Aujourd’hui et demain

La séance commence avec du retard, on ne sait pas pourquoi les surveillants n’ont pas pu nous amener les participants à l’heure. C’est comme cela.

Didier prend les 3 personnes détenues qui n’avaient pas fait leur interview dans la deuxième salle.

Pendant ce temps, Marie reste avec les 8 autres. Marie leur redit qu’ils vont faire un spectacle. Que les exercices serviront à créer ce spectacle et les textes.

Il faut penser à leur expliquer régulièrement comment cela va se passer car il est certain qu’ils ne réalisent pas bien encore que la finalité est un spectacle sur un plateau.

Elle leur demande d’écrire un portrait d’eux dans 10 ans avec pour consigne de se décrire physiquement, psychologiquement et de dire où ils seront à ce moment-là. Le tout en exagérant s’ils le souhaitent. Certains écrivent plus d’une page, d’autres moins mais tous le font.

Les portraits se ressemblent un peu : les traits communs à chacun : Sortir de prison, se marier, faire plusieurs enfants, avoir un travail qui lui permette de bien gagner sa vie et de s’acheter une maison.

Conversations filmées

Nous avons scindé le groupe en 2. On se retrouve dans une salle similaire à la salle habituelle .

Je leur propose d’écrire un souvenir ou un rêve pendant que j’interwiewe l’un d’entre eux , I. vient s’asseoir tout de suite devant moi sur la chaise en mettant ses biceps musclés bien en avant . Je lui montre que le plan est très serré et qu’on ne verra que son visage . Il me propose de l’élargir un peu. Je n’avais pas remarqué l’inscription en craie rouge au dessus de sa tête « Merde à la Bac » je garde donc un cadre très serré .

Ibrahima fait six heures de musculation par jour parce qu’il trouve que c’est joli , joli pour lui mais aussi pour les autres vous voyez ce que je veux dire ? me dit-il

Moi : «  Euh non « .

Bah pour les filles .

Les autres écoutent et sont très attentifs à ce qui se dit , aux questions posées à tel point qu’ils n’ont rien écrit du tout pendant la conversation avec I.

L’un deux me dit qu’il n’a pas de souvenir hormis des souvenirs flous alors j’insiste :même si c’est flou on devine des formes des mouvements, des anecdotes.

« Vous voulez me faire dire des trucs mais dans mon souvenir je vois le ciel flou ,que le ciel .Je peux vous raconter un truc qui s’est passé il y a un an ou deux mais je n’ai pas de souvenir d’enfance .

D’accord et les rêves tu te souviens d’un rêve ?

Non je fais des rêves noirs.

Des cauchemars ?

Non des rêves où tout est noir. »

Deux d’entre eux racontent directement un souvenir à la caméra et c’est S. qui se propose pour la conversation filmée.

S. parle de son parcours, des 2 années qu’il a passées en Algérie, de son goût pour la cuisine. Il a repris ses études là ou il les avait arrêtées et envisage une formation en cuisine. On retourne ensuite à la lecture des textes de Beckett. I. et H. en lisent un ensemble.

Ceux qui ne sont pas encore passés expriment leurs craintes de dire des « conneries » qui pourraient les desservir . Je les rassure en expliquant qu’il s’agit vraiment de les mettre en valeur .

A Fleury, le lendemain des attentats de Bruxelles…

C’est aujourd’hui la première séance d’interviews, de conversations filmées. Nous serons dans deux salles séparées; n’interviewer qu’une seule personne détenue à la fois, ce n’est pas possible, cela va jouer dans ce qu’ils vont nous raconter.

A priori au 3ème étage, lieu des ateliers, étaient prévu deux salles, il semblerait qu’une seule soit disponible, insistant sans insister, le surveillant nous dit qu’en fait la salle 2 était occupée ce matin et non cet après midi. Bref nous avons deux salles, mais nous prendrons les personnes détenues ensemble dans la salle habituelle de 13h30 à 14h40.

A 14h40 un surveillant conduira 5 détenus et Didier dans la salle 2. Il faut savoir que les détenus viennent des trois ailes différentes du même étage : la M, la D, la G.

Un peu compliqué, un peu long, de la patience et on y arrive.

Nous nous retrouvons tous dans la salle cellule habituelle.

Tous ensemble, nous expliquons aux nouveaux le pourquoi et le but de notre présence.

Nous donnons des précisions sur les interviews. Les 2 groupes se séparent.

 

 

 

 

 

 

EXTRAIT D’UNE REVUE : ARTICLE « LE TEMPS SUSPENDU » édité dans la revue Terrain de Manuela Ivone Cunha

Présent, passé et futur deviennent des réalités discontinues. Le passé et le futur n’étant situables que dans la temporalité extra-carcérale, le présent pénitentiaire apparaît comme un temps non progressif, où s’écoule une durée indifférenciée. Celle-ci est scandée non par des unités calendaires en tant que telles, mais par les moments périodiques reliant les détenues à l’extérieur. Le mode d’estimation du temps varie selon les étapes de progression dans la peine, le temps vécu semblant se contracter ou se dilater. Mais si le temps en prison est perçu comme problème, c’est parce qu’à l’extérieur, le monde change à un autre rythme.

« Dehors je passais le temps, ici c’est le temps qui me passe »

Le temps en prison? (quelques phrases volées)

Le temps passe plus vite en prison que dehors, la routine c’est différent de dehors.

Le sport on en fait, pour certains 1h1/2 à 4h par jour. Oui le temps est différent de dehors.

Se focaliser sur les choses ça me rend nerveux.

Le temps le premier jour où t’arrive ici c’est dur.

Le temps ça dépend comment on s’occupe.

Ici tu peux pas avoir de projet.

Tu penses pas à l’avant, pas à l’après.

Moi je fume, et quand il n’y a plus rien à fumer, là c’est dur.

La prison tu sens l’heure passer, l’heure est lourde.

Si t’as une bonne organisation, t’as une bonne détention. L’organisation c’est le parloir, l’heure du réveil, du coucher. Moi je cherche à respecter des heures.

Le sport est le meilleur remède.

La tombée de la nuit, c’est là le meilleur, y’a une journée en moins.

Du moment que la journée passe, le soir c’est autre chose. C’est tous les jours la même chose.

La gamelle, l’appel, la promenade, … le soir c’est à 18 heures. Vous êtes dans un autre rituel. On est libre dans la cellule. C’est notre temps d’intimité.

Y’en a beaucoup qui pleure le soir. Ça s’entend d’une cellule à l’autre.

Faut pas pleurer après ce que tu as fait, on fait des erreurs dans la vie et quand t’es ici, faut accepter.

Moi j’ai déjà fait du théâtre, le travail ensemble, le final, les échanges, tout ça nous a apporté.

2 MARS: première séance avec le groupe fixe qui va faire le film-spectacle avec nous…

Arrivés dans la salle cellule d’atelier. C’est étroit, les murs peints en bleu, les fenêtres et barreaux donnent sur le terrain de foot. On installe le video projecteur, au bout des tables disposées en T. 10 chaises sont installées autour pour recevoir 10 personnes détenues. Un est absent mais devrait nous rejoindre très certainement d’ici 2 séances.

Nous sommes accompagnés de Marie-Anne du théâtre de l’Agora, commanditaire de la veillée et partenaire du Service Pénitentaire et de Probation (SPIP) & de Josepha, qui fait son service civique au SPIP.

Martine & Didier se présentent, parlent de la démarche de la Cie.

La première question posée par une personne détenue : qu’est-ce qui vous a amenés ici?

Marie-Anne explique la relation de la Cie HVDZ avec l’Agora et la relation de l’Agora au territoire. La maison d’arrêt est sur le territoire d’action de l’Agora.

Un DVD de veillée est diffusé après avoir accroché des serviettes éponges et foulards proposés par les détenus, sur les fenêtres. Une première réflexion, sur les groupes scolaires en photos de groupe, à Dunkerque : “y’a pas beaucoup de noirs!”

Questions : “Y’a un message que vous devez faire passer ?”

« Pourquoi faire un film, écrire des textes de prisonniers pour parler de la prison ? » Donc important d’insister sur le fait que nous ne sommes pas là pour parler que de la prison mais de plein de sujets, comme le temps par exemple.