j-neuf

On est à Méricourt depuis une semaine bientôt. On voit beaucoup de gens tous les jours. Du matin au soir. On va manger tous les jours au pôle formation de la SNCF. Sauf samedi dernier. On est allé samedi déjeuner à la maison de retraite dans la cité du Maroc où Flora est logée durant notre temps de présence à Méricourt. Flora dit, je ne rencontre jamais personne à la résidence. Je n’ai pas les mêmes horaires que les gens de la résidence.  La mairie de Méricourt a mis une camionnette à la disposition de Flora pour qu’elle puisse se  rendre à ses rendez vous dans la journée. Un J-neuf. Ce matin quand Guy est arrivé, Didier lui a demandé  d’aller chercher Flora à la maison de retraite parce que la camionnette avait disparu. En fait, c’est le service des espaces verts de la mairie qui a récupéré le J-neuf sur le parking de la maison de retraite pour véhiculer les ouvriers dans la commune. On a rassuré Marie-Jo du service culturel qu’on avait déjà prévenu de la disparition du J-neuf.

en vrac

Des histoires de… cheminots qui se sont retrouvés à Douvres, parce qu’ils étaient dans le ferry pendant une pause à Calais, et que du coup ils ont pas pu refaire partir le train, et qu’ils ont dû appeler d’autres cheminots à la rescousse.
Ce qui était bien avec les cheminots, c’est qu’il y en avait toujours un pour donner un coup de main.
Et les cheminots indiens qui se sont endormis et le train qui continuait. L’histoire d’un cheminot saoul qui oubliait de s’arrêter dans les gares.
L’histoire des cheminots qui se mettaient entre les tampons pour accrocher les wagons plus vite, alors que c’était dangereux.
Maintenant c’est différent, c’était pas pareil. Le gens vivaient le travail autrement.

L’histoire d’un cheminot qui va a Reims et qui rencontre des comédiens dans un hôtel. Comme un dortoir des roulants. A Reims, quand on a fait la veillée, on logeait dans un hôtel où il y avait plein de cheminots.
L’histoire des chemins cavaliers, ces anciennes voies de trains de marchandises plein de charbon. C’est l’histoire de la toute première veillée, en collaboration avec les Komplex Kapharnaüm, sur les chemins cavaliers.
L’histoire d’un passage à niveau à Lillers. Envie de voyager en voyant passer les trains.
Et le passage à niveau en bas du quartier saint pierre de Lens-Liévin-Loos-en-Gohelle et la voie ferrée que Guy et Jérémie ont suivi, à un jour d’intervalle, un jour férié sans train et le lendemain avec plein de trains, y compris des TGV.

Le père de Didier faisait des convois. Il assemblait des wagons, à Hazebrouck.

On a demandé des histoires de cheminots à Marie-Jo, elle est partie en chercher dans le centre Fouchet et elle a ramené ça : Sncf, savoir nager comme fernandel.
Et Monsieur Cheret qui parle du petit tunnel, en bas de la cité des cheminots, le tunnel s’il pouvait parler, il en raconterait des histoires !

manifeste

On a parlé des élections européennes. On est allé à Télé Gohelle. On a parlé des Veillées et des élections européennes. On s’est inquiété du score du Front National dans le Pas de Calais. On nous a dit, mais si quelqu’un vous dit qu’il vote pour le Front National. On a dit qu’on répondrait qu’on n’a rien à faire des idées du Front National et que si on fait des Veillées c’est pour mettre en valeur les quartiers populaires et pas pour faire circuler les pensées haineuses du Front National. Que de toute façon on n’en parlerait pas dans la Veillée. Que si on en parle c’est de manière générale. Qu’on resituerait tout ça dans un contexte plus global. Dans un contexte de mondialisation, de crise économique capitaliste et de casse sociale. Que bien sûr que non qu’on ne fait pas mystère de nos opinions politiques. On a dit aussi qu’on ne peut pas faire ce qu’on fait sans prendre parti. Qu’on le dit dans les textes politiques qui sont lus le soir de la veillée. Que ces textes sont importants parce qu’ils permettent de savoir à quel endroit on se situe politiquement et que ça donne du sens à ce qu’on fait. Parce qu’à Télé Gohelle on nous a dit vous faîtes tout ça pour quoi, c’est le folklore qui vous intéresse?- Non, c’est parce qu’on se dit que le monde ne tourne pas rond et qu’à notre petite échelle de compagnie d’artistes vidéastes, plasticiens, comédiens, danseurs, on peut faire quelque chose pour qu’aient lieu des rencontres ou des rassemblements comme le soir de la veillée qui questionnent le monde pour plus de justice sociale, d’égalité et de partage des richesses. On s’est dit qu’on ferait un texte là dessus, tous ensemble. Comme un manifeste.

on dirait Vegas

Depuis le Centre de formation où on mange le midi, on marche par la voie ferrée pour rejoindre le bas de la cité des cheminots, le nouveau quartier tout neuf .
Le long de la voie ferrée il y a quelques wagons-école. Il y a des fleurs de ballast, des restes de pétards – qui servent de signal stop et qui ressemblent à des pelotes à épingles de couturières – et puis il y a les deux terrils, au loin.
Dans le quartier tout neuf, il y a des ouvriers qui nettoient les trottoirs. Jérémie les filme. Ça fait un nuage de poussière. La rue est bientôt finie, mais il y a encore des tas de gravats, avec des chardons. Il y a un contraste étrange entre cet aspect de terrain vague, et les maisons éclatantes. Jérémie aime cet endroit, et aussi les colonnes grecques devant la porte d’entrée d’une des maisons. On dirait Las Vegas.

elle est encore là

On a rencontré monsieur Lempicki, qui tient, avec sa femme, le débit de tabac, le commerce résistant de la cité des cheminots.
C’était une agréable rencontre. On se dit, en sortant, que Monsieur Lempicki fait partie de ces gens qui rendent les a-priori impossibles. Un homme-surprises : flic à la retraite, gauchiste convaincu, qui tient un bureau de tabac, qui peint – ou plutôt barbouille, comme il dit lui-même – et joue dans un groupe de rock-blues-boogie.
On a parlé du quartier, de la disparition des syndicats, de la lourdeur du poids du passé dans la région, et en même temps de l’attachement qu’on peut avoir à un territoire qui a autant d’histoire. On a parlé de la TV et puis de la grande distribution, de la pub, qui tuent la vie collective, la solidarité. On se dit que c’est aussi un choix d’en haut, de tuer la solidarité entre les travailleurs, de faire disparaître la classe ouvrière alors qu’elle est encore là… Elle a changé de nom, elle a été morcelée, divisée, mais elle est encore là.