux portants avec une vingtaine de cintres chacun. Ces portants et leurs cintres respectifs ne sont ni beaux ni moches. Qui y met son manteau, sa veste ou son sweat ? Cela fait 9 jours que je n’y fait pas attention. Aujourd’hui le 17 Mars 2017 à 16h30 je les vois.

Ils ont bon dos depuis 9 jours. Si nous marchions dans les Cévennes , ils seraient nos ânes, si nous marchions dans le désert ils seraient nos chameaux, si nous courions sur la plage ils seraient nos chevaux, si nous nagions dans la mer ils seraient nos dauphins…En route !

Trois fois quatre minutes

Rouleaux en main prêt à scotcher, scotcher le sol et le plafond, faire des rails, des tours, des tunnels, des flèches. Trois fois quatre minutes et le sol est recouvert d’un autre univers. On le construit en trois fois quatre minutes.

Quelque chose se dessine sous nos yeux, sous nos pieds.

Un peu comme ce qui va se passer demain : sous nos yeux va se dessiner ce qui nous a scotché en deux fois cinq jours. Assemblage, superposition.

On est impatient que ça commence demain à 17h00 = assemblée scotchée au plafond !

Jeudi : hamburgers et répétitions

C’est jamais la journée la plus simple, celle où on répète, parce que le rythme à suivre est lent et long et répétitif et parfois chaotique.
Heureusement on a eu des hamburgers à midi, tout le monde était content, d’ailleurs tout le monde était là.
On soigne notre diction, on affute nos déplacements, on trouve (assez collectivement) des solutions rapides et concrètes à des problèmes soudainement surgis de derrière un buisson.
On essaie de rester soudés, de croire les uns en les autres, faut tenir jusqu’au bout. Il ne faut pas oublier que demain, tout ça s’enchaînera plus vite. On pourra aussi lire les textes avec nos tasses à la main, c’est une idée de Martine que tout le monde a trouvée bien et qu’on a immédiatement adoptée.

16h33: le groupe de step reprend et reprend encore les danses, Rémi signale une façon adaptée de récupérer les dernières gouttes de jus de pomme dans la bouteille, Brandon répète ses textes puis sort faire une pause, il a toujours ce même beau t-shirt qui va si bien avec celui de Dylan quand ils lisent sur le fond noir et rouge du Phénix (l’oiseau de feu), Marie-Lis, Didier, Mathieu et Yacou répètent le texte des cent voix qu’ils ont encore recoupé, Béné, Martine et Julien devisent autour des derniers montages. Kevin, Paul et Steeven vont et viennent, viennent et vont. Guy envoie des scuds. Didier est fatigué, Marie-Lis ça va (sauf les courbatures). Voilà une journée de répétitions dans la salle des pédagogies de l’oiseau de feu.

Il est 16h43, on va faire un cercle.

Nous sommes là

Nous sommes Valenciennes, Anzin, Onnaing, Marly, Petite forêt, Saint Saulve, Bruay, Crespin
Nous sommes tasses, gourdes, fontaine, feutres, scotch
Nous sommes dedans dehors,
Nous sommes ascenseur, portes vitrées ou fenêtre,
Nous sommes café et coca
Nous sommes chaises et tables
Nous sommes cercle
Nous sommes rideau, skate et piano
Nous sommes percussions corporelles
Nous sommes Ha, Ho, Hé
Nous sommes téléphone et dictaphone
Nous sommes sons dans le silence
Nous sommes caméra aux poings
Nous sommes caméra de loin
Nous sommes Bombardier, Transville,  PSA et SASA
Nous sommes contrôleurs, planeurs, soudeurs, bucheron, plaquiste, monteur
Nous sommes ville et campagne
Nous sommes rue
Nous sommes Sud, Bahamas, Thaïlande, Corrèze, Alsace
Nous sommes rire, jeu, impatience et refus
Nous sommes présentation, questions, portrait
Nous sommes recherche
Nous sommes bois, métal  et feuille
Nous sommes groupe
Nous sommes casquettes, sacoche, foot et volley
Nous sommes là
Est-ce que vous nous voyez ? est-ce que vous nous entendez ?

 

J’ai appris (Kévin)

Moi je suis quelqu’un qui réfléchit tout le temps.
Tout ce que je peux apprendre, je l’apprends. Je suis sans cesse dans l’apprentissage.
Je sais manger je sais faire du vélo je sais parler je sais voir
J’ai appris à soulever j’ai appris à tourner j’ai appris à lire
Mais surtout j’ai appris à apprendre
J’ai préparé les flexibles de cable pour carburant, on pliait, on assemblait, on coupait, on mettait tout dans la machine, on devait lire les process pour ensuite représenter les process sur les postes de travail et donner les pièces finies et assemblées pour ensuite répartir dans différents rayons de stockage dédiés à l’exportation des pièces pour les différentes entreprises partenaires
J’ai appris à changer des mises, électrodes de robots soudeurs et de robots assembleurs
J’ai appris à respecter les distances de sécurité, j’ai appris à travailler sur un poste à commandes numériques, à calculer les trajectoires et programmer la robotique
J’ai appris à assembler les traverses des pièces en tôle métallique sur une carcasse vide en début de production
J’ai appris à contrôler une pièce finie en bout de chaîne appelée le « contrôle qualité », il fallait suivre des gammes imagées, c’était une lecture de plan de tous les défauts faits pendant l’assemblage

C’est pas parce qu’on a pas de boulot qu’on a pas de désir

C’est pas parce qu’on est fatigués qu’on travaille pas.
C’est pas parce qu’on est que six au training qu’on peut pas se lancer quatre balles en même temps : une jaune, une bleue, une rouge, une verte.
C’est pas parce qu’on a fini d’écrire nos CV qu’on acquiert pas de nouvelles compétences.
C’est pas parce qu’on fait de l’art qu’on ne travaille pas.
C’est pas parce qu’on a que douze minutes qu’on peut pas faire un dessin immense.
C’est pas parce qu’on va pas à l’AFPI aujourd’hui qu’on ira pas à l’AFPI demain.
C’est pas parce qu’on a pas beaucoup d’argent qu’on peut pas se mettre tapis.
C’est pas parce qu’on a mal au genoux qu’on peut pas danser.
C’est pas parce qu’on a pas ses platines qu’on peut pas mixer.
C’est pas parce qu’on est indomptable qu’on peut pas aider les autres.
C’est pas parce qu’on est pas un poète qu’on peut pas écrire des rimes.
C’est pas parce qu’on a pas de boulot maintenant qu’on a pas eu, à nous tous, mille expériences professionnelles.
C’est pas parce qu’on a dix-sept ans qu’on est pas sérieux.

 

On se fait le portrait?

Soulever, tourner, couper
Préparer les flexibles de câbles pour carburant
Lire les process
Donner une pièce finie et assemblée
Changer des électrodes de robots soudeurs et de robots assembleurs
Respecter les distances de sécurité
Travailler sur un poste à commande numérique
Calculer les trajectoires et programmer la robotique
Assembler les pièces en tôle mécanique
Moi je sais cuisiner le bœuf bourguignon, les pates au saumon, le coq au vin, j’adore le sel, poulet aux olives, Tajine mais faut vraiment la main
Moi je suis manuel, j’ai déjà fait un salon de jardin en palettes

Moi je suis quelqu’un qui réfléchis beaucoup tout le temps
Je suis sans cesse dans l’apprentissage
J’apprends sur tout partout

Je sais mettre les pieds dans le plat : j’apporte des choses aux gens et les gens m’apportent
Je sais  cintrer et anti-voler
Je sais  ranger et mettre  en rayon
J’ai travaillé dans des Espaces verts
J’ai fait un stage de métamorphose
J’ai travaillé dans une écurie
J’ai était  plaquiste
J’ai graissé les roulements
J’ai installé l’électricité
J’ai coupé du bois

Le moto-cross je sais et j’aime ça
J’aime mixer, scratcher, des effets, des boucles, caler les morceaux, faire des CUT, je sais analyser des gens dans une salle, je sais les faire danser.
J’ai fait un bac pour la peinture en bâtiment,
Je ne sais pas tenir assis, faut toujours que je sois en mouvement,
Le sport de combat, pas la boxe avec le bras tendu, celle où tu peux faire tout ce que tu veux,
Le combat de rue, le premier qui te cherche : baston de rue
Je sais prendre le dessus mais j’ai du mal à m’arrêter

J’aime être sur scène
Comme la percussion, un jour avec mes enfants je sais que je pourrais leur montrer : eh regardez ce que je sais faire
Je suis fort en attaque dans le volley, j’attaque au fil tout seul mais sans passeur  c’est pas possible même sans équipe c’est pas possible, c’est collectif.
La muscu, je sais faire : développer/coucher
Je sais dessiner des cubes 

Je sais fendre au merlin pendant 4 heures– je me suis péter le dos à cause de ça
Je peux travailler dans un endroit qui pue comme une usine de traitement
Je ne sais pas porter un masque, l’odeur reste dans le masque et c’est pire
Je sais changer les filtres à huile, à air, à gasoil, à pollen, tous les filtres je sais changer
Je sais danser, à ma façon, libre, un mélange de libertés
Je sais faire l’acteur, jouer au foot, être attaquant et marquer les buts
J’aime cuisiner– j’invente les recettes : par exemple ce qui reste d’un repas je l’utilise pour un autre repas, j’invente autre chose – j’arrive à transformer.
Moi j’appelle ça un fouzytout .

Tout ce que j’ai fait, depuis dix jours, que je n’avais jamais fait

Dessiner les yeux bandés, raconter mon parcours quotidien depuis chez moi jusqu’au Phénix en m’attachant aux plus petits détails ; interviewer un groupe de terminales option théâtre et partager avec eux le plaisir de se dire que « nous aussi, on est montés sur la grande scène du Phénix » ; réaliser, très vite, le portrait dessiné de mes collègues qui se livrent à des joutes verbales toutes plus incroyables les unes que les autres ; apprendre les percussions corporelles avec Mourad (boum tak pidipaboum pam, boum papiditaboum boum pam, boum boum patiditi boum pa piditi boum papiditaboum boum pam) ; découvrir la vision du travail et les attentes (les rêves) de Yacou, Kevin, Kevin, Paul, Brandon, Steeven, Matthieu, Mathieu, Julien, Dylan, Rémi ; comprendre que pour certaines personnes, le travail c’est l’argent et que l’argent, c’est la liberté ; visiter plusieurs entreprises du monde de l’industrie et du travail posté (et ma foi je croyais qu’il y aurait plus de monde, qui travaillait, dans ces endroits) ; me laisser tomber dans les bras de quelqu’un que je connais à peine, les yeux fermés, sans avoir peur ;  feindre la colère, la surprise ou le rire jusqu’aux larmes (ah ça, c’est dur) ; monter sur un skate mou (et tomber de ce skate mou) ; poser, face caméra, de face, puis de profil dans la lumière fatiguée sans rien dire ;  expliquer ce que je propose, encore et encore, expliquer et justifier, convaincre, emmener, embarquer, mettre toute mon énergie pour que les choses, on les fasse ensemble ; prendre la parole pour soutenir et soutenir et soutenir encore : que quelque chose naisse!, une image!, un texte!, un dessin!, une danse! ; me souvenir que somme toute, quand j’avais 17, 18, 19, 20 ans, la vie me semblait ouverte et un peu effrayante aussi, mais quand même, le monde du travail n’était pas encore aussi hostile que celui d’aujourd’hui – même si, il faut le dire, c’était déjà pas terrible.

Je n’aurais pas pû faire ce travail avant, quand j’étais plus jeune, je me serais trop énervée. Mais aujourd’hui, je trouve ça formidable, la richesse des échanges avec Brandon, Dylan, Yacouba, Paul, Didier, Kevin et Kévin, Matthieu et Mathieu, Rémi, Marie, Marie et Marie-Lis, Steeven, Julien, Guy, Martine.

Moi, je serai prêt à bouger

BRANDON : Moi mon avenir je le vois comme ça :  travailler gagner ma vie acheter une maison et puis faire ma vie tranquille –  je suis déjà tranquille j’ai déjà ma copine il me manque juste la maison. Quand je dis gagner ma vie c’est profiter a mort le Maroc la Vendée le sud l’Alsace l’Espagne

Moi  je deviens fou quand je fais rien je me sens inutile quand je travaille pas j’avance pas

J’ai  pas un rond dans mes poches ça me terrorise  je suis le plus jeune j’ai  17ans et demi mais j’ai pas envie d’être encore en formation a 25 ans  moi j’ai déjà  fait plein de chose bucheron dans le bois de Raismes  livreur avec mon oncle je me levais a 3h du matin j’ai réparé des solex avec mon père je sais  faire plein de choses  c’est mon père qui m’a tout appris mécanique bâtiment  mon père sait tout faire  il démonte des horloge et les répare

Moi  je serai prêt  a bouger  :  Dylan dit en rigolant qu’il  aimerait  vendre du fromage en hollande mais moi  je serai prêt à bosser a Paris j’ai jamais aimé  l’école tout petit je faisais déjà des doigts d’honneur aux profs au travail je travaille mais a l’école je ne fais rien. L’école n’est pas faite  pour tout le monde j’ai grandi trop vite  j’ai appris des choses déjà  les erreur faut les faire quand on est petit  mais maintenant bon les conneries c’est derrière moi .