Il faut porter du chaos en soi pour accoucher d’une étoile qui danse.

Nos camarades ont dansé dans les commerces du quartier, du côté de la rue Jean Jaurès. On fait toujours ça dans les derniers jours des Portraits ou des Veillées (les ancêtres des Portraits). Marie S., Marie L. et Mourad ont parcouru la cité à travers tous ses commerces. Les commerçants nous ont dit qu’ils allaient nous faire un maximum de publicité parce c’est bien ce qu’on fait, disent-ils et que la ville de Lens devraient s’enorgueillir d’actions comme la nôtre (qui fait participer les gens) plutôt que de faire comme si les lensois ne s’intéressaient à rien d’autre que le foot. On a dansé dans tous les commerces sans exception. Si tous les gens qui nous disent qu’ils vont venir au film-spectacle, viennent, il va falloir rajouter des chaises. Cet après-midi, nous allons au club des médaillés présidé par Mme Cerjack que Lucien et Mari B. ont rencontré ce matin. Il est temps de préparer la conduite et de finaliser les montages. Le temps passe trop vite. C’est déjà la fin de ce Portrait. On ne voit pas le temps passer. Difficile d’être dans le temps présent. On n’arrête pourtant pas de se répéter qu’il faut profiter de l’instant.

Du passé nous n’avons rien appris, de demain tous les savoirs nous sont interdits.  

C’est pas parce que…

C’est pas parce qu’on travaille à Culture Commune qu’on habite la cité des provinces,

c’est pas parce qu’on habite la cité des provinces qu’on va forcément à Culture Commune,

c’est pas parce qu’on est dans la cité des provinces qu’on se sent lensois,

c’est pas parce qu’on est lensois qu’on aime forcément le foot,

c’est pas parce qu’on aime le calme qu’on ne regrette pas un certain temps festif,

c’est pas parce qu’on monte sur les terrils qu’on a pas le vertige,

c’est pas parce qu’on habite près du louvre-lens qu’on a envie d’y aller tous les jours,

c’est pas parce qu’on habite dans une cité minière qu’on a envie de vivre dans un musée,

c’est pas parce qu’on aime les chiens qu’on a pas peur des staffs américains,

c’est pas parce qu’on est conscient que les temps changent que l’on a pas envie de garder la mémoire d’ici,

c’est pas parce qu’une certaine nostalgie coure ici qu’on est passéiste,

c’est pas parce qu’on est un restaurant marocain qu’on ne peut pas vendre du tiramisu,

c’est pas parce qu’on aime le café qu’on apprécie pas le thé à la menthe,

c’est pas parce qu’on est une vieille dame qu’on est pas fan du stage Bollaert,

c’est pas parce qu’on est stagiaire en médiation culturelle qu’on ne peut pas être une danseuse confirmée,

c’est pas parce qu’on n’est pas une super danseuse qu’on ne peut pas être douée dans autre chose,

c’est pas parce qu’on aime les pigeons qu’on en mange pas un de temps en temps,

c’est pas parce qu’on fait du tir-à-l’arc qu’on s’appelle Robin,

c’est pas parce qu’on s’appelle Robin qu’on fait du tir-à-l’arc,

c’est pas parce qu’on fait partie du club des ainés qu’on est obligé d’aimer la valse, on peut avoir envie de s’éclater sur un bon tango.

Promesse de l’aube.

Sortie d’écoles. Une petite place sépare les deux écoles primaires et maternelles. On débarque sur la place avec notre sono portable et on lance les valses de Vienne. Très vite Didier tourne et tourne avec une dame qui est venue chercher son fils et qui attend devant l’école. Puis c’est Jérémie qui danse avec une autre dame et Marie L. et Marie S. et Guy, Lucien, Mourad. Toute l’équipe tournoie pendant tout le temps de la sortie des écoles. Les enseignant-e-s ouvrent des grands yeux et se demandent ce qui se passe. On pense à on achève bien les chevaux d’Horace mac Coy. On voudrait danser jusqu’au bout du jour. Puis Didier danse seul, tout comme Lucien. Un côté Fellinien, un côté Nani Moretti. On prend à pied la route du retour, musique à fond dans les rues de la cité des Provinces. Marie L. fait l’équilibriste sur les barrières en béton. Didier porte la sono portable mais lourde à bout de bras et valse comme on porte une partenaire très haut. On défile dans les rues comme des aviateurs d’une bataille sans issue mais glorieuse. Lucien a de plus en plus des airs de Romain Gary, dans Promesse de l’aube.