Danser à Intermarché

On a fini par Intermarché. Hier soir, on voulait aller à la sortie du lycée distribuer quelques flyers-invitations et faire les portraits-citations (on demande aux gens de poser quelques secondes devant la caméra avec une citation sur une feuille A4), mais ça n’a pas été possible à cause d’un coup de feu intempestif dans le quartier qui a semé la panique et la peur. On a cherché un autre endroit, Marie S., Damien et Lucien sont allés au centre commercial Intermarché sur la route de Béthune, à la sortie de la Cité des Provinces, demander l’autorisation de filmer et danser dans la galerie marchande du supermarché. On y est tous arrivé quarante minutes plus tard. On a trouvé une place entre deux magasins (pour ne pas gêner le commerce) et on a étalé nos citations comme un stand de petites phrases poétiques. Marie L. et Mourad ont dansé. Et tout le monde a distribué des prospectus en invitant les clients à s’emparer d’une citation, pour participer au film-spectacle. Camille, qui réalise un doctorat sur la culture et le territoire à l’université d’Arras, nous a accompagnés durant tout l’après-midi. Elle a fait du porte à porte avec Marie S. et Lucien et participé à notre action à Intermarché.

Recup Tri, leçon de vie

Tous à la tâche. Partout dans la cité des Provinces. Danses à la sortie des écoles et dans les cours de récréation. Rencontres et conversations filmées avec les ouvrier-e-s de Recup Tri sur les chantiers des maisons en rénovation de la cité des Provinces. On regrette le temps des mines. Pour quelques un-e-s, la fin de l’industrie minière correspond à une transformation radicale du territoire et la perte de valeurs sociales, de convivialité et de camaraderie. On leur a demandé si ils auraient accepté d’être mineur de fond. Tous nous ont répondu par l’affirmative. Certains nous font bien comprendre que si pour eux la vie n’a pas toujours été facile, parce qu’ils ont eu beaucoup de mal a trouvé un travail stable, une vie stable, tout aurait été différent s’ils avaient été mineurs. La fermeture des mines est une catastrophe économique et sociale dont le territoire et les hommes et les femmes du bassin minier du Pas de Calais ne se sont pas remis. Didier C. d’Hvdz dit que nous sommes l’avant-garde de ce que deviendra le pays dans les décennies à venir si on ne change pas de société, de système. Quitte à transvaluer nos manières de vivre ; nos vies valent mieux que les profits des capitalistes. Passer du pouvoir de l’argent et de la consommation à la recherche de formes de vies plus justes et égalitaires, basées sur l’épanouissement et la qualité de vie de chacun. Une vie fondée par l’échange, la générosité et le partage.

Rapetissement du temps et de l’espace

Ici, dans la Cité des Provinces, il existe des failles spatio-temporelles.

Hier, nous avons vécu trois saison en une journée : matin hiver, midi automne, soir printemps. Ce matin, on pourrait croire que l’été sera là cet après-midi.
D’une porte à une autre, on a parfois l’impression d’avoir radicalement changé de lieu : quand un habitant nous affirme que son quartier est laid, bruyant et déplaisant, sa voisine nous vante les mérites de ce très beau quartier, paisible et joyeux.
Hier aussi, nous proposons à une habitante de revenir la voir dans une demie-heure pour une petite interview. A notre retour elle dit : « Il y a parfois des minutes qui paraissent des secondes ! »
Au QG, le planning qui affiche un premier rendez-vous cet après-midi à 13h50 indique juste après une intervention à 13h20. Il faudra songer à remonter le temps.

Ici comme ailleurs, on prend conscience que décidément, l’espace et le temps ne sont pas des sciences exactes, ni des phénomènes objectifs.

Inventaire

Je suis partie marcher seule pour comprendre ce qui nous entoure, scruter les détails, tenter l’impossible inventaire des formes de maisons.
Il y a des rues larges au milieu desquelles on peut marcher sans croiser trop de voitures et des petits chemins herbeux entre deux lots de maisons. ça vaut la peine de les traverser pour voir l’arrière des maisons et les formes innombrables d’extensions que les gens se sont faites construire.
J’ai vu des fenêtres murées et des façades fleuries.
J’ai vu au moins deux façades décorées avec des papillons.
J’ai vu des jardins touffus, des presque forêts, des gazons précisément tondus, des pelouses constellées de paquerettes.
J’ai trouvé des endroits où on pouvait entrer, d’autres où je suis restée dehors.
J’ai vu des travaux, souvent.
J’ai vu trois désespoirs du singe.
J’ai vu toutes sortes d’arbres, taillés ou non taillés.
J’ai vu des cuves pour récupérer les eaux de la pluie.
J’ai vu des fleurs, des arbres en fleur, deux personnes qui s’enlaçaient, au loin, au sommet du terril.
J’ai vu des mousses jaunes sur le ciment de l’école et des restes de neige non fondue sur l’herbe.
J’ai vu le ciel du mois de mars.
J’ai entendu des chiens japper dans les maisons, aboyer derrière les haies. J’en ai même entendu un laper bruyamment dans une bassine d’eau.
J’ai vu les trois premiers enfants de l’école sortir en récréation.