VEILLEES
L’Oubangui
Ce midi, c’est Salade croûtons-lardons à l’Oubangi. Depuis vendredi que le rendez vous à été pris avec Max le propriétaire des lieux, on commençait à avoir faim !Et on n’est pas déçu ! L’accueil est merveilleux, l’ambiance est douce, ici, on ne fait pas de chichi, on profite juste du moment présent.
Au dessus de nos têtes pendant le repas, un énorme brochet, pêché il y a 10 ans et empaillé depuis, nous surveille. On mange bien et la sauce de salade est en effet délicieuse ! On est tellement bien qu’on y passe toute l’après midi.
Mais forcément quand Max et un ami à lui commencent à nous parler du quartier, on ne voit plus le temps passer. Et pour cause, ils ont toujours vécu ici, alors des souvenirs, ils en ont des milliers à raconter, et même d’autres qu’ils ne préfèrent pas raconter.
Max nous explique que ça fait maintenant 20 ans qu’il tient ce café, quand il était petit, sa maman tenait le bureau de tabac juste à côté. Il a connu les anciens propriétaires et c’est déjà ici qu’ils se retrouvaient tous à l’époque, toute leur bande d’amis. Ils nous racontent, les nuits à faire la fête « Tu partais en bombe le vendredi soir, tu revenais le vendredi de la semaine d’après. », les rallyes, les soirées à jouer aux cartes, « Il m’a plumé deux ou trois fois aux cartes, on jouait au Chibre, à la Pomme », l’époque où ils n’avaient pas de téléphone portable et où ils allaient tous regarder la télé chez la seule personne qui en avait une, « Les jeunes maintenant, ils sont sur leur Natel », les terrains de foot qui datent d’il y a 30 ans, construits pour les championnats du monde, l’époque des casernes pour l’aérodrome militaire et puis le tournage avec Depardieu où ils ont fait la fête pendant deux mois, mais « A l’époque, c’était différent, on approchait les gens plus facilement », ils nous expliquent pourquoi cette décoration au café, « C’est l’ancienne propriétaire, son frère était pasteur à Bangui et c’est lui qui lui a ramené tout ça. » et puis les règlements de compte entre bandes de différents quartiers… Et bien sûr, le passage de la campagne, des fermes et des chemins de terre au nouveau projet d’écoquartier, « Que ça bouge, la ville, ben c’est clair, il faut bien que ça change un peu… Moi, je suis contre qu’ils fassent des frais pour rien. »
On ne voit vraiment pas le temps passer… Il est déjà 16h15.
dans les années Septante aux Bossons photo donnée par M.Birkenstock
Laura
Attendre quelqu’un qu’on ne connaît pas, se l’imaginer, ressentir des frissons d’impatience, l’excitation de l’avant.
Et la femme aux cinq sens apparaît… Le bruit des bracelets, l’odeur des huiles essentielles, le jaune de ses vêtements, la chaleur qu’elle dégage, et les quelques mots en italien qui lui échappent naturellement.
Elle crée un autre espace-temps. « On est là pour se faire du bien. »
Ici les choses ont l’importance qu’on leur donne. Les problèmes du quotidien disparaissent et laissent la place aux petites beautés qu’on ne voit presque pas d’habitude.
Changer l’atmosphère, changer le monde avec l’odeur du thé, l’air frais d’une soirée de printemps, une bougie, des grands châles colorés, de la musique douce, des sourires, des paroles apaisantes.
Se demander sincèrement « Comment ça va ? » et écouter vraiment la réponse.
Et se livrer sans se connaître, être honnête. Pourquoi mettre des barrières là où personne ne cherche à les franchir.
Des femmes magnifiques, si différentes, viennent vivre ce moment hors du temps, ce moment de liberté, ce moment juste pour elle dans des journées qu’elles passent à s’occuper des autres. C’est comme une grande respiration.
La féminité apparaît ici comme la force la plus puissante du monde !
« La femme a le corps chaud et la tête froide. »
Partager des avis, des idées, des visions de la vie. Apprendre des autres, de ce qu’ils sont, de l’échange qu’on a eu. Se compléter. Chercher à devenir toutes ces personnes à la fois, être constituée de chacune d’entre elles.
Repartir avec ce sentiment de bien être, de douceur, et tout faire pour le conserver le plus longtemps possible.
année septante photo donnée par M. Birkenstock
Mardi 19h45 à la cabane, cours de gym créative avec Laura
Elle arrive au loin.
Robe jaune, cheveux bouclés, une odeur d’huile essentielle de bouleau c’est elle qui me l’a dit, des bracelets, pleins de bracelets aux poignets qui font de jolis sons, et un grand sourire.
Laura, on prononce son prénom à l’italienne.
Musique maestro
On est devant la cabane en tenue de training, petite clope avant de commencer,
On est cinq femmes de générations mélangées, ça bavarde, ça rigole, ça se taquine.
C’est parti !
Bouger, bouger, bouger pour se sentir mieux, on rit, on rit, on se sent bien dans notre corps, on l’écoute, c’est tellement agréable d’être entre femmes, bouger bouger bouger pour tout sortir tout les soucis, le stress, se défouler, bouger et puis on s’allonge et on s’enfonce dans le sol de la cabane, on détend chaque parties du corps, on commence par les pieds et finit dans notre imaginaire.
C’est Laura, qui nous plonge dans une relaxation mentale.
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On descend des escaliers, on arrive devant une porte…On l’ouvre et on se sent bien
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On remonte les escaliers et on se sent bien…
Nos yeux s’ouvrent,
Bonne nuit, au revoir, bonnet nuit, on va bien dormir. Et cela on se le dit en cercle en étant placé les unes à côté des aux autres. C’est tout doux.
Laura est du quartier depuis 15 ans, elle a six enfants. « Bouger son corps » est une nécessité pour elle. Les cours de gymnastique créative est un endroit où l’on fait avec l’humeur du moment, on crée toutes ensemble le cours. C’est du plaisir, des liens se tissent entre les participantes. Mais on ne bouge pas seulement son bassin, il y a de l’énergie, le mental, la relaxation. On se ressource pour la semaine.
Les Bossons autour des années Septante photo donnée par M.Birkenstock
Pas de portes
On part sans savoir ce qu’on va vivre…- Faire des portraits d’habitants devant leur porte pendant 30 secondes, sans parler.
– Prendre en photo un objet qui les représente.
C’est très concret, un protocole, mais il y a la crainte de ne pas se faire comprendre, de déranger, de ne pas éveiller l’intérêt.
Est-ce que c’est légitime de demander ça ?
Est-ce que j’accepterais de le faire moi ?
Lorsqu’on arrive devant une maison, il y a les intuitions un peu foireuses sur le profil de l’habitant en fonction de ce qu’on voit de l’extérieur, puis les étincelles dans le ventre au moment où on frappe à la porte, ensuite les chuchotements un peu surexcités pour savoir qui va parler, inévitablement interrompus par un bruit à l’intérieur de la maison et enfin, le vertige lorsque la porte s’ouvre. La réaction des gens est impossible à anticiper !
La plus grande difficulté, c’est notre incertitude à nous, mais lorsqu’une première personne nous fait confiance, on est lancé et c’est « un tourbillon de gens qui ont du temps. ».
En quelques minutes, on rentre dans l’univers d’une personne, dans un rythme, dans une couleur.
Une femme très pressée, refuse immédiatement d’être filmée, mais nous invite à rentrer, nous présente le chien, nous propose de photographier le coin fumeur, nous fait visiter la maison, nous résume sa situation, nous offre du chocolat et nous souhaite une bonne journée, tout ça en quelques secondes.
Un homme descend l’escalier en tenant précieusement un objet entre ces mains, il s’avance vers nous et d’une voix douce dit : « C’est la locomotive de mon père. ».
Un jardinier aux mains marquées et aux gestes doux pose délicatement la plante qu’il était entrain de mettre en terre pour prendre l’invitation qu’on lui tend.
Deux époux nous proposent de photographier le cerisier qu’ils ont planté ensemble puis nous accompagnent chez la voisine, la doyenne du quartier.
C’est incroyablement apaisant de se promener entre tous ces univers, de prendre le temps, d’écouter vraiment, de ne pas avoir besoin d’être efficace. Et tout à coup, entre l’histoire du chat et le problème du chauffage, des instants d’une beauté parfaite apparaissent. Ce peut être un mot, un geste, un regard…
Quelque chose qui nous dépasse complètement, nous submerge.
Tout ce qu’un comédien cherche à produire sur un plateau apparaît ici avec une incroyable justesse. Parce que c’est concret, parce que ça n’est pas spectaculaire, parce que ça ne cherche pas à être beau… Des instants de grâce.
expo à ciel ouvert, lausanne (manuf au Bois Gentil) 2015
De la poésie sans caméra (ou l’assiette mal nettoyée) au quartier Blécherette
Si mon quartier était une recette de cuisine, ce serait un assiette mal nettoyée.Si mon quartier était une chanson, ce serait Démerde-toi comme tu peux.
On a traversé la route et déjà, on avait changé d’ambiance.





