A rebours…

Voici le blog que nous avons écrit en avril suite à notre semaine intensive à la Maison d’Arrêt de Fleury Mérogis…

A rebours…Ce qui nous permet de nous dire encore comme cette expérience fut forte et au combien nous étions émus à la fin de cette aventure jeudi dernier au théâtre de l’Agora, scène nationale d’Evry et de l’Essonne.

Merci à l’Agora, à Cécilia et Marion du SPIP, et surtout à D, S, C, I, S et D. pour ces belles représentations.

14 avril, atelier arts plastiques…

Jérémie et Martine sont accueillis par Françoise qui anime l’atelier, chargée de sacs contenant tous les accessoires nécessaires au dessin et la peinture, nous attendons qu’une salle soit libérée afin d’accueillir une dizaine de participants. Nous en connaissons quelques uns, Dian-David, Couly, Ibrahima et d’autres que nous avons croisé dans les groupes ponctuels comme le cercle de lecture et la bibliothèque.

Le groupe est fluctuant, les présences aléatoires, comme dans toutes les activités, mais cette activité a son importance comme les autres.

On a travaillé sur l’art arborigène, à partir des portraits de Modigliani, par étape, d’abord au crayon puis de la couleur.

Il faut que les propositions les valorisent, leur offrent un centre d’intérêt qu’ils continueront ou non à exploiter. Dans l’instant le groupe, l’échange, le partage, l’écoute, l’observation, c’est ce qui est motivant pour tous.

On a travaillé sur le tatouage, ou en relation avec des expositions comme dernièrement le Douanier Rousseau. Ça prend ou pas, mais on essaie.

Ironman, Batman Superman ou les Simpson font partie de la famille.

Françoise nous montre les dessins des uns et des autres ainsi que les supports livres et documents pour les aider à franchir le pas du dessin et de la peinture.

L’u n d’entre eux dit que c’est difficile de faire appel à son imagination pure, ne pas copier ou recopier, ici tout est lisse, pas de relief, pas d’horizon, pas de couleur, tout est uni, pas de perspective. Je m’allonge dans ma cellule et je peins la fenêtre, c’est la seule perspective.

  1. aime le street art, avant il ne peignait pas, jamais. Nous parlons de Bansky de son dessin de Steeve Job sur les murs du pont qui conduit dans la jungle de Calais. « Tu peux faire passer plein de message par le street art », dit-il.

Entre le trait qui se dessine sur une toile, les couleurs qui remplissent les dessins, l’eau colorée qui coule sur le papier, nous entendons les rires de Couly et Dian-David.

Quelques photos pour les objets, quelque photos de groupe pour eux-mêmes et nous rentrons. A la prochaine, merci !

R2C

Nous rencontrons deux jeunes gens Jumo et Moha qui ont tous deux moins de 25 ans et qui ont donc pu bénéficier d’un programme de réinsertion en relation avec la mission locale . Chacun a donc choisi une orientation professionnelle, Moha voudrait donc passer les diplômes pour conduire des engins de chantier quant à Jumo, il voudrait s’orienter vers la vente, si c’est impossible il a prévu un plan B : devenir coursier . Ce dispositif est très exigeant et les participants doivent avoir un comportement exemplaire sous peine de se voir refuser l’accès à la formation qu’ils ont choisie. Ils expriment tous les 2 la difficulté de rester en contact avec le monde du travail parce que, bien entendu, ils n’ont pas internet en prison. Couly nous explique que c’est difficile de trouver un travail quand on sort de prison, qu’on est souvent en butte à la peur et aux préjugés des employeurs même si on est poli , bien habillé et qu’on s’exprime correctement . lls tombent d’accord pour dire que la seule solution est de jouer cartes sur table et d’annoncer qu’ils sortent de prison au risque de ne pas être pris. « Regagner la confiance est la seule solution » dit Couly .

 

Les Bruits ne sont jamais les mêmes…

Didier, Marie et Josépha doivent aller interviewer le surveillant activité ce matin. Le rendez-vous est fixé à 10H.

Didier et Marie arrivent au bureau du SPIP à 9H30, les habitudes sont prises.

On dépose nos affaires, on vide nos poches, on regarde si une petite pièce de monnaie n’est pas restée coincée dans notre jean. On ne voudrait pas sonner au portique. On prend nos papiers d’identité, on prend toutes les autorisations nécessaires : accès des personnes, du matériel, autorisation à faire signer aux personnes détenues, autorisation à faire signer au personnel pénitencier, nos feuilles d’émargement et nous voilà partis dans le bâtiment D1 de la MAFM.

L’arrivée est toujours différente dans la MAFM, les bruits ne sont pas les mêmes en fonction de l’heure de la journée, l’ambiance est toujours différente :

calme, électrique, calme puis électrique, bruyante, triste ou ensoleillée…

On arrive dans le bureau du surveillant activité. Un petit bureau, de la taille d’une cellule. Bureau peint en jaune avec des cartes postales et des photos de footballeur mais y a des grilles aux fenêtres.

On installe notre caméra, le surveillant activité finit de remplir des papiers urgents et il est à nous !

On lui parle de son travail. Cela fait 15 ans qu’il travaille ici mais, depuis 5 ans, il est surveillant activité. On sent qu’il a réfléchi à son métier, que l’expérience joue, ici comme ailleurs, mais certainement ici plus qu’ailleurs.

Les activités culturelles lui ont permis de voir les personnes détenues autrement. Les surveillants doivent parfois être durs ou du moins distants avec les personnes détenues, peu d’occasion de parler d’autre chose que des problèmes liées à la détention mais de les voir faire du slam, de participer à un jury pour un festival de films sur les droits de l’homme avec eux, cela change la donne.

Il nous dit donc que l’expérience qu’il a en tant que surveillant puis surveillant activité lui fait voir son métier, les personnes, autrement qu’un jeune surveillant qui arrive et qui peut être assailli et dépassé par cet environnement et ses problématiques.

Etre ou ne pas être…

Mercredi après-midi, atelier théâtre avec le groupe fixe, on a fait des photos en rafales pour les stop motion. Tout le groupe y est passé. Chacun avec un mouvement particulier, de danse, de marche ou de sport. D’autres performances photographiques ont été menées avec tout le groupe. Jérémie a continué à faire des photos individuelles dans le couloir des cellules. Guy a pris en charge le reste du groupe et pratiqué des exercices de théâtre. Quelques participants ont déjà fait du théâtre et ont proposé des exercices. Choisir un pseudo et un geste et appeler un camarade qui répond par son pseudo et son propre geste avant d’interpeller de la même manière quelqu’un d’autre. On a continué le jeu par des exercices de confiance. Le jeu de la bouteille. On se place au milieu du groupe et les yeux fermés, bien plantés sur ses pieds, on se laisse tomber d’un côté et d’un autre. Les camarades sont très vigilants et rattrapent la personne pour la replacer au milieu du cercle. A tour de rôle, chacun se retrouve au centre des autres. Puis on s’est assis et on a discuté sur le théâtre, le but et l’intérêt de chacun de participer à un atelier de théâtre.

 

Patience, énervement, beauté…

On retourne l’après-midi à la MAFM.

Cet après-midi, il est prévu que Guy et Jérémie aillent à la bibliothèque pour rencontrer les personnes qui descendent consulter les ouvrages. Deux groupes sont prévus. C’est Elise de « Lire c’est vivre » qui s’occupe de ce créneau. Didier, Josépha, Foulé et Marie partent rencontrer un groupe de personnes qui font de la musculation.

Tout est prévu ainsi mais tout ne se déroulera pas comme prévu.

C’est aussi cela la détention. Les personnes détenues faisant de la musculation ne souhaitent pas du tout être dérangées pendant leur activité. Ils ne peuvent faire du sport que 2H tous les 15 jours dans cette salle et cela est très important pour eux. Il est, en fait, inenvisageable pour eux de ne pas pratiquer leur sport. L ‘équipe comprend très bien cet état de fait et part rejoindre le reste de l’équipe à la bibliothèque.

Guy et Jérémie ont prévu plusieurs protocoles avec les personnes qui viennent chercher des livres. Beaucoup d’entre elles ne souhaitent pas être filmées ou prises en photo. L’image est quelque chose de complexe en détention. Cela n’empêche pas un intérêt pour le projet. Guy propose donc qu’ils choisissent dans des livres d’art une œuvre qui correspond à leur état d’esprit. Cela fonctionne plutôt bien et permet d’enclencher des conversations. Ils nous disent que, pour eux, c’est important de discuter avec des personnes extérieures parce qu’entre eux, ils ne parlent que de leur vie en détention, des problèmes de la détention et cela les fait tourner en rond. Ils sont contents de parler avec nous. Marie demande à tout le monde, personnes détenues, équipe HVDZ et personnels du SPIP, à la fin de la séance, de donner trois mots qui décrivent leur journée. Les voici : patience, énervement, beauté, studieux, angoisse, froideur, conviviale, rigolote, dynamique, sociale, comique, routine, routine, routine, agréable, gente féminine, joyeuse, contradictoire, enfermée, énergique, calme, tranquille, extraordinaire, aimable…

On retrouve notre groupe

Aujourd’hui nous sommes moins nombreux, trois membres du groupe se sont inscrits au secourisme. Avant d’y aller ils viennent nous dire qu’ils ne viendront pas avec nous parce que c’est important pour eux d’avoir leur diplôme. Nous sommes sensibles à leur attention et comprenons bien qu’ils veuent finir ce qu’ils ont commencé. La priorité est donnée à Jérémie pour qu’ils fassent des images. Nous sommes dans la salle multicultuelle qui est beaucoup plus grande que la salle dans laquelle nous sommes habituellement. Ça tombe bien ! Jérémie leur propose de photographier les mises en scène de leurs souvenirs : partir pour la première fois au mitard, s’écrouler après le sport, passer sa première nuit en prison avec le voisin qui tape au mur…Tout le monde se prête au jeu avec enthousiasme sous le regard dubitatif du surveillant. L’après midi se poursuit avec des portraits et des prises de vue dans le couloir, entrecoupées de conversations vives et enjouées.

Lire, c’est vivre…

Martine, Guy et Marie sont partis rencontrer les personnes détenues qui font partie du cercle de lecture animé par Luc et Danielle. Ils se réunissent pour lire à haute voix des textes proposés par les animateurs bénévoles de Lire c’est vivre. Luc donne des explications sur les textes, historiques, philosophiques, des explications sémantiques, etc.

L’équipe d’HVDZ commence par expliquer son projet de veillée dans la maison d’arrêt. La spontanéité des Veillées classiques n’est pas possible ici car nous devons, pour ceux qui veulent bien être filmés, leur faire remplir deux autorisations de prise de vue , leur demander leur numéro d’écrou et leur faire signer une feuille d’émargement. Leur demander sous quel nom ou pseudonyme, ils voudront apparaître dans le film, leur demander pour apparaître sur internet, etc. Ici, Les enjeux en terme d’image de soi ne sont pas les mêmes.

Puis nous devons séparer le groupe en deux, des deux côtés de la table, ceux qui peuvent apparaître à l’image, ceux qui ne peuvent pas.

On est là 3H, on reste 3H, on les verra 3H. C’est finalement peu pour créer un lien et une confiance véritable, comme on peut le faire, petit à petit, avec notre groupe fixe, avec lequel nous travaillons depuis début mars, tous les mercredis.

Aujourd’hui, ils lisent Gradiva, Fantaisie pompéienne, de Wilhelm Jensen. Luc commence par leur parler de Freud. Puis ils entament la lecture à tour de rôle. Un calme et une écoute réelle s’installent.

On entend juste le lecteur. On est dans une bibliothèque…sauf que de temps en temps, les bruits de la prison se rappellent à nous : des bruits de barreaux, les douches que l’on entend et qui fuient dans la bibliothèque, les étagères ont du être bougées pour que les livres ne soient pas mouillés, des cris au lointain dans la cour de promenade.

Ils lisent, certains ne comprennent pas le texte, certains font très bien le parallèle entre Freud et la lecture de Gradiva.

Ils lisent, ils lisent à tour de rôle dans ce silence coupé.

Puis, on demande s’ils peuvent s’arrêter. On voudrait leur parler. Ils nous parlent de la lecture, ce que cela leur apporte. Nous sommes étonnés quand un jeune détenu nous dit que, lui, ce qui lui a fait aimer la lecture, c’est de lire Hamlet dans sa cellule. Il aime lire le théâtre, il aime Shakespeare. Avant la détention, il n‘avait fait ni vu de théâtre.

On passe ainsi la fin de la séance à parler de lecture, de la société, des discussions envolées…On part assommés et grandis, c’est sûr…

Marion, Cécilia, Josepha et Foulé…

Nos relais à la Maison d’Arrêt, celles qui nous accompagnent et nous expliquent les codes, comment faire dans ce nouvel environnement, sont des jeunes femmes.

Il y a Marion qui est coordinatrice culturelle et Cécilia qui est assistante culturelle du Pôle Culture du SPIP 91 / Association Léo Lagrange Nord IdF à la Maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Ce sont elles qui nous ont aidé à monter tout ce projet.

Josépha et Foulé font, quant à elle, leur service civique au SPIP. Josépha s’occupe de culture et Foulé s’intéresse au sport. Elles nous accompagnent régulièrement dans notre salle d’activité.

Du 11 au 15 avril, on est tous à Fleury Mérogis…

Guy, Martine, Didier, Jérémie et Marie sont partis pour une semaine intensive à Fleury-Mérogis. Le but étant de continuer à travailler avec notre groupe fixe mais aussi de rencontrer d’autres personnes dans le bâtiment D1. Celles qui font des activités par exemple. Nous allons rencontrer le groupe de lecture, le groupe de réinsertion, le groupe de musculation, le groupe d’arts plastique, le groupe documentaire et société, etc

Le théâtre de l’Agora nous loge dans une énorme maison à Ris-Orangis. C’est grâce à Airbnb que nous sommes dans un cadre très agréable pour travailler. L’équipe l’appelle le manoir…On culpabilise un peu parfois quand on revient de la Maison d’arrêt pour aller dans notre « manoir »…

Ce qui est sûr, c’est que cette expérience commencée en mars nous touche et nous déstabilise.