Le fabuleux destin

Il faut grimper un peu, traverser des rues pas vraiment éclairées. L’intérieur est tapissé de pages de livres. Les livres, justement, les petites éditions, les feuilles d’information, les prospectus, les magazines souterrains, on peut aussi les emporter ou les emprunter, les acheter ou les consulter sur place. Le café est à un euro, le sirop aussi, l’adhésion itou, et si vous êtes assez nombreux à vouloir du vin chaud, le tenancier en fabrique un illico.
Un a un, aux alentours de dix-neuf heures, mais sans trop se hâter surtout parce qu’il faut aussi prendre le temps d’arriver et de se retrouver, les apprenants de la langue occitane poussent la porte. Échangent des mots parlés ou des mots écrits. Se massent petit à petit autour de la table, sous la lumière du plafond et sous celle, plus chaleureuse, de leur enseignant. C’est un cercle. C’est même peut-être bien un combat. La langue est plus précieuse que l’or, plus coupante que les frontières, plus libre que les états. Moi qui étais de Gascogne, suis-je maintenant du Nord ? Moi qui viens des arts plastiques suis-je aujourd’hui du théâtre ? Moi qui suis un individu, suis-je l’institution qui me paye ? Moi qui suis une femme, suis-je moi ? Parfois ce que nous représentons nous dépasse et c’est une douleur, parce que ce n’est plus à nous que l’on parle, mais à notre image. C’est comme un fil rompu à l’intérieur de soi. Mais si je ne prends pas conscience de mon image, je ne prends pas conscience de mon pouvoir ni de mon asservissement, je ne prends pas conscience de là d’où je parle. Puis-je parler depuis moi-même, être ma propre tête de pont ?

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.