Veillée # 11/19
la fiction
On parle encore de la géographie, des distances. On évoque la Tchécoslovaquie. On encourageait les ouvriers à construire des cabanes en Bohème, pour ne pas avoir envie d’aller voir plus loin, derrière les frontières fermées. La Bohème est devenue, peu à peu, quelque chose comme un camp d’indiens et de cow boys, avec des chercheurs d’or. Faute de pouvoir aller plus loin, les tchèques ont fait venir chez eux toute une culture étrangère réinventée. Encore aujourd’hui, dans les tavernes de bohème, tous les jeudis, il y a des concerts de country et de blues. Encore aujourd’hui, il y a des totems indiens dans les jardins. Les cabanes sont devenues des maisons, mais il y a encore le feu de camps, le canoë, la guitare, bien en valeur.
En se souvenant de toute ces anecdotes, on se dit dit que les distances et l’espace, c’est tellement relatif, et surtout tellement culturel et social, et même résolument politique.
On parle des planisphères. Des centres du monde selon où on habite. On parle d’un planisphère australien qui nous paraît être à l’envers. On parle de ces planisphères qui respectent objectivement les superficies et qui nous ont fait prendre conscience de la petitesse des États-unis, de l’Europe, par rapport aux continents du sud.
On se dit que la géographie est une fiction. Qu’on pourrait faire quelque chose là dessus pendant les veillées. Demander aux gens de nous dessiner un plan monde qui correspondrait à leur histoire, à leur parcours, un plan de leur monde.
loin de quoi ?
Hier, on a parlé avec Sabine de la mobilité géographique.
On en reparle ce matin.
Les distances sont culturelles, on se dit. La notion de distance s’apprend, en lien avec l’histoire du lieu où on grandit, en lien avec le contexte social.
Il y a des liens si forts ici, autour de l’histoire de la mine. Ici, l’espace se dit en chiffres : Le 5 de Loos, le 11/19, le 3 de liévin, le 3 de Lens, le 12, le 9.
Ici, le cercle géographique dans lequel on se déplace est réduit, et le centre de ce cercle à une force d’attraction énorme. Il y a plein de gens qui nous disent que, partis du bassin minier, ils n’ont eu qu’une idée en tête : y revenir. Il y a un tel attachement à la culture et à l’histoire d’ici, et une fierté. Il y en a qui disent qu’ils sont partis avec plaisir et qu’ils se sont surpris à y revenir avec plus de plaisir encore.
Hier, en porte à porte, un homme nous a dit qu’il était parti, pendant 15 ans, Il dit ça comme s’il s’en sentait un peu coupable, et que ça n’a jamais cessé de compter, ses racines, et qu’il a finit par revenir, enfin.
Une CPE du lycée de Wingle nous avait parlé de la difficulté de se déplacer. De la peur de perdre ses bases.
Il y a des collégiens qui choisissent leur parcours professionnel en fonction de l’etablissement qu’ils vont fréquenter, en fonction de la distance par rapport au quartier.
Faut dire que c’est pas facile de se déplacer quand on a pas de voiture, et pas beaucoup d’argent. Les distances sont plus longues quand on a pas les moyens, l’espace devient plus petit. Mais il y a aussi, on se dit, l’Histoire des mines. Les mines n’ont jamais encouragé à partir, au contraire. On se souvient du 5 de Loos : le coron était entouré de murs, ce qui fait que Grenay était un autre monde, que le centre de Loos était un autre monde, que seule la fosse cinq et le coron existaient pour les gens qui y vivaient.
On nous a parlé souvent de La Napoule. Le sud, ici, c’est La Napoule. La Napoule sans doute aussi célèbre que Marseille ou Nice. Le sud existe en théorie, alors que la Napoule est une réalité.
La Napoule, c’est là où se trouvait la colonie de vacances des mines. Les ouvriers y avaient droit. Ils partaient en vacances entre mineurs. La Napoule est une sorte d’extension du bassin minier dans les Alpes Maritimes.
L'opéra
Au collège Jean Jaurès la professeur a raconté qu’elle est allée avec ses élèves à l’opéra de Lille. Elle dit que l’un d’entre eux lui a dit si on avait su que c’était comme ça on aurait mis nos souliers on n’ aurait pas laissé nos baskets. Elle dit je les ai regardés pendant tout le spectacle. Ils ne pouvaient pas imaginer que c’était si luxueux. Sans l’école, ils n’y seraient jamais allés.
Les Atomics
Quelle histoire pour aller du 11/19 à la rue Seguin à Lens! Jérémie a guidé Guy par téléphone qui s’est perdu dans Lens. Et ne retrouvait plus sa voiture au retour. Nous avions un rendez vous avec Madame Kubiak qui préside l’association des Atomics à Lens, une fanfare et un groupe de danse. Le groupe tourne dans le nord de la France, dans l’Oise et la Seine Maritime, en Belgique et en Hollande. Les jours de tournées tout le monde se donne rendez vous à cinq heures du matin chez Madame Kubiak. Un bus passe prendre les danseurs, les musiciens et les accompagnateurs et fait un arrêt au quatre de Lens pour les gens qui ne sont pas motorisés. Sur place, une journée de tournée démarre souvent par un match de foot puis c’est l’apéro (un seul, nous dit Madame Kubiak) ensuite c’est le repas et puis l’échauffement. L’échauffement fait partie du spectacle, dit Madame Kubiak. Ces dernières années quelques chorégraphies ont été réglées par des instructeurs hollandais. Mais bien souvent les danses se créent collectivement. Monsieur et Madame Kubiak vivent dans leur maison depuis plus de soixante ans. Voire plus. Monsieur Kubiak est né dans cette maison. Il a été mineur. Il a toujours travaillé pour les houillères. Quand il est remonté du fond, il est devenu jardinier des mines. Madame Kubiak a travaillé dans différents commerces et elle est entrée ensuite aux grands bureaux, au service administratif des mines du Nord Pas de Calais. C’est l’intérêt de leur fille pour la fanfare et la danse qui les a amenés à s’occuper des jeunes gens de Lens et d’ailleurs qui veulent faire de la musique et de la danse. On s’est donné rendez vous dans la semaine pour assister à une séance de répétition des Atomics. Madame Kubiak nous a dit prévenez nous, on mettra les costumes.
sentier n°1
Berthe , Place Lorraine
Cette année c’est l’année des 13 lunes dit Berthe. Une année froide comme on dit. Il a fait chaud l’année où son mari est mort. Son mari à la fosse. Ils étaient dans le trou avant d’y être, elle dit Berthe. Silicosé à 100%. Voulait être incinéré. Sauf que pour faire reconnaître la silicose faut garder des traces. Alors double peine. Deux enterrements. Il était fier son mari voulait pas qu’on le voit malade. Les mineurs sont des gens durs, elle dit Berthe. Et pourtant jamais eu autant de chaleur entre les gens. On s’intéressait aux autres mais elle insiste Berthe, c’était pas de la curiosité, c’était pour vivre ensemble.
Après avoir rencontré Berthe, après sa lecture du poème qu’elle nous offre sur le sourire, après le café et les anecdotes sur le chat Baptiste mangé par un voisin (avec des pruneaux), après la lecture du poème que son fils a écrit à son père, après, on rentre à Culture Commune. C’est à quelques pas. De son jardin elle voit « sa tour », comme elle dit et les « terrils de pépère ».
merci
Une vieille Dame a pris la pose de son époque pour un pas de porte. Une pose des années 30, un petit déhanché, et un sourire éclatant. Elle nous a remercié pour ce portrait. On se dit, en partant qu’il ne faut pas oublier de lui envoyer sa photo.