J’aurais jamais cru

C’est la 22 ème année d’ Hvdz. Tous les ans des spectacles, des formations, des stages, des ateliers de coconstruction avec les gens. C’est tellement long, qu’on ne se souvient évidemment pas de tout.
Notre base de travail a toujours été la même. Il n’y a plus aucune raison raisonnable que ça change. Liés à Culture Commune pour des siècles et des siècles. Notre atterrissage à Culture Commune a tout changé. L’existence de la compagnie sur ce lieu a déterminé son essence.
Et ça continue.
Rien n’aurait été fait par Hvdz sans la révélation bourdieusienne que fut notre collaboration avec C.C. Révélation personnelle et incidence déterminante dans nos choix de réflexions artistiques et de créations avec les populations. On ne sait rien ou si peu et c’est de ces dialogues avec les personnes des cités populaires en priorité qu’on va apprendre et reconstruire. On se fait la courte échelle pour s’élever. Tout seul, on n’y serait jamais arrivé. Et de toute manière, c’est comme ça que ça se fait. L’égoïsme profond et l’individualisme consumériste qui constituent la réalité de nos vies sont contraires au sens même de la vie, du bien être et du sens commun.

Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage. J. Jaurès

Ça chauffe

C’est une vraie victoire. On a quasiment terminé la lecture de la République de Platon. On en est au livre VII, le plus intéressant, paraît-il ? Quoiqu’il en soit, se taper Platon, la République, en pleine canicule, quand on n’est pas philosophe, est un défi olympique. Ne pas se réjouir trop vite, on n’en a pas fini, il nous faut avaler encore trois livres ou quatre. On dira trois. C’est du costaud. Socrate parle tout le temps. Certes, c’est construit comme une pièce de théâtre, en dialogues mais les autres personnages disent très peu de choses. La République est l’oeuvre la plus problématique de Platon. Elle est parfois à l’opposé de tout ce qu’il a écrit par ailleurs (c’est ce qu’en disent les spécialistes, et ça ne nous avait pas non plus complètement échappé). Socrate discutent avec ses partenaires d’une cité idéale. Plus on avance dans l’oeuvre, plus la cité en question prend les allures d’une dictature dont les dirigeants et dirigeantes seraient des philosophes, qu’on éduquerait et sélectionnerait dès l’enfance pour leurs qualités d’éducation et d’apprentissage (de la philosophie). Il s’agirait donc de mettre au pouvoir des tyrans philosophes auxquels obéiraient l’armée et les productifs. Chacun à sa place et les moutons sont bien gardés. Celui ou celle qui se hasarderaient à vouloir changer de corps de métier ou de classe serait empêché.e.s de tous les manières possibles. On ne nous avait pas prévenu. On savait bien qu’il existait un hiatus avec la République de Platon. Mais là, quand même, c’est exagéré, comme disait Raymond Barre à propos de Céline.

where is my mind ?

Un mobil home pas loin de la mer. Pas à côté non plus, à  une quinzaine de kilomètres. Dans le boulonnais. Ou dans les Flandres. Un truc assez loin de tout quand même. Du coup, ce sera mieux dans le boulonnais. Ça n’empêche pas de faire du théâtre. Yves Brulois s’est installé à Marquise les Boulogne, depuis presque vingt ans et il fait toujours du théâtre. Partout, dans les écoles, les salles des fêtes, les granges, les cafés, les théâtres. Comme on fait les Veillées. Enfin, l’idée n’est pas celle là, théâtre ou pas, c’est égal ; on voudrait faire comme Henri David Thoreau dans Walden (s’éloigner du commerce des hommes) ou s’égarer comme dans  le film into the Wild de Sean Pane. Eviter tout de même les baies sauvages quand on n’y connaît rien. Aller de préférence chez U ou ce qu’il y a de ce côté-là. Et puis il n’est pas question d’aller en Alaska. Juste du côté de Boulogne ou de Dunkerque. C’est un Henri David Thoreau étrange qu’on a dans la tête. Aurait il accepté d’être dans un mobil home puisqu’il avait construit lui même sa baraque au milieu des bois ? Tout est dan son livre magnifique (mais assez dur à lire), Walden. Ou alors comme dans Littel Big Man, monter en haut d’une montagne, d’un terril (du côté de Thérouanne), s’allonger et attendre. Redescendre si rien n’arrive. Mais alors attendre des journées complètes. Et retourner au mobil home, et en passant acheter quelques noisettes chez U. En imaginant peut-être une prochaine veillée-création-théâtre-danse-cirque-engagement-solo-duo-trio-no border-à six-wulverdingue-éperlecques-trouble-close-to-me-école-de-cirque-de-bruxelles-superstrat-st-denis-de-la-réunion.

Plouf !

L’été, on allait tous les jours à la piscine de Lillers (62), une piscine gigantesque (de style ouvrier) très colorée et de plein air,  à sept kilomètres des corons de la cité 3 de Ferfay et à une vingtaine de kilomètres de Béthune qui n’avait pas de Centre dramatique National à l’époque. Le C.D.N a connu cette saison une grosse zone de turbulences puisque toute l’équipe (ou presque) s’est mise en grève pendant quinze jours pour des raisons de souffrance au travail. Ce lieu est passé par mille configurations. C’était un local désaffecté après avoir été un cinéma d’art et d’essais, où ont eu lieu des débats aujourd’hui légendaires, avec des membres de la Fraction Armée Rouge, par exemple. Avant cela et pendant des années, c’était un cinéma pornographique. Aujourd’hui il y a une immense bâtisse noire (le C.D.N) ; on a gardé le pan de mur de la façade de ce qui fut le cinéma Le Palace. Le C.D.N se situe en face du théâtre municipal. Deux grands théâtres dans une ville moyenne, un véritable tour de force des élus dont Daniel Boys, longtemps premier adjoint et adjoint à la culture du temps de la municipalité de gauche socialiste. Quant à la piscine de Béthune, c’est un joyau, même si je vais plus volontiers à Nautica à Liévin. La piscine de Bruay Labuissière est cependant la plus belle de la région, style art déco. Une magnifique oeuvre d’art. En face du Bookafé. A Lillers, il n’y a plus qu’une petite piscine couverte, dans le quartier du Brûle.

On en parle tout le temps mais rien ne change

Derniers jours du festival d’Avignon. Les festivalier.e.s laissent la place aux touristes. Les artistes et les technicien.ne.s du off quitteront Avignon, après tout le monde, épuisé.e.s de fatigue, de bruit, de stress et de chaleur. Les plus jeunes continueront par le festival d’Uzest (chez B. Lubat), le festival de Vaour pour finir à Aurillac. Ensuite il s’agira de se préparer pour les présentations de saison. Tout cela devrait se tenir mi septembre et les programmations dans les théâtres et en dehors des théâtres comme nos Veillées démarreront dans la foulée. Dans le journal Libération de ce jour, une page entière  est consacrée à la popularisation de l’art en général. Cela est, dans les conditions actuelles, un véritable mouton à cinq pattes (une aporie). La popularisation de l’art ne se fera (alors que l’art contemporain et le théâtre ne sont fréquentés que par les élites cultivées) que si l’on change véritablement les valeurs de nos sociétés. Pour cela il nous faudrait un autre mai 68 ou quelque chose comme ça. Mais ça n’en prend pas le chemin. Pire, on tourne le dos à toutes les tentatives de changer le monde.

No Border

Partout où Nadège lit le texte du prochain spectacle de la Cie Hvdz qu’elle a écrit, No Border, elle emporte l’adhésion des publics, comme à Avignon, Clermont Ferrand, Fléchin etc. Les salles sont combles et le public bouleversé. Ça n’est jamais arrivé qu’on prévoit la mise en scène d’un spectacle dans la saison et que le texte, écrit sur commande pour le spectacle, défraye la chronique avant sa création. Comme disait Eric Lacascade, quand nous formions une paire de metteurs en scène et que nous mettions en scène des textes classiques renommés, au moins on est sûr que c’est un bon texte. Avec un texte contemporain, tout beau, tout neuf et tragique, cela n’est jamais arrivé. Donc il nous faudra être très habile dans la construction du spectacle pour ne rien enlever à la qualité de ce texte qu’aujourd’hui déjà un nombreux public a pu lire et entendre. Inch’Allah !

Tu es plus belle que le ciel et la mer

Quand tu aimes il faut partir
Quitte ta femme ton mari quitte ton enfant
Quitte ton ami quitte ton amie
Quitte ton amante quitte ton amant
Quand tu aimes il faut partir

Le monde est plein
De femmes d’ hommes d’ hommes de femmes
Regarde les beaux magasins
Ce fiacre cet homme cette femme ce fiacre
Et toutes les belles marchandises

II y a l’air il y a le vent
Les montagnes l’eau le ciel la terre
Les enfants les animaux
Les plantes et le charbon de terre

Apprends à vendre à acheter à revendre
Donne prends donne prends

Quand tu aimes il faut savoir
Chanter courir manger boire
Siffler
Et apprendre à travailler

Quand tu aimes il faut partir
Ne larmoie pas en souriant
Ne te niche pas entre deux épaules
Respire marche pars va-t’en

Je prends mon bain et je regarde
Je vois la bouche que je connais
La main la jambe l’œil
Je prends mon bain et je regarde

Le monde entier est toujours là
La vie pleine de choses surprenantes
Je sors de la pharmacie
Je descends juste de la bascule
Je pèse mes 80 kilos
Je t’aime

Blaise Cendrars, Feuilles de route, 1924