Une matinée a filé

Ce matin, brouillard sur la gare, grisaille et froidure à vélo. Sous le chapiteau, Julian fait des saltos arrivée crapaud (exprès). Danilo tourne comme un ciseau sur son tissu. Jonathan et Luis finissent leur séance de longe avec Vitek. Chiara travaille l’équilibre sur les mains, sur son fil souple, Aurélius en parade, attentif.

11h: nous nous retrouvons tous en salle polyvalente où les roues Cyr tourbillonnent. Nous nous séparons en trois groupes, deux groupes partent interviewer les professeurs, le troisième groupe danse avec Hervé. La matinée passe vite! Elle file!

Avant d’aller manger, quelques portraits chinois avec les étudiants des autres promotions et le personnel adminsitratif du CNAC.

Si Châlons était un prénom… Si Châlons était une recette de cuisine ou un plat… Si Châlons était une musique ou une chanson…

Il y a…

Il y a des yeux bleus qui font des clins d’œil. Il y a Annie Ernaux. Il y a sûrement des pays qui valent le coup. Il y a un voyage. Il y a une rencontre. Il y a des corps. Il y a de la danse. Il y a des saucisses. Il y a de la fatigue. Il y a… 103 ans. Il y a Thierry. Il y a un beau sourire. Il y a plein de chaises roulantes. Il y ala musique. Il y a le besoin du bonheur. Il y a l’envie de la mort. Il y a de la démence. Il y a le plaisir. Il y a les plateaux de Patrick. Il y a un hyperactif. Il y a une très belle affiche. Il y a un poignet fichu. Il y a un toreador. Il y a les dessins de Chiara. Il y a la dame qui trouve que Jules n’est pas beau. Il y a des portails fermés. Il y a Ayla qui photocopie toutes les cartes d’identité. Il y a Marion qui va en prison. Il y a Stéfan qui sèche. Il y des roux. Il y a tes têtes vides. Il y a le bruit du chauffage. Il y la joie –bis-. Il a Julian qui pensent que toutes les infirmières ne sont pas gentilles. Il y a la recherche. Il y a Morgane qui renifle. Il y a le triangle de Juan. Il y a la famille kosovare au petit Jard. Il y a le marché et ses citations. Il y a les pâtisseries orientales. Il y a des rencontres réelles. Il y a des chanteurs au Centre Social. Il y a le bar qui s’appelle « Le cirque ». Il y a Godot qui n’est pas arrivé. Et il y a encore beaucoup de mots que je ne comprends pas.

« Bonjour, ça va madame, tout va bien? »

La présentation à la maison de retraite a été pour moi une expérience particulière, un mélange d’émotions, dit Danilo.

Une grande maison, avec un beau jardin, une dame qui marche en cercle avec la tête toujours en bas, regardant le sol à chaque pas. Elle sort de la maison et en passant par le jardin elle arrive au portail et elle essaie de l’ouvrir. Elle n’arrive pas à ouvrir, alors elle entre à nouveau à l’intérieur de la maison. Avec notre présence elle arrête sa marche, lève la tête, et avec un regard méfiant elle scrute nos visages avec insistance, et très fixement.

« Bonjour, ça va madame, tout va bien? » on dit. Mais on n’a aucune réponse, seulement le silence et le regard méfiant avec une petite pointe d’agressivité.

Ce premier événement ne nous a pas rassuré quant à ce qui nous attendait à l’intérieur… Ensuite on a été bien accueillis par la dame qui travaille dans cet endroit. Elle nous a accompagné dans une grande salle où il y avait toutes les personnes âgées assises, formant un rectangle et laissant un grand espace au centre. L’ambiance était silencieuse et un peu tendue. Peut-être que c’était moi qui était tendu…

Avant de commencer la chorégraphie, je me suis senti comme un enfant nerveux cherchant du réconfort dans le regard du public. Réconfort que j’ai reçu,  d’une dame qui me regardait dans les yeux en balançant la tête et en souriant. C‘était comme un « déjà vécu et vu », comme une présentation à l’école primaire, lorsqu’enfant, je cherchais le regard de quelqu’un de ma famille pour me sentir moins nerveux et plus heureux.

A la fin de la présentation, on a filmé de petites interviews, on a fait les citations, et je n’arrivais pas à me lâcher. Je pense que la barrière de la langue me bloquait un peu. Je me suis donc placé comme simple observateur. Cela m’a permis de voir la joie qu’on a amenée dans ce lieu, qui bien que propre, sympathique et organisé, m’apparaissait comme triste et rempli de solitude. J’aurais aimé pouvoir faire plus pour ces personnes, rendre leur vie plus agréable.

En sortant on a recroisé la dame avec, dans les mains, l’invitation qu’on lui avait donnée en entrant.

 

 

Préface d’Annie Ernaux/ « Ecrire la vie »

« Ecrire est un présent et un futur, non un passé. (…) Comment définir cette entreprise d’écrire commencée il y a quatre décennies? Quel titre -qu’on me réclamait- pour la qualifier? Brusquement m’est venu, comme une évidence: écrire la vie. Non pas ma vie, ni sa vie, ni même une vie. La vie, avec ses contenus qui sont les mêmes pour tous mais que l’on éprouve de façon individuelle: le corps, l’éducation, l’appartenance et la condition sexuelles, la trajectoire sociale, l’existence des autres, la maladie, le deuil. Par-dessus tout, la vie telle que le temps et l’Histoire ne cessent de la changer, la détruire et la renouveler. Je n’ai pas cherché à m’écrire, à faire oeuvre de ma vie: je me suis servie d’elle, des événements généralement ordinaires, qui l’ont traversée, des situations et des sentiments qu’il m’a été donné de connaître, comme d’une matière à explorer pour saisir et mettre au jour quelque chose de l’ordre d’une vérité sensible. J’ai toujours écrit à la fois de moi et hors de moi, le « je » qui circule de livre en livre n’est pas assignable à une identité fixe et sa voix est traversée par les autres voix, parentales, sociales, qui nous habitent. Mais la vie ne dicte rien. Elle ne s’écrit pas d’elle-même. Elle est muette et informe. Ecrire la vie en se tenant au plus près de la réalité, sans inventer, ni transfigurer, c’est l’inscrire dans une forme, des phrases, des mots. C’est s’engager- et de plus en plus au fil des années- dans un travail exigeant, une lutte que je tente de cerner et de comprendre dans le texte lui-même, au fur et à mesure que je l’y livre(…). »

juillet 2011, préface du livre Ecrire la vie, Editions Quarto Gallimard, septembre 2012, p.7-8

 

Godot ou l’art de se mettre en colère

Didier explique: Godot ce n’est pas Dieu, ce n’est pas God, mais c’est sérieux. Godot, c’est la dispute, inévitable, quand on s’ennuie et qu’on attend, quand on traîne à table, les yeux perdus au fond de l’assiette, la tête dans les nuages, la solitude, vissée au coeur. Godot, c’est un néant, un étang, un rien, c’est maintenant, c’est après la guerre et les terreurs, le vide, béant, le vide vidé et le langage, troué, parce qu’à force d’avoir peur, on a même peur de l’autre. Godot, c’est un jeu, c’est du théâtre, c’est un arbre le long d’une route, c’est une histoire d’amour, tue, l’absence de deus ex machina, on filme, il y a la caméra. Didier donne la réplique. Chacun s’applique, s’emporte, s’empourpre et sort la voix. Avec leurs accents, leurs transitions, leurs attitudes, leurs passions, tous ont sacrément donné le ton…