Au quatrième étage du lycée Jean Jaurès

Valérie est coordonnatrice et enseignante en dessin pour les onze élèves de la formation lissier au lycée Jean Jaurès. Le CAP se déroule sur un an et le CAC (certificat académique de compétences, un diplôme uniquement reconnu en Limousin) sur un an et demi. Avec le second, on a, en plus, une formation en gestion, pour pouvoir s’installer à son compte, en atelier. Ces dernières années, le milieu est difficile à conquérir : peu de postes s’ouvrent pour les nouveaux lissiers. Pourtant, les élèves arrivent ici par désir, issus d’horizons aussi divers que la tapisserie d’ameublement, les arts plastiques, la vente, le commerce, les arts décoratifs, le dessin de bande dessinée, la coiffure, la restauration, la démonstration, les services à la personne, la documentation, l’histoire de l’art.
Dans l’atelier spacieux et clair, Marie-Julienne, Laurence et Nathalie, les élèves, et Claude, leur formateur, nous font la visite avec une gourmandise certaine, en commençant par l’armoire à moches. Puis, de la moche, on passe au rouet, pour le bobinage, puis pour faire les flûtes. Pour monter la chaîne, il faut d’abord faire une crenille, sur l’ourdissoir. Ah. On est de vraies araignées. Et puis il faut être ambidextre, et apprendre à équilibrer sa force. Les chaînes peuvent avoir 13, 16, 24 portées – plus y’en a, plus c’est fin. Quand t’as monté ta chaîne, tu passes ta trame. Tu passes, tu passes. Deux passées font une duite. Et ça, là, c’est le verdillon.
Avant de partir, nous avons la chance d’assister à une tombée de métier.

L’enseignant en occitan nous a donné un texte sur Aubusson au XVIe siècle

La ville est grandement populeuse selon son circuit, abondante en diversités de marchandises, et y a des gens opulents et riches, grand nombre d’artisans et négociateurs qui font grand trafic, principalement en l’art lanifique (drap et tapis), dont ils tirent grand profit. Au flanc de laquelle ville coule lentement le fleuve de la Grande-Creuse, descendant des montagnes philitiennées, distantes de deux-mille pas, lequel fleuve est bien commode et propre en ladite ville, pour raison des moulins qui sont assis dessus, tant pour l’usage des draps et laines que pour moudre les grains….

Le fabuleux destin

Il faut grimper un peu, traverser des rues pas vraiment éclairées. L’intérieur est tapissé de pages de livres. Les livres, justement, les petites éditions, les feuilles d’information, les prospectus, les magazines souterrains, on peut aussi les emporter ou les emprunter, les acheter ou les consulter sur place. Le café est à un euro, le sirop aussi, l’adhésion itou, et si vous êtes assez nombreux à vouloir du vin chaud, le tenancier en fabrique un illico.
Un a un, aux alentours de dix-neuf heures, mais sans trop se hâter surtout parce qu’il faut aussi prendre le temps d’arriver et de se retrouver, les apprenants de la langue occitane poussent la porte. Échangent des mots parlés ou des mots écrits. Se massent petit à petit autour de la table, sous la lumière du plafond et sous celle, plus chaleureuse, de leur enseignant. C’est un cercle. C’est même peut-être bien un combat. La langue est plus précieuse que l’or, plus coupante que les frontières, plus libre que les états. Moi qui étais de Gascogne, suis-je maintenant du Nord ? Moi qui viens des arts plastiques suis-je aujourd’hui du théâtre ? Moi qui suis un individu, suis-je l’institution qui me paye ? Moi qui suis une femme, suis-je moi ? Parfois ce que nous représentons nous dépasse et c’est une douleur, parce que ce n’est plus à nous que l’on parle, mais à notre image. C’est comme un fil rompu à l’intérieur de soi. Mais si je ne prends pas conscience de mon image, je ne prends pas conscience de mon pouvoir ni de mon asservissement, je ne prends pas conscience de là d’où je parle. Puis-je parler depuis moi-même, être ma propre tête de pont ?