Bourganeuf-Constantinople

 À Bourganeuf, il y a un monument incontournable: La tour Zizim. Il y a aussi les Zizim, petites pâtisseries au chocolat et à la noisette absolument succulentes mais là n’est pas le sujet…La tour Zizim donc, Zizim parce que Djem, un prince Turc exilé. Les gens de la région n’ont sûrement jamais réussi à prononcer correctement son nom. Djem est le troisième fils de l’empereur Ottoman Mehmed II. À la mort de leur père, Djem et son frère aîné Bajazet II (mais pas de Racine) se disputent la succession. Djem est battu et contraint à fuir. Il sait dès lors que nulle part dans le monde musulman il ne sera en sécurité. Il se met sous la protection des Hospitaliers de Jérusalem installés à Rhodes, il y rencontre le grand maître Pierre d’Aubusson. Pour protéger Djem de la vengeance de Bajazet, Pierre d’Aubusson le fait escorter en France. Il devient alors hôte et otage, transporté de châteaux en châteaux pendant plusieurs années. Puis on construit tout spécialement la tour Zizim pour l’héberger en compagnie de ses femmes, quelques compagnons restés fidèles, un imam, et 18 serviteurs. La tour est conçue pour rendre impossible toute évasion. Djem y reste deux ans, pendant tout ce temps  Bajazet verse 30000 ducats annuels aux hospitaliers pour « l’entretien » de son frère. Ensuite Djem est transporté à Rome, le pape Alexandre VI(Borgia) le fait enfermer au château de Saint-Ange. Puis, le roi de France Charles VIII décidé à conquérir le royaume de Naples passe par Rome, se rend maître du château Saint-Ange et exige que le prince Djem lui soit livré. Djem part alors vers Naples mais trouve mystérieusement la mort à Capoue, apparemment empoisonné. Nous sommes en 1495.

500 ans après, à Bourganeuf, on peut toujours admirer la tour Zizim.  Presque 500 après,  une communauté Turque s’est installée, des hommes sont venus travailler, puis ils ont fait venir leurs familles. Leurs enfants sont nés ici et on eu des enfants à leur tour. Aujourd’hui, à Bourganeuf, 500 ans après, on peut aller visiter la tour Zizim puis aller boire un café au Bosphore.

Séverine et Bayram (2)

Bayram est arrivé en France en 1983 à l’âge de 13 ans. « Quand tu arrives comme ça de Turquie jusqu’en France, c’est comme si tu étais devenu sourd d’un coup, tu comprends rien de rien à ce qui se passe autour. On peut te dire n’importe quoi, même enculé! et toi tu dis oui! » Il a rencontré Séverine il y a 25 ans, et ils s’aiment depuis tout ce temps. Ça n’a pas été facile, d’un côté comme de l’autre de faire accepter leur histoire. Encore à l’heure actuelle, ils sont  » Le seul couple mixte qui tient ». Ils ont deux garçons, grands maintenant. « Ils pourront se marier avec qui ils voudront, du moment qu’ils sont heureux, jamais je ne dirai à mes fils qui ils doivent aimer » nous dit Séverine. Séverine est aide soignante, sa belle-famille voyait d’un mauvais oeil le fait qu’elle travaille, mais elle aime son métier. « parce-que j’aime écouter les gens, tous les gens! » Bayram est entré au conseil municipal il y a 6 ans, il est le premier conseiller municipal d’origine turque à Bourganeuf. Il pense y être utile à sa communauté même si celle-ci se demandait ce qu’il allait bien pouvoir y faire, et à sa ville tout simplement. Parce que sa ville c’est Bourganeuf. « Même quand on va en Turquie, au bout de trois semaines il est en manque de sa ville! « nous dit sa femme.  » La Turquie, ils essaient d’y aller tous les trois ans. « Ah la première fois que Sévérine a vu la mer en vrai! Elle n’avait jamais quitté la Creuse, elle s’est précipitée pour la toucher, j’ai cru qu’elle allait plonger direct! » Bayram aime taquiner sa femme, et elle le lui rend bien. On les sent très soudés, très complices. « Vous savez, même si nos familles n’avaient pas fini par accepter, on serait resté ensemble. C’est ensemble qu’on allait être heureux, pas avec eux. » Pour finir, on leur propose une liste de citations, Séverine choisit: « Ils avaient cette confiance sereine dans leur destinée amoureuse. »

Séverine et Bayram

Aujourd’hui, on est parti avec Yonus et Philippe dans les hauteurs de Bourganeuf. On souhaitait rencontrer des familles turques, et Yonus s’est proposé de nous accompagner pour faciliter le contact. On a croisé quelques femmes en bas des immeubles du petit bois, mais l’idée d’être filmées ne leur plaisait pas du tout. Yonus nous a alors conduit chez Bayram Alabay qu’on a trouvé en face de chez lui affairé à couper du bois. Yonus a commencé à lui expliquer ce qu’on faisait tous là devant chez lui, mais Bayram l’a vite interrompu: « Mais oui, je sais! Je sais tout! Je suis au conseil municipal je te rappelle, je leur ai déjà dit non ce matin au marché! Et toi tu me les amènes jusqu’ici » dit-il un grand sourire aux lèvres. « Bon, comme j’ai déjà dit non ce matin, je vais accepter cette fois-ci! Mais on va attendre ma femme, elle devrait bientôt rentrer du boulot.  » Séverine arrive 5 minutes après, elle nous regarde suspicieuse et descend de la voiture: « Y’en a qu’un que je connais là dedans! »dit elle en allant dire bonjour à Yonus. Yonus lui explique ce qu’on fait tous là devant chez elle. Séverine non plus n’aime pas du tout les caméras, elle dit à Yonus: « ça tu me le paiera! » Séverine et Bayram nous font entrer et nous offrent un café, Séverine nous dit qu’elle a déjà été interrogée une fois au sujet des couples mixtes mais c’était pour la radio, la caméra vraiment, ça ne lui plaît pas, Bayram, lui est amusé et garde son grand sourire. Ils s’installent sur le canapé et commencent à nous raconter leur histoire, Séverine joue le jeu et se détend au fur et à mesure, tout en menaçant régulièrement Yonus d’une vengeance prochaine. On a de la chance, beaucoup de chance cet après midi de rencontrer ce couple et d’entendre leur histoire, on les remercie mille fois d’avoir bien voulu nous acceuillir, on espère juste que la vengeance ne sera pas trop dure pour Yonus.

un jardin dans un parc

Suite à notre rencontre avec le principal du collège, on a réussi à intervenir au collège ce matin avec Jérémie et Anthony. 9h on était installé prêt à faire des Pas de Couloirs des adultes du collège. Très vite on a en a fait 6, le personnel se prêtant au jeu de la caméra facilement. C’est comme ça que j’ai rencontré Joëlle qui travaille au collège depuis 2007 en CDI. On a parlé quelques minutes après son portrait, et avant qu’elle ne retourne travailler. Elle est venue s’installer à Bourganeuf il y a de nombreuses années, elle a deux fils de 25 et 23 ans. Elle dit que c’est difficile de trouver du travail ici pour eux. Le plus vieux c’est installé à son compte, il est doué en informatique. Il est auto entrepreneur, il n’a pas de local mais dépanne 24h/ 24 et 7 jours sur 7. Elle me dit qu’il vivote de ça et qu’il va changer son statut pour pouvoir aussi travailler en même temps. Il fait des petits contrats dès que ça se présente. On parle des difficultés que l’on a aujourd’hui, que ce n’est pas qu’à Bourganeuf, que c’est partout pareil. Elle dit que c’est peut être plus facile en maison parce que tu peux faire pousser tes légumes. Eux, ils vivent en appartement près du musée de l’électricité, il y a à côté une prairie, elle dit qu’elle aimerait y planter des légumes, et qu’elle pourrait décorer avec des fleurs. On s’est arrêté là. Plus tard dans la journée , j’ai croisé Joëlle, en plein milieu du parc autour du musée de l’électricité, elle promenait son chat.

Qui ne se plante pas n’a aucune chance de pousser (Demi Portion)

On passe dans le bureau des animateurs à l’Agora, et on découvre une affiche annonçant un concert de Demi-Portion, un rappeur, en mai dernier. Marie s’étonne: « Il est passé ici? c’est la classe! » Caroline lui explique qu’ils organisent au moins une fois par an des concerts de hip-hop dans le local jeune. Ce sont les jeunes qui choisissent l’artiste et organisent sa venue. Philippe, le directeur, nous explique que c’est par ce biais que les jeunes peuvent devenir acteur et non consommateur de culture: « Et ils font ça bien hein! Je leur dit, pour que l’artiste vous donne le meilleur des spectacles il faut l’accueillir comme un roi, qu’il ne manque de rien! Ils prennent ça super au sérieux, c’est une fierté pour eux, et un pur moment de bonheur quand ils assistent au concert. Au début, fallait voir, ils se planquaient derrière les poteaux, trop impressionnés! »
Caroline et Philippe travaillaient avant dans un MJC à Montluçon où ils avaient une vrai programmation sur l’année. « Mais toujours dans le cadre du socio-cu hein! Une programmation juste comme ça à enchaîner les concerts, à dealer avec les tourneurs, c’est moins intéressant. Ici, c’est à plus petite échelle, mais les jeunes s’impliquent d’avantage, ils choisissent leurs artistes, il se battent pour le faire venir, avec l’aide de Yonus, l’animateur culturel. » La plupart des rappeurs viennent pour un cachet très raisonnable, certains pour rien, comme TSR crew, un groupe Parisien. Cette année, des noms sont lancés: Médine, Abdallah, Sheryo, Mister You…LaCrim était d’accord pour venir gratuitement mais il est en prison pour l’instant!
On parle de Casey aussi, une rappeuse talentueuse, puissante, passée à Montluçon quant ils y travaillaient encore. C’était au moment de Zone libre, le groupe formé avec Serge Teyssot-Gay de Noir Désir. On est d’accord pour se dire que c’est la rencontre de deux artistes créatifs, inventifs, précurseurs. Quand deux mondes parfois opposés se retrouvent en création, ça peut créer des choses magnifiques. Ça fait du bien de parler hip-hop dans la Creuse.