Pas de portes

On part sans savoir ce qu’on va vivre…- Faire des portraits d’habitants devant leur porte pendant 30 secondes, sans parler.

– Prendre en photo un objet qui les représente.

C’est très concret, un protocole, mais il y a la crainte de ne pas se faire comprendre, de déranger, de ne pas éveiller l’intérêt.

Est-ce que c’est légitime de demander ça ?

Est-ce que j’accepterais de le faire moi ?

Lorsqu’on arrive devant une maison, il y a les intuitions un peu foireuses sur le profil de l’habitant en fonction de ce qu’on voit de l’extérieur, puis les étincelles dans le ventre au moment où on frappe à la porte, ensuite les chuchotements un peu surexcités pour savoir qui va parler, inévitablement interrompus par un bruit à l’intérieur de la maison et enfin, le vertige lorsque la porte s’ouvre. La réaction des gens est impossible à anticiper !

La plus grande difficulté, c’est notre incertitude à nous, mais lorsqu’une première personne nous fait confiance, on est lancé et c’est « un tourbillon de gens qui ont du temps. ».

En quelques minutes, on rentre dans l’univers d’une personne, dans un rythme, dans une couleur.

Une femme très pressée, refuse immédiatement d’être filmée, mais nous invite à rentrer, nous présente le chien, nous propose de photographier le coin fumeur, nous fait visiter la maison, nous résume sa situation, nous offre du chocolat et nous souhaite une bonne journée, tout ça en quelques secondes.

Un homme descend l’escalier en tenant précieusement un objet entre ces mains, il s’avance vers nous et d’une voix douce dit : « C’est la locomotive de mon père. ».

Un jardinier aux mains marquées et aux gestes doux pose délicatement la plante qu’il était entrain de mettre en terre pour prendre l’invitation qu’on lui tend.

Deux époux nous proposent de photographier le cerisier qu’ils ont planté ensemble puis nous accompagnent chez la voisine, la doyenne du quartier.

C’est incroyablement apaisant de se promener entre tous ces univers, de prendre le temps, d’écouter vraiment, de ne pas avoir besoin d’être efficace. Et tout à coup, entre l’histoire du chat et le problème du chauffage, des instants d’une beauté parfaite apparaissent. Ce peut être un mot, un geste, un regard…

Quelque chose qui nous dépasse complètement, nous submerge.

Tout ce qu’un comédien cherche à produire sur un plateau apparaît ici avec une incroyable justesse. Parce que c’est concret, parce que ça n’est pas spectaculaire, parce que ça ne cherche pas à être beau… Des instants de grâce.

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