L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt. 8h – rdv à la menuiserie Pynthe, rencontrer brièvement les ouvriers qui doivent déjà filer. On se retrouve à 5, François et Olivier Pynthe, Didier, Louise et Martine, dans la petite pièce qui fait office de vestiaire, à regarder le jour se lever. L’ambiance est sympa ; à l’abri du froid et de la nuit, la discussion est posée, simple, ouverte. Pour un peu, on referait le monde, mais on en revient aux amours premières : Mardyck et la vie qu’on y mène. Les deux frères sont d’une génération trop jeune pour se souvenir du temps avant les usines. Nés dans le Westhoek (Loon-plage), comme beaucoup d’autres, ils ont été expropriés. Mais le mot n’était pas forcément employé auprès des enfants, alors comme le dit François, finalement, pour lui, ça a été vécu comme un simple déménagement. Ils y ont passé la majeure partie de leur enfance, et y sont toujous installés, du fait du travail à la menuiserie – c’est l’aîné, Olivier, qui a repris l’entreprise. On évoque aussi un peu leurs loisirs, les sorties au Bateau Feu avec les enfants, et la musique. François joue de la batterie, notamment dans une discrète formation mardyckoise, qui ne joue qu’en « interne ». A l’avenir, dressons l’oreille…Qui sait si au détour d’une rue, l’on entendra pas soudain du pop funk !
Mardyck
canard enchaîné

la hutte

Histoire d’eau
Au milieu de tout ça, coule modestement une rivière qui s’appelle le Mardyck.
Le Mardyck monte jusqu’à Aire sur La Lys.
Danser dans un paysage.
Un cadre, une limite, un espace délimité dans lequel on propose une danse, un instant.
Le temps d’un instant cet espace public devient une scène, un plateau de danse avec son décor naturel, des arbres immenses alignés qui rappelle que cette nature là, ces arbres là ont été plantés par une règle avec une équerre. Un homme a décidé, ici la nature est alignée. Un autre a exécuté cet alignement. Ils sont arrivés un matin par dizaines, par centaines sur des monstres en acier et ils ont planté ces arbres droits comme des I, ils n’ont pas d’L et pourtant ils s’envolent dans les airs. Ils montent aussi haut qu’ils peuvent comme s’ ils étaient dirigés par un tuteur, comme s’ ils voulaient s’éloigner le plus possible de ce cet alignement. Comme s’ils ne voulaient plus dissimuler la situation, ils ne sont pas là pour cacher l’horizon. Alors ils transpercent l’horizon comme une balle de fusil tirée en l’air…
Une butte de terre, un tas de boue sur lequel on propose un regard, on propose une danse, tout comme dans ce champ devenu espace d’expression corporelle, comme public : la route avec ces camions qui passent et repassent dans les deux sens.
Mais ici il y a toujours l’arrière plan qui prend une importance particulière, une scénographie industrielle, des usines en arrière plan, elles sont là omniprésente, elles sont là, elles respirent et expirent leur fumée, parfois, elles crachent une flamme pour éternuer et nous rappeler le danger. Car elles sont calmes et bien alignés comme les arbres, elles ne font pas trop de bruit et ne montent pas dans le ciel, elles constituent l’horizon.
Si l’horizon, si l’avenir s’aligne comme ces arbres, que va devenir Mardyck ?
Aujourd’hui on a parlé des dunes et de leur gardien, on a parlé d’enfants qui y ont joué, qui partaient le matin et qui passaient la journée à courir, sauter, danser dans ces champs, dans ses dunes. A l’époque ils jouaient déjà dans les blockhaus de la guerre précédente que les allemands avaient eux aussi alignés. Et pour les oublier ces entreprises les ont dynamités.
Alors on a dansé sans vouloir s’aligner, sans vouloir déranger, juste pour proposer le temps d’un instant une autre souvenir à partager.

infiniment grand

Mardyck dans la brume

Au pub Mardyckois
Ce midi chez Anita pour le déjeuner Hélène et Jean-Philippe nous rejoignent. On parle de la veillée des veillées. Le Bateau feu nous invite à revenir en mai pour travailler sur la Veillée des Veillées, ce sera une méta-veillée, oui mais c’est quoi une méta-veillée ? On va retourner à la rencontre des gens, on va retisser, retricoter, renforcer les liens déjà existants avec les habitants de partout. Est ce que l’on va retourner chez le Tambour major ? Chez la championne du monde de décorticage de crevette ? au camping de Leffrinckouke ? est ce que l’on va revoir le lycée de l’Europe ? Jean Bart ? et Noordover ? Magali ? Jonathan ? On pourrait faire se rencontrer la dame qui joue au bouchon de Dunkerque avec l’ancien mineur de Mardyck. Ici Mardyck, être à Mardyck et penser au retour que l’on fera de Mardyck pour la veillée. Entre les délicieux plats d’Anita, (dont un éclair au chocolat divin) on construit, imagine tout ce que l’on va pouvoir faire. Comment aller encore plus loin dans la rencontre ? Revoir les personnes qui ont jalonné notre parcours Dunkerquois, repenser à chaque lieu où nous sommes allés, repenser aux figures marquantes (même si elles le sont toutes). Cartographier notre Dunkerque, disait Jérémie.
Et puis, retourner dans le présent, allez, on a beaucoup de rendez vous Mardyckois cet après midi !
Les topières et la tendresse
Ce matin rendez-vous chez Brigitte Blanchard, présidente du club de couture de Mardyck, Martine Biehler-Ochem, trésorière est également présente. Elles jaugent notre caméra: « Elle est toute petite, ça change des journalistes avec leurs énormes machines, ça c’est impressionnant, là ça va, on sera à l’aise. » à Mardyck, on a l’habitude des caméras, les journalistes viennent questionner et souvent » prendre uniquement ce qu’ils ont envie d’entendre »nous dit Brigitte. Martine se souvient d’un titre d’article qui l’avait profondément choquée: « Vie de château sous les torchères ». « Oui, pour un si petit village, on a beaucoup d’infrastructures…mais ça n’empêche pas que le danger, on y pense souvent, surtout quand on entend les sirènes dans les usines… »Leur association est un lieu de rencontre et d’échange dans le village, elles se réunissent tous les lundis. Elles, parce qu’il n’y a pas d’hommes à la couture, « c’est dommage dit Martine, ce serait bien des couturiers, ou des stylistes! »Lundi, c’était notre journée off: ça c’est bête, dit Brigitte, vous nous auriez entendu avant même d’ouvrir la porte, un vrai poulailler! Brigitte et Martine font également partie d’un club de peinture, Martine, d’un club de photo. Brigitte passe énormément de temps dans son jardin et dans sa serre, fille de maraîchers, trois fois expropriée, elle garde un attachement réél à la terre, et malgré le dos qui la fait souffrir, elle s’est crée un petit jardin à la française, orné de topières: des buissons de buis qu’elle taille en forme de coeur ou d’animaux. Elles sont toutes deux très actives: » Il faut bien sortir, bouger voir du monde, c’est trop triste de rester tout seul chez soi. » Quand on demande à Brigitte: et si Mardyck était une chanson, elle nous chante la tendresse de Bourvil: « On peut vivre sans richesse, presque sans le sous, mais vivre sans tendresse, non, on ne le pourrait pas… »
