Un appaloosa, au coeur de la ville

 Ce matin, dans les rues, gros camions, grandes échelles et bonhommes dans les arbres: ça monte les guirlandes de Noël. Franc soleil. Froid perçant. Oreilles aux aguets, sous bonnet, direction le CNAC pour la suite de l’aventure à la Marnaise avec la 26ème promotion de l’école de cirque de Châlons.C’est drôle… La Marnaise… On est sous le périphérique et pourtant: ambiance feutrée, chapiteau douillet, chevaux qui s’ébrouent – un appaloosa, cheval d’indien, se fait brosser aux écuries, l’air de rien-, et déjà aux ateliers, cisailles tenailles et soudures en pagailles. Eric, Djamel, Yves et Jean-Charles ont un atelier nickel. Tout est propre, comme dans une cuisine de grand chef quatre étoiles. Au quartier général, on est à peu près à hauteur du pont où passe la route. Dans notre dos arrivent les camions. ça fait une drôle d’impression.

C’est drôle… La Marnaise… Microcosme au coeur de la ville, à deux pas du chapiteau en dur rénové qui flamboie, au bord de l’eau. Le Nau et le Mau sont les deux affluents de la Marne. A retenir pour jouer au scrabble. Ou pour faire des jeux de mots.

C’est drôle de sillonner les environs de la Marnaise, tracts en main, de discuter d’engagement, d’acte artistique et aussi de blessures, d’avenir, de coups durs, d’envies. C’est drôle, et c’est plaisant. Terriblement vivant, vivifiant, prenant. Cette promotion du CNAC est généreuse et enthousiaste, comme un grand vent qui réchauffe et qui porte. On est 18 à préparer la Veillée. A partir de lundi, on sera 21. Une sacrée équipe pour partager le goût d’aller vers l’autre, protéger l’appaloosa au coeur de la ville, rester surpris, à vie.

la vie est belle et vous êtes beaux

Belle deuxième représentation. On était tous brûlés mais tellement heureux. Deux représentations aujourd’hui. On se dit que le bouche à oreille va fonctionner et qu’on va faire le plein aujourd’hui encore. On joue à 17h30 et à 20h. Quel bonheur de voir les gens si joyeux de voir ce qu’on a fait de l’université d’Artois ! Mais on n’en a rien fait d’autre que ce qu’elle est ! La concrétisation d’une idée formidable ! Une grande université au coeur du bassin minier. Un lieu de savoir, de recherche et de transmission qui permet aux jeunes du département d’y accéder, d’y avoir droit. Une manière radicale de lutter contre le fatalisme et les détermines sociaux. Un lieu fort d’espoir et de vie ! On pense à nos camarades à Châlons qui travaillent dur eux aussi. Parmi les multiples actions-interventions de la journée, Marion va insuffler aux acrobates  son plaisir et son goût profonds de l’oeuvre d’Annie Ernaux avec qui elle entretient une correspondance depuis de longues années. A Arras on a rendez dans l’après-midi pour un dernier jour (qu’on aimerait sans fin) à l’ Université d’Artois. A la Maison des Etudiants.

après la première à la maison d’étudiant à l’université d’Artois à Arras

A Arras on a terminé la première représentation. On a pris en charge le nouveau groupe de danseurs pour les mettre au parfum de l’adage, cette danse lente qui conclut toutes nos Veillées. La deuxième représentation est bien entamée. On a eu à peine le temps de discuter avec les gens qui sortaient de la première représentation qu’il a fallu remettre ça. On dit tout le temps que le temps da la Veillée recouvre le temps d’avant le film spectacle, le film spectacle et le temps d’après le film spectacle. La  Veillée, c’est tout ça.  Alors on regrette toujours de n’avoir pas plus de temps. Pour être avec les gens. Comme si on voulait que ça ne s’arrête jamais. A Arras comme à Châlons, comme à Sartrouville, comme à Estrée-Cauchy… Après la première représentation, on nous a réclamé la liste des citations qu’on propose aux gens de nous dire à la caméra, après chaque interview ou lors d’une brève rencontre.

Mercredi après-midi: rencontre au SPIP, à Châlons

Aujourd’hui rendez-vous au Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP), pour discuter de la possibilité de rencontrer les détenus de la Maison d’Arrêt de Châlons en Champagne. La promotion de 15 circassiens souhaiterait proposer une présentation de 45 minutes pour nos amis les prisonniers, mélangeant acrobaties, voltige, bascule et toutes clowneries. Une manière de les faire s’évader de leur quotidien! Un spectacle uniquement pour les hommes, un deuxième pour les femmes. Tout se passera bien !

A Châlons, on est parti en voyage…

Mardi. Départ 13h50 devant la salle de danse du Cnac, on charge la voiture de Didier avec les instruments de musique, mais c’est Hervé qui conduit avec Morgane pour co-pilote, Luis, Théo et Juan comme passagers, direction rive gauche au centre social Dunant.
Jonathan, Quentin, Stefan et Alastaire arrivent à leur tour sur leurs montures à deux roues, décollage immédiat.
On retrouve David et Diana qui s’occupent du secteur jeunesse, on explique ce qu’on fait et pourquoi on est là, et tout de suite tout le groupe de jeunes part se changer. C’est un groupe très dynamique, qui s’appelle le « Young Crew », deux garçons et douze filles, ils ne se  connaissent pas tous depuis longtemps, ils font de la danse africaine et indienne, du chant, de la salsa, du hip hop, du jump, du douggy, du chakaléwa on ne sait pas ce que c’est et du double dutch, ça c’est comme la corde à sauter mais avec deux cordes. Ils font tous tout mais chacun a sa spécialité, c’est comme nous dit Morgan.
Et on parle du cirque, Diana dit : « J’ai la chance de voir les étudiants du Cnac quand ils arrivent en 1ere année et de les voir partir avec un gros potentiel de dingue ». Elle aimerait que les jeunes aient plus de lien avec eux car les spectacles du Cnac sont vraiment très beaux, magiques, ils font rêver et donnent beaucoup d’inspiration aux jeunes.
On parle de souvenirs de cirque, Yasmina nous raconte que quand elle était petite, elle a vu un homme qui sautait partout sur un cheval quand il galopait, elle se souvient de massues, de diabolos et des assiettes qui tournent. Lucie se souvient d’une trapéziste qui chantait en espagnol sur son trapèze fixe, elle aime le trapèze volant et du coup elle dit qu’elle est partie en faire pendant les vacances avec le collectif de la bascule. Alicia parle d’une femme qui glissait, montait et s’enroulait sur un foulard elle a trouvé ça trop beau. Et Edmor lui se souvient de garçons sur des motos qui s’amusaient à tourner dans une boule en acier, il a eu peur pour eux, car ils allaient vraiment vite.
On arrive à destination quand la musique commence à retentir: Stefan à l’accordéon, Quentin à la grosse caisse, Théo au trombone. » On a besoin d’une grosse basse « dit Diana, et on tape des pieds et un et deux, et trois clap clap. Luis prend la basse et permet à tous les coeurs de battre en même temps,  la musique commence à retentir grosse caisse, accordéon, trombone, on respire ensemble, on danse ensemble. On entend hip hop et la musique s’accélère, les chorégraphies s’enchainent et on danse encore.
On danse les chorégraphies, les solos, les duos qu’on a répété la veille, passage 1 collectif, passage 2 trio, passage 3 solo et encore solo puis duo. Et après on ne s’arrête plus, improvisation, freestyle, acrobaties, sauts, mains à mains  pas de pause. La musique se déplace, les cordes à sauter tournent et nous voilà à essayer de rentrer dans la danse entre ces deux cordes, les voix, les corps, des sauts, on tape dans les mains et Chaima rentre roue, saut, passage au sol et feuille morte, suivie de Camille qui rentre souplesse arrière et salto, suivi  par la roue de Lucie. L’espace devient encore plus grand et tout le monde danse devant, derrière, à gauche, à droite, les portes s’ouvrent, il fait chaud, on transpire. il y a encore plus de monde autour de nous mais ceux qui n’ont pas pris ce vol restent spectateurs. On continue à danser, on rit, on applaudit. J’avais l’impression d’être au CostaRica  dit Stefan, Morgane était en Guinée, et moi au carnaval de Rio.
On recommence encore et encore, on applaudit, on essaye, on rit encore et encore on fait des groupes et on recommence pour que la musique ne s’arrête pas. Quentin a mal au bras mais continue à taper. Les musiciens sont toujours là, j’entends Beirut et on glisse, on saute, on danse, on ne se pose plus de questions mais tous ensemble on danse, même les musiciens dansent, ils se déplacent, je les vois en haut sur une chaise mais la musique ne s’arrête pas. On est parti en voyage, on ne voulait pas rentrer au Cnac, on voulait juste rester encore un peu là bas, au centre social Dunant, rive gauche à Châlons en Champagne.

Mardi après-midi au Centre social de Châlons

« Il est 12h27, j’ai froid aux pieds, j’ai pas mis les grosses chaussettes » by Didier.

Cette après-midi on part au Centre social des jeunes avec Hervé. Une fois les instruments de musique, les massues et les étudiants étrangers chargés, nous voilà partis. 14H10, on arrive dans une petite salle, 15 ados tournent la tête vers nous, Diana leur animatrice nous dit « Ouf j’ai cru que vous ne viendriez pas! » Accueillis donc comme une bénédiction, la pression monte. Heureusement Hervé est là, il prend les choses en main. Après une brève présentation de leur centre et nous, de notre démarche, tout s’enchaîne très naturellement. Les jeunes nous parlent de toutes les danses qu’ils font, et nous font une démo de doogie. Avec notre grande expérience de musicien, on leur proposer de jouer la musique en live. C’est notre tour de leur montrer quelque chose, on se lance alors sur une choré apprise le matin avec Hervé. Une fois la choré et les improvisations finis, tout le monde est sur la piste, la musique ne s’arrête plus. Il n’est plus question d’adolescent et de circassien, mais simplement d’une énorme fête où les gens échangent et partagent leur art, leur savoir faire, sans aucune prétention. Plus de timidité pour eux et plus de réputation à défendre pour nous. Nous finissons l’après midi avec beaucoup d’émotions et un départ digne de ce nom en fanfaronnant dans les rues avec déjà le souvenir de ces jeunes qui nourrissent leur quartier de joie et de culture.