On s’affaire à tout va

On est dans  le jus jusqu’au coup. Tous au cube à fignoler les derniers détails du Portrait. Ça écrit, ça monte, ça taille dans les textes, ça charge, élague, ça danse sur et avec Raphaëlle. Jean Louis monte le décor à la salle des fêtes, la mairie nous a ramené des praticables, genre pour faire une scène mais on ne peut pas les assembler. Donc on a organisé une réunion du collectif et de tout le collectif pour savoir dans quelle direction on pourrait jouer et de quelle façon combler les trous entre les praticables. On a imaginé y mettre des barres de fer qu’on pourrait souder à l’arc électrique et qu’on visserait dans le bois. Et on poserait un plancher flottant recouvert d’un tapis de danse. Jean Louis pense qu’on est pris par le temps et qu’il faut trouver une autre solution. On pratique un exercice de concentration et de bien être physique et on replonge dans la réflexion. On fait venir Clément de la direction technique de la mairie pour avoir un avis supplémentaire. Très vite on tombe d’accord. On va poser le tapis de danse sur le carrelage et les lecteurs se placeront sur une série de trois praticables placés l’un devant l’autre. L’écran de la salle nous servira d’écran pour le film-spectacle. Les spectateurs prendront place devant le tapis de danse sur des chaises en quinconce et dans le fond de la salle sur des pratos placés en toute sécurité, délimités par des rubalyses et des tapis de gym de saut à la perche.

Conduite du film-spectacle Portrait Croisilles Hvdz Nov 2021

Pas de Porte 1 1’00 Comité des Habitants sur les deux écrans Texte 1 danse Lucille au sol images Béné 1’30 Rémi et Caroline (centre social) images Béné Supermarché 1’00 Ghislaine et Nicole images Béné 3’40 Raphaëlle deuxième écran blanc danse des mains Doro-Mourad 3’06 Pas de Porte 2 1’00 Christelle et Caroline images Béné 3’00 Si Croisilles était un plat… sur les deux écrans 3’15 Si Croisilles était une musique… sur les deux écrans 5’10 Textes 2 les objets 2’00 Portraits Citations Danse Mourad 3’00 Claude Vie Active sur les deux écrans 4’30 Réfugiés 1 Cassandre et Corinnne Images Béné Réfugiés 2 Remi et Caroline Images Béné Le prof de musique Images Béné Godot 2’30 Nuits 2’00 Sports 1’00 Katia Images Béné Aelita Images Béné Pas de Porte 3 1’30 Les bêtises 0’30 Serge Textes 3 Les Visages danse Lucille et Doro 1’30 Famille Cook un écran blanc avec adage à trois 3’04 Geneviève et Robert un écran blanc avec adage à trois 1’58 Aire de jeu 0’40 Jean Lévêque et Denise images Béné 2’53 Les Baguettes Magiques Prénoms 2’00 Feuilles 2’00 Mas 3’00 Citations

Qu’est ce qu’on fait de ça ?

On s’est déjà posé la question sur d’autres territoires : qu’est ce qu’on fait lorsque l’on tombe sur un avis qui va à contre-courant de la pensée globale ? Quand au moment d’un porte à porte on nous dit « j’espère que ça ne sera pas un portrait tout rose, parce que c’est pas toujours tout rose ». Lorsque ça arrive, c’est hors caméra, souvent sur un temps informel, on ne peut pas le montrer dans le film mais on peut en parler sur le blog. Parce que occulter ce genre de moment, c’est c’est masquer une part de la réalité.  Et c’est tout aussi important pour nous d’écouter les divergences, parce que ça fait partie de ce qui dessine le portrait.

On voit des personnes qui sont profondément en désaccord. Il y a aussi les on-dit.  ll y a celles qui sont fatiguées d’avoir essayé de trouver un terrain d’entente et qui préfère rester en retrait. On sait aussi qu’il y a les personnes qu’on ne voit pas. Celles qui n’osent pas ou celles qui ne veulent pas.  Et parfois, il y a ces personnes qui osent pour les autres.

L’Ancêtre

Vendredi 19 novembre 2021. Les trains à grande vitesse déchirent la campagne à toute blinde. On n’arrête pas le progrès. Ça ne date pas d’aujourd’hui. Mais j’imagine un ancêtre qui revient à Croisilles et qui non content de voir tout ce qui a changé dans ce beau village où tout le monde s’accorde à dire qu’il y fait bon vivre et qu’on assiste en ce moment depuis l’arrivée des personnes migrantes à une époque historique, entend régulièrement sans voir de quoi il s’agit un bruit comme une comète qui traverserait l’espace proche en quelques secondes. Personne ne pose de question donc ça veut dire que comme dirait Orelsan, « tout va bien ». Il en aurait de choses à raconter en retournant chez lui. La science a fait des progrès à tomber par terre. Les gens sont plus heureux parce que lui ou elle aurait connu la terrible dite « grande guerre ». Ici, on était sur le front, et la violence guerrière et barbare avait ravagé tout le secteur.

« Tout est différent, mais tout est pareil. Avant c’était mieux. Il y avait rien mais il y avait tout. » On n’a rien dit à notre ancêtre du réchauffement climatique pour lui laisser une bonne impression puisque Croisilles est idéal. On n’aurait pas su lui dire comment on en est arrivé là alors qu’on savait bien ce qui arriverait depuis fort longtemps. La combustion démesurée des matières fossiles change dangereusement le climat. Au delà de  cette limite le ticket n’est plus valable.

C’est pas parce que

c’est pas parce qu’on s’est appelé Parrain qu’on est la marraine de tout le monde
c’est pas parce qu’on a un ballon crevé qu’on peut pas jouer au foot
c’est pas parce qu’on est en fauteuil roulant qu’on peut pas danser
c’est pas parce qu’on est à Croisilles qu’on s’appelle Nicole
c’est pas parce qu’on a une voiture blanche qu’elle le reste
c’est pas parce qu’on a été momifié en -300 avant J-C qu’on peut pas être dans une église du Pas-de-Calais en 2021
c’est pas parce qu’il fait gris qu’il y a pas de lumières
c’est pas parce qu’on a un masque qu’il y a pas de moustache en dessous
c’est pas parce qu’on est chèvre qu’on a de l’eau au moulin
c’est pas parce que la Sensée est vide que ça n’a pas de sens
c’est pas parce qu’on est dans un cube qu’on part pas dans tous les sens
c’est pas parce qu’on est rue de la fesse qu’on est au bon arrêt
c’est pas parce que tu passes ton jean à 60° qu’il y a plus de traces de boue
c’est pas parce que t’aimes pas la betterave que tu danses pas dedans
c’est pas parce qu’on est dans le nord de la France qu’on rencontre pas Jessy (et) James
c’est pas parce qu’on a prévu d’être à l’heure qu’on est pas en retard
c’est pas parce qu’on vient du sud qu’on aime pas le soleil du nord
c’est pas parce qu’on danse dans la forêt qu’on a pas peur des chasseurs
c’est pas parce qu’on est à la MAS qu’on a pas son bac
c’est pas parce qu’on fait pas de concerts qu’on a pas envie de chanter
c’est pas parce qu’on a de la voix qu’on a vendu du poisson
c’est pas parce qu’on est au XXIème siècle qu’on peut pas trouver un obus dans son jardin
c’est pas parce qu’on est au XXIème siècle qu’on peut pas se prendre une remarque raciste

à l’école Robert Doisneau (« bel hommage à l’image! »)

Ce matin, on est à l’école élémentaire de Croisilles, on va leur proposer de participer au spectacle grâce à de protocoles, des jeux qu’on propose aux personnes qui vivent dans le village. On rencontre la classe de CM1/CM2 de Madame Delesalle : Lola, Victor, Gabin, Imène, Lisandre, Aaron, Timothé, Inès, Noélie, Constant, Andy, Axel, Lilou, Eline, Charline, Elodie, Gabriel, Nino, Enzo, Alisson, James, Chaïna et Camille. On coupe la classe en deux : pendant que les élèves vont dans la cour pour filmer la séquence des bêtises, d’autres restent en classe pour la séquence « Godot » (il faudra venir dimanche pour savoir de quoi il s’agit!)

Mourad fait une démo pendant la récré, et ensuite, on rejoint la classe de CP de Madame Sarrat avec Mya, Noé, Milo, Julian, Cloé, Oxana, Nolan, Jade, Arthur, Johanna, Elé, Souani, Elias, Elian, Yvane, Sacha, Céleste, Léna, Maëli, Lola, Timéo.

Avec eux, c’est baguette magique : si tu avais une baguette magique dans la main, qu’est ce que tu aimerais changer, rajouter dans ton village ? Une piscine dans la cour de l’école, des murs en bonbons, une licorne… Et d’ailleurs, la maîtresse en a une de baguette magique, ça tombe bien !

Faire un portrait

Faire un portrait de territoire, c’est une expérience incroyable : prendre le temps de rencontrer des personnes, de les écouter, d’observer ce qu’il se passe. C’est beau, ça fait du bien, comme si à la fois on prenait une pause pour voir la vie d’un village suivre son cours et qu’on était pris dans ce tourbillon : tout va très vite, on enchaine les interviews, les discussions, les portes-à-portes, les protocoles artistiques. C’est très fort, ça nous questionne beaucoup en tant qu’être humain et ça nous demande aussi de décaler notre regard sur les choses de la vie, parce qu’il faut avoir ce regard objectif pour faire au mieux. Même si on sait que ces moments sont intenses, on est parfois rattrapés par la réalité.

C’est arrivé au CAES. Quand on entre, on nous dit qu’il y a beaucoup moins de monde aujourd’hui : les éoliennes ne bougent plus, le vent ne souffle pas, la mer sera calme. Alors plus de 60 personnes sont parties ce matin pour tenter la traversée de la Manche. Le souffle se coupe : combien de personnes prendront la mer, combien de personnes poseront un pied en Angleterre ? Puis on rentre, on croise ces regards, ces visages, ces sourires. On discute un peu, tant bien que mal (ou tant mal que bien quand on a pas des bases solides en anglais). Les hommes qu’on rencontre sont là depuis 3 ans, 3 mois ou 3 jours. Pour certains d’entre nous, c’est la première fois qu’on passe la porte. On a déjà vu les images à la télé, on sait ce qu’il se passe, on a vu des migrants dans la rue, on a entendu des histoires, on connait le nom des associations qui leur viennent en aide. Mais c’est la première fois qu’on est confronté aussi directement. Et moi j’ai été bouleversé, je n’ai pas su l’expliquer, j’ai du sortir 3 fois. Parce que se prendre ces regards qui ont fait des milliers de kilomètres, qui ont quitté leur pays pour leur survie, c’est dur, ça prend aux tripes.

La momie de l’église de Croisilles

Depuis que nous sommes arrivés à Croisilles (et même avant!), on nous parle de la momie de l’église, cette église qui a été construite sur l’emplacement d’un château, puis qui a été détruite pendant la 1ère guerre mondiale puis reconstruite, quasi à l’identique. Autant vous dire qu’on s’est imaginé plein de choses. D’abord, samedi, on a su qu’on pouvait aller la voir en demandant la clé à Madame Garbez. Puis François nous a expliqué qu’elle serait arrivé à Croisilles en même temps que du matériel qui a servi à la reconstruction de l’église.  On a eu un peu plus de précisions de la part d’Alexis : c’est une momie vieille de 300 ans avant JC, ça ne serait pas une momie princière auxquelles on ne brisait pas les os et celle-ci n’a pas de pied. Mais on ne sait pas pourquoi elle était dans ce contener de matériel en 1919 et encore moins comment avant ça elle est arrivée au Canada !

On avait rendez-vous ce matin à 9h, et on a pu rentrer dans l’église, admirer la momie mais aussi les vitraux, qu’on ne voit que très peu de l’extérieur. Ou alors pas bien quand le ciel est gris. Merci Madame Garbez !

(et merci François pour l’article de journal !)