La lucidité, la blessure la plus proche du soleil

Si on avait à choisir dans la liste de citations que nous proposons aux gens pour nos portraits-citations après ces 8 jours passés auprès des salariés, anciens salariés de la Redoute, et auprès des gens du quartier de la Martinoire, je retiendrais celles-ci pour illustrer ce qu’on a pu ressentir, sentir:

« L’important n’est pas ce qu’on a fait de nous, mais ce que nous faisons nous-même de ce qu’on a fait de nous ».

« Là où il y a façon, il y a contrefaçon » .

« Un seul remède si on peut en user : aimer plus qu’on ne souffre ».

« Si on se laisse aller au désespoir, on finit par être mangé par les rêves qu’on a avalés de travers ». 

« Donner un titre aux moments de sa vie, est peut-être un moyen de la maitriser ».

« Il y a en nous ce désir puissant de concilier le mot de Marx », changer le monde », et celui de Rimbaud, « changer la vie ».

« L’oeuvre d’art n’est pas un miroir de la vie, elle en est son prolongement par d’autres moyens ». 

Une redoute, des redoutes, La Redoute

Une redoute, c’est un ouvrage de fortification isolé, fermé, de forme carrée, construit en terre ou en maçonnerie et propre à recevoir de l’artillerie.
Une redoute, c’est aussi un radeau armé, servant autrefois à franchir des cours d’eau.
Une redoute, c’est aussi une formation de combat compacte, utilisée contre la cavalerie au 16ème siècle.
Une redoute, c’était un endroit public où l’on dansait, on l’on jouait, où l’on faisait de la musique, où l’on donnait des fêtes, des bals ; c’était aussi le nom de la fête elle-même.
La Redoute, c’est une enseigne française de vente à distance créée en 1837 par Joseph Pollet.
Redouter, c’est craindre fortement quelqu’un ou quelque chose ; c’est appréhender quelque chose à venir avec angoisse.

C’est pas parce que…

C’est pas parce qu’on est maire qu’on ne dit pas la R’doute

C’est pas parce qu’on est interim à la Redoute qu’on a le droit de se garer sur le parking

C’est pas parce qu’on est syndiqué qu’on connait le mot haine

C’est pas parce qu’on est bien habillé qu’on travaille à la Redoute

C’est pas parce qu’on travaille à la Redoute qu’on s’habille à la Redoute

C’est pas parce qu’on travaille à Roubaix qu’on ne retourne pas à la Martinoire

C’est pas parce qu’on travaille à la Martinoire qu’on a rien à dire

C’est pas parce qu’on est jeune qu’on aime pas le travail

C’est pas parce qu’on a pas de diplôme qu’on a pas de compétence.

C’est pas parce qu’on habite le quartier de la Martinoire qu’on travaille à la Redoute

C’est pas parce qu’on subit un plan social qu’on ne peut pas prendre la parole

C’est pas parce qu’on aime son travail que l’on peut tout supporter

C’est pas parce qu’on est au chômage qu’on ne veut pas travailler

C’est pas parce que le printemps arrive qu’on aime pas la collection hiver

C’est pas parce qu’on fait grève qu’on veut couler la boite

C’est pas parce qu’on est au ramassage qu’on est une femme

C’est pas parce qu’on est est une femme qu’on ne peut pas aller au bâtiment L

C’est pas parce qu’on ne s’appelle pas Catherine Deneuve qu’on a pas « un je-ne-sais-quoi-de-plus »

C’est pas parce qu’on a Christine Ockrent au téléphone qu’on ne va pas se faire virer

C’est pas parce qu’on a un bel ordinateur que ça résoud le problème du réseau

C’est pas parce qu’on joue à la Condition Publique qu’on oublie la Martinoire

C’est pas parce qu’on s’appelle Solenn qu’on est comédienne

C’est pas parce qu’on ouvre pas sa porte qu’on a pas envie de savoir 

C’est pas parce qu’il y a des difficultés qu’il faut baisser les bras

C’est pas parce que les temps sont durs que la douceur n’existe plus

Il y a une bombe sous la Redoute

Nous distribuons des tracts pour la veillée quand nous rencontrons Jean-Paul, qui habite à côté de l’unité 3. Il est né un soir de bombardements, le 2 mai 1944, rue de la Martinoire. Il nous raconte que ce jour-là, une bombe est tombée juste en face de la maison, dans un champ cultivé. Heureux d’être là pour en témoigner… elle n’a pas explosé. Elle est restée là, dans le champ. Les années ont passé… Les démineurs l’avaient isolée avec du grillage mais, quoi ? L’agriculteur a fini par recouvrir tout ça. Et puis, à la place du champ, c’est la Redoute qui a poussé. Plus exactement, les réserves de fuel de l’unité 3. Qui a dit que la situation était explosive à la Redoute ?

Paroles recueillies à Wattrelos

Le catalogue est universel

Le catalogue, c’est universel. C’est un langage commun à tous les couples, à toutes les familles. Quand le catalogue arrive, partout en France, on se met dans les canapés et on feuillette ensemble. Je peux vous le dire, j’ai eu trois femmes, avec chacune d’elle c’était pareil : le nouveau catalogue, on arrête tout, on se met dans le canapé pour tourner les pages.

Tout sauf La Redoute

Les gens d’ici ont une culture du travail. Maintenant c’est le pessimiste qui prend le dessus. On arrive plus à croire à un grand projet économique ascendant. En 2000, ça a été l’effondrement du textile, tout est tombé sauf La Redoute. La Redoute, on la croyait immortelle, on croyait qu’elle ne pourrait jamais tomber cette entreprise que les salariés considéraient comme la leur, comme leur famille. Et là voilà déverrouillée de son piédestal.

Mieux que la fonction publique

C’était une chance de travailler à La Redoute. C’était autre chose que le textile avec le craquage, filage… Une fierté d’être dans cette entreprise qui résistait à tout. Un CDI à La Redoute c’était mieux que de rentrer dans la fonction publique. On ne peut pas avoir conscience de ce qui se passe dans le cœur des gens aujourd’hui si on n’a pas la connaissance de ce qu’a été La Redoute pour eux.

Comme…

La Redoute, c’est comme un plat qui aurait refroidi et qu’on veut réchauffer. Pour retrouver le goût des saveurs, le goût des épices.

La Redoute, c’est comme une musique révolutionnaire pour montrer qu’on y tient, qu’on ne veut pas la lâcher.

La Redoute, c’est comme une famille séparée et dont on veut maintenir le lien malgré les difficultés et les cassures.

La Redoute, c’est comme un quartier populaire.

La Redoute, c’est comme le bon coin.

La Redoute, c’est comme deux blocs que l’on veut réunir.

La Redoute, c’est des tonnes d’émotions.