Etre ou ne pas être…

Mercredi après-midi, atelier théâtre avec le groupe fixe, on a fait des photos en rafales pour les stop motion. Tout le groupe y est passé. Chacun avec un mouvement particulier, de danse, de marche ou de sport. D’autres performances photographiques ont été menées avec tout le groupe. Jérémie a continué à faire des photos individuelles dans le couloir des cellules. Guy a pris en charge le reste du groupe et pratiqué des exercices de théâtre. Quelques participants ont déjà fait du théâtre et ont proposé des exercices. Choisir un pseudo et un geste et appeler un camarade qui répond par son pseudo et son propre geste avant d’interpeller de la même manière quelqu’un d’autre. On a continué le jeu par des exercices de confiance. Le jeu de la bouteille. On se place au milieu du groupe et les yeux fermés, bien plantés sur ses pieds, on se laisse tomber d’un côté et d’un autre. Les camarades sont très vigilants et rattrapent la personne pour la replacer au milieu du cercle. A tour de rôle, chacun se retrouve au centre des autres. Puis on s’est assis et on a discuté sur le théâtre, le but et l’intérêt de chacun de participer à un atelier de théâtre.

 

Patience, énervement, beauté…

On retourne l’après-midi à la MAFM.

Cet après-midi, il est prévu que Guy et Jérémie aillent à la bibliothèque pour rencontrer les personnes qui descendent consulter les ouvrages. Deux groupes sont prévus. C’est Elise de « Lire c’est vivre » qui s’occupe de ce créneau. Didier, Josépha, Foulé et Marie partent rencontrer un groupe de personnes qui font de la musculation.

Tout est prévu ainsi mais tout ne se déroulera pas comme prévu.

C’est aussi cela la détention. Les personnes détenues faisant de la musculation ne souhaitent pas du tout être dérangées pendant leur activité. Ils ne peuvent faire du sport que 2H tous les 15 jours dans cette salle et cela est très important pour eux. Il est, en fait, inenvisageable pour eux de ne pas pratiquer leur sport. L ‘équipe comprend très bien cet état de fait et part rejoindre le reste de l’équipe à la bibliothèque.

Guy et Jérémie ont prévu plusieurs protocoles avec les personnes qui viennent chercher des livres. Beaucoup d’entre elles ne souhaitent pas être filmées ou prises en photo. L’image est quelque chose de complexe en détention. Cela n’empêche pas un intérêt pour le projet. Guy propose donc qu’ils choisissent dans des livres d’art une œuvre qui correspond à leur état d’esprit. Cela fonctionne plutôt bien et permet d’enclencher des conversations. Ils nous disent que, pour eux, c’est important de discuter avec des personnes extérieures parce qu’entre eux, ils ne parlent que de leur vie en détention, des problèmes de la détention et cela les fait tourner en rond. Ils sont contents de parler avec nous. Marie demande à tout le monde, personnes détenues, équipe HVDZ et personnels du SPIP, à la fin de la séance, de donner trois mots qui décrivent leur journée. Les voici : patience, énervement, beauté, studieux, angoisse, froideur, conviviale, rigolote, dynamique, sociale, comique, routine, routine, routine, agréable, gente féminine, joyeuse, contradictoire, enfermée, énergique, calme, tranquille, extraordinaire, aimable…

On retrouve notre groupe

Aujourd’hui nous sommes moins nombreux, trois membres du groupe se sont inscrits au secourisme. Avant d’y aller ils viennent nous dire qu’ils ne viendront pas avec nous parce que c’est important pour eux d’avoir leur diplôme. Nous sommes sensibles à leur attention et comprenons bien qu’ils veuent finir ce qu’ils ont commencé. La priorité est donnée à Jérémie pour qu’ils fassent des images. Nous sommes dans la salle multicultuelle qui est beaucoup plus grande que la salle dans laquelle nous sommes habituellement. Ça tombe bien ! Jérémie leur propose de photographier les mises en scène de leurs souvenirs : partir pour la première fois au mitard, s’écrouler après le sport, passer sa première nuit en prison avec le voisin qui tape au mur…Tout le monde se prête au jeu avec enthousiasme sous le regard dubitatif du surveillant. L’après midi se poursuit avec des portraits et des prises de vue dans le couloir, entrecoupées de conversations vives et enjouées.

Lire, c’est vivre…

Martine, Guy et Marie sont partis rencontrer les personnes détenues qui font partie du cercle de lecture animé par Luc et Danielle. Ils se réunissent pour lire à haute voix des textes proposés par les animateurs bénévoles de Lire c’est vivre. Luc donne des explications sur les textes, historiques, philosophiques, des explications sémantiques, etc.

L’équipe d’HVDZ commence par expliquer son projet de veillée dans la maison d’arrêt. La spontanéité des Veillées classiques n’est pas possible ici car nous devons, pour ceux qui veulent bien être filmés, leur faire remplir deux autorisations de prise de vue , leur demander leur numéro d’écrou et leur faire signer une feuille d’émargement. Leur demander sous quel nom ou pseudonyme, ils voudront apparaître dans le film, leur demander pour apparaître sur internet, etc. Ici, Les enjeux en terme d’image de soi ne sont pas les mêmes.

Puis nous devons séparer le groupe en deux, des deux côtés de la table, ceux qui peuvent apparaître à l’image, ceux qui ne peuvent pas.

On est là 3H, on reste 3H, on les verra 3H. C’est finalement peu pour créer un lien et une confiance véritable, comme on peut le faire, petit à petit, avec notre groupe fixe, avec lequel nous travaillons depuis début mars, tous les mercredis.

Aujourd’hui, ils lisent Gradiva, Fantaisie pompéienne, de Wilhelm Jensen. Luc commence par leur parler de Freud. Puis ils entament la lecture à tour de rôle. Un calme et une écoute réelle s’installent.

On entend juste le lecteur. On est dans une bibliothèque…sauf que de temps en temps, les bruits de la prison se rappellent à nous : des bruits de barreaux, les douches que l’on entend et qui fuient dans la bibliothèque, les étagères ont du être bougées pour que les livres ne soient pas mouillés, des cris au lointain dans la cour de promenade.

Ils lisent, certains ne comprennent pas le texte, certains font très bien le parallèle entre Freud et la lecture de Gradiva.

Ils lisent, ils lisent à tour de rôle dans ce silence coupé.

Puis, on demande s’ils peuvent s’arrêter. On voudrait leur parler. Ils nous parlent de la lecture, ce que cela leur apporte. Nous sommes étonnés quand un jeune détenu nous dit que, lui, ce qui lui a fait aimer la lecture, c’est de lire Hamlet dans sa cellule. Il aime lire le théâtre, il aime Shakespeare. Avant la détention, il n‘avait fait ni vu de théâtre.

On passe ainsi la fin de la séance à parler de lecture, de la société, des discussions envolées…On part assommés et grandis, c’est sûr…

Marion, Cécilia, Josepha et Foulé…

Nos relais à la Maison d’Arrêt, celles qui nous accompagnent et nous expliquent les codes, comment faire dans ce nouvel environnement, sont des jeunes femmes.

Il y a Marion qui est coordinatrice culturelle et Cécilia qui est assistante culturelle du Pôle Culture du SPIP 91 / Association Léo Lagrange Nord IdF à la Maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Ce sont elles qui nous ont aidé à monter tout ce projet.

Josépha et Foulé font, quant à elle, leur service civique au SPIP. Josépha s’occupe de culture et Foulé s’intéresse au sport. Elles nous accompagnent régulièrement dans notre salle d’activité.

Du 11 au 15 avril, on est tous à Fleury Mérogis…

Guy, Martine, Didier, Jérémie et Marie sont partis pour une semaine intensive à Fleury-Mérogis. Le but étant de continuer à travailler avec notre groupe fixe mais aussi de rencontrer d’autres personnes dans le bâtiment D1. Celles qui font des activités par exemple. Nous allons rencontrer le groupe de lecture, le groupe de réinsertion, le groupe de musculation, le groupe d’arts plastique, le groupe documentaire et société, etc

Le théâtre de l’Agora nous loge dans une énorme maison à Ris-Orangis. C’est grâce à Airbnb que nous sommes dans un cadre très agréable pour travailler. L’équipe l’appelle le manoir…On culpabilise un peu parfois quand on revient de la Maison d’arrêt pour aller dans notre « manoir »…

Ce qui est sûr, c’est que cette expérience commencée en mars nous touche et nous déstabilise.

Aujourd’hui et demain

La séance commence avec du retard, on ne sait pas pourquoi les surveillants n’ont pas pu nous amener les participants à l’heure. C’est comme cela.

Didier prend les 3 personnes détenues qui n’avaient pas fait leur interview dans la deuxième salle.

Pendant ce temps, Marie reste avec les 8 autres. Marie leur redit qu’ils vont faire un spectacle. Que les exercices serviront à créer ce spectacle et les textes.

Il faut penser à leur expliquer régulièrement comment cela va se passer car il est certain qu’ils ne réalisent pas bien encore que la finalité est un spectacle sur un plateau.

Elle leur demande d’écrire un portrait d’eux dans 10 ans avec pour consigne de se décrire physiquement, psychologiquement et de dire où ils seront à ce moment-là. Le tout en exagérant s’ils le souhaitent. Certains écrivent plus d’une page, d’autres moins mais tous le font.

Les portraits se ressemblent un peu : les traits communs à chacun : Sortir de prison, se marier, faire plusieurs enfants, avoir un travail qui lui permette de bien gagner sa vie et de s’acheter une maison.

Conversations filmées

Nous avons scindé le groupe en 2. On se retrouve dans une salle similaire à la salle habituelle .

Je leur propose d’écrire un souvenir ou un rêve pendant que j’interwiewe l’un d’entre eux , I. vient s’asseoir tout de suite devant moi sur la chaise en mettant ses biceps musclés bien en avant . Je lui montre que le plan est très serré et qu’on ne verra que son visage . Il me propose de l’élargir un peu. Je n’avais pas remarqué l’inscription en craie rouge au dessus de sa tête « Merde à la Bac » je garde donc un cadre très serré .

Ibrahima fait six heures de musculation par jour parce qu’il trouve que c’est joli , joli pour lui mais aussi pour les autres vous voyez ce que je veux dire ? me dit-il

Moi : «  Euh non « .

Bah pour les filles .

Les autres écoutent et sont très attentifs à ce qui se dit , aux questions posées à tel point qu’ils n’ont rien écrit du tout pendant la conversation avec I.

L’un deux me dit qu’il n’a pas de souvenir hormis des souvenirs flous alors j’insiste :même si c’est flou on devine des formes des mouvements, des anecdotes.

« Vous voulez me faire dire des trucs mais dans mon souvenir je vois le ciel flou ,que le ciel .Je peux vous raconter un truc qui s’est passé il y a un an ou deux mais je n’ai pas de souvenir d’enfance .

D’accord et les rêves tu te souviens d’un rêve ?

Non je fais des rêves noirs.

Des cauchemars ?

Non des rêves où tout est noir. »

Deux d’entre eux racontent directement un souvenir à la caméra et c’est S. qui se propose pour la conversation filmée.

S. parle de son parcours, des 2 années qu’il a passées en Algérie, de son goût pour la cuisine. Il a repris ses études là ou il les avait arrêtées et envisage une formation en cuisine. On retourne ensuite à la lecture des textes de Beckett. I. et H. en lisent un ensemble.

Ceux qui ne sont pas encore passés expriment leurs craintes de dire des « conneries » qui pourraient les desservir . Je les rassure en expliquant qu’il s’agit vraiment de les mettre en valeur .

A Fleury, le lendemain des attentats de Bruxelles…

C’est aujourd’hui la première séance d’interviews, de conversations filmées. Nous serons dans deux salles séparées; n’interviewer qu’une seule personne détenue à la fois, ce n’est pas possible, cela va jouer dans ce qu’ils vont nous raconter.

A priori au 3ème étage, lieu des ateliers, étaient prévu deux salles, il semblerait qu’une seule soit disponible, insistant sans insister, le surveillant nous dit qu’en fait la salle 2 était occupée ce matin et non cet après midi. Bref nous avons deux salles, mais nous prendrons les personnes détenues ensemble dans la salle habituelle de 13h30 à 14h40.

A 14h40 un surveillant conduira 5 détenus et Didier dans la salle 2. Il faut savoir que les détenus viennent des trois ailes différentes du même étage : la M, la D, la G.

Un peu compliqué, un peu long, de la patience et on y arrive.

Nous nous retrouvons tous dans la salle cellule habituelle.

Tous ensemble, nous expliquons aux nouveaux le pourquoi et le but de notre présence.

Nous donnons des précisions sur les interviews. Les 2 groupes se séparent.

 

 

 

 

 

 

EXTRAIT D’UNE REVUE : ARTICLE « LE TEMPS SUSPENDU » édité dans la revue Terrain de Manuela Ivone Cunha

Présent, passé et futur deviennent des réalités discontinues. Le passé et le futur n’étant situables que dans la temporalité extra-carcérale, le présent pénitentiaire apparaît comme un temps non progressif, où s’écoule une durée indifférenciée. Celle-ci est scandée non par des unités calendaires en tant que telles, mais par les moments périodiques reliant les détenues à l’extérieur. Le mode d’estimation du temps varie selon les étapes de progression dans la peine, le temps vécu semblant se contracter ou se dilater. Mais si le temps en prison est perçu comme problème, c’est parce qu’à l’extérieur, le monde change à un autre rythme.

« Dehors je passais le temps, ici c’est le temps qui me passe »