Préface d’Annie Ernaux/ « Ecrire la vie »

« Ecrire est un présent et un futur, non un passé. (…) Comment définir cette entreprise d’écrire commencée il y a quatre décennies? Quel titre -qu’on me réclamait- pour la qualifier? Brusquement m’est venu, comme une évidence: écrire la vie. Non pas ma vie, ni sa vie, ni même une vie. La vie, avec ses contenus qui sont les mêmes pour tous mais que l’on éprouve de façon individuelle: le corps, l’éducation, l’appartenance et la condition sexuelles, la trajectoire sociale, l’existence des autres, la maladie, le deuil. Par-dessus tout, la vie telle que le temps et l’Histoire ne cessent de la changer, la détruire et la renouveler. Je n’ai pas cherché à m’écrire, à faire oeuvre de ma vie: je me suis servie d’elle, des événements généralement ordinaires, qui l’ont traversée, des situations et des sentiments qu’il m’a été donné de connaître, comme d’une matière à explorer pour saisir et mettre au jour quelque chose de l’ordre d’une vérité sensible. J’ai toujours écrit à la fois de moi et hors de moi, le « je » qui circule de livre en livre n’est pas assignable à une identité fixe et sa voix est traversée par les autres voix, parentales, sociales, qui nous habitent. Mais la vie ne dicte rien. Elle ne s’écrit pas d’elle-même. Elle est muette et informe. Ecrire la vie en se tenant au plus près de la réalité, sans inventer, ni transfigurer, c’est l’inscrire dans une forme, des phrases, des mots. C’est s’engager- et de plus en plus au fil des années- dans un travail exigeant, une lutte que je tente de cerner et de comprendre dans le texte lui-même, au fur et à mesure que je l’y livre(…). »

juillet 2011, préface du livre Ecrire la vie, Editions Quarto Gallimard, septembre 2012, p.7-8

 

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